C’est une situation propre aux ouvriers travaillant dans des chantiers appartenant à des particuliers et à des entreprises des travaux publics.
«Inaâl bouk ya l’khobza !». Cette réplique tant répétée par le dramaturge et homme de théâtre le défunt Abdelkader Alloula, dans sa pièce théâtrale El-Khobza, reprise par un travailleur dans le bâtiment accosté à Alger, trouve indubitablement sa place dans l’esprit d’innombrables travailleurs qui sont loin de chez eux en ce mois de ramadan.
Ces ouvriers, qui quittent leur village ou hameau laissant derrière eux leur famille pour gagner leur vie ailleurs, endurent le calvaire en ce mois sacré. Le mal s’accentue quand vient le soir, lorsque le muezzin annonce la rupture du jeûne et que lui, l’ouvrier du chantier, se met devant sa misérable gamelle où flottent quelques graines d’une chorba frick au goût fade ou saumâtre. C’est en ces instants de solitude qu’il essaie, tant bien que mal, de se surpasser, qu’il mesure réellement le degré de l’indéfinissable douleur sourde qui le ronge en silence.
Et la dure épreuve devient insurmontable lorsqu’il sort de sa bicoque après avoir, en un éclair, avalé son repas de fortune et qu’il aperçoit à travers une fenêtre grande ouverte le monsieur de l’immeuble d’en face en train de «casser» le jeûne en compagnie de sa petite famille. Il rentre alors dans sa baraque et allume sa cigarette. «Le plus difficile, ce n’est pas la faim ou la mal vie, mais plutôt le fait d’être loin de chez soi, de ses enfants, de sa famille, cela me tue», soupire Messaoud, la cinquantaine, maçon de son état dans un chantier à Boumerdès. Et entre deux bouffées de tabac respirées et soufflées frénétiquement, il ajoute : «J’en ai marre d’une vie pareille. Parfois, je me dis que je dois tout abandonner et rentrer chez moi, mais le seul fait de penser à mes enfants, à la rentrée scolaire, à leurs divers besoins, j’y renonce. Je suis obligé de continuer, de supporter la situation.» Messaoud, en dépit de la souffrance qu’il endure au quotidien, réagit en philosophe. Il voit souvent la vie du bon côté. Néanmoins, cette philosophie ne peut pas être adoptée par tous les travailleurs qui sont dans la même situation que lui. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont dû s’offrir un congé sans solde pour passer le ramadan en famille… et advienne que pourra. «Ils ont raison, car, en ce mois d’août marqué par une chaleur torride, pousser toute la journée sa brouette et soulever des sacs de ciment, des briques, ou même monter sur un échafaudage pour crépir ou peindre, avec le ventre creux, ressemblent à de la torture», reconnaît-il. En effet, les efforts fournis par ces ouvriers, sous un soleil de plomb, ressemble à un véritable travail de titans. Et le plus pénible, c’est la fin de journée. «Le plus dur, c’est lorsque le muezzin appelle à la rupture du jeûne et que l’on se retrouve devant sa pitance de misère», fait remarquer son ami Abdallah, la quarantaine, ferrailleur. Ce père de famille, originaire de Aïn Defla, a dû, avec ses six camarades de travail, se cotiser pour acheter un réchaud et préparer de quoi rompre le jeûne.
R.K