Vous nous disiez, tout à l’heure, que les gens n’étaient pas contents parce que vous avez perdu la Liga et la Champions League.
Vous avez aussi perdu Guardiola. Quelle a été la perte la plus difficile à digérer pour vous ?
Il n’y pas un échec ou une séparation qui fasse plus mal qu’un autre. Tous les échecs et toutes les séparations font mal. Je n’aime pas choisir entre un échec et un autre comme je n’aime pas choisir entre un titre et un autre. Mais si vous me demandez de choisir entre la Liga, la Champions et Guardiola, j’aurais préféré ne pas perdre Guardiola. J’aurais aimé qu’il reste le plus longtemps possible avec nous parce que j’ai la sensation qu’il est parti à cause de nous. Nous n’avons pas répondu sur le terrain comme il souhaitait qu’on réponde. Nous, les joueurs, nous nous sommes sentis responsables de son départ.
Vous venez de me dire que, pour vous, les titres ont tous la même valeur. Sur les 26 titres que vous avez gagnés avec Barcelone, Séville et le Brésil, n’y a-t-il pas un qui ait une valeur sentimentale plus forte qu’un autre ?
C’est vrai que c’est difficile de choisir un titre par rapport à un autre, mais sentimentalement le premier est toujours très important et le premier a été la Supercoupe d’Europe remportée 3 à 0 avec Séville contre le FC Barcelone (Ndlr. En fait pour jouer la Supercoupe d’Europe, le FC Séville a remporté la Coupe de l’UEFA face à Middlesbrough 4 à 0). Ce titre, personne ne l’avait espéré parce que l’adversaire s’appelait le Barça et qu’il venait de remporter la Champions League avec Ronaldinho. Grâce à notre courage et à notre motivation, nous avons réussi à changer les mentalités à Séville. Les gens ont appris à croire en leur club ; ils ont appris qu’en football, il peut y avoir des surprises.
Lorsque Guardiola a quitté Barcelone, il vous l’a annoncé à vous les joueurs en premier. Que vous a-t-il dit au juste ?
Pep parle toujours avec son cœur. Il a décidé de nous annoncer la nouvelle lorsqu’il a senti que c’était fini. Il a été direct et sincère.
Que vous a-t-il dit ? Vous rappelez-vous de quelque chose de particulier qui vous ait marqué durant son discours ?
Non, je ne me rappelle de rien de particulier parce que la décision elle-même était difficile à accepter par tout le monde. Quand on reçoit une information pareille, tout le reste n’a plus aucune importance pour nous.
Quand vous jouiez à Séville, comment voyiez-vous le Clasico entre le Barça et le Real ?
Je vivais déjà un derby très passionnant entre le FC Séville et le Bétis. Peut-être avec des proportions moins importantes qu’un Barça-Real sur le plan de la qualité des joueurs, du spectacle offert et de la médiatisation, mais c’était un match qui passionnait quand même toute une région d’Espagne. Je dirais même que Séville-Bétis est plus difficile, plus dur que le Clasico.
Quand vous allez en sélection, il vous arrive de chambrer un peu les joueurs du Real après une manita, par exemple ?
Non, jamais ! Vous savez, moi je défends mon club ; je vis ma profession comme quelqu’un qui a faim et qui doit manger. La seule chose qui m’importe dans ma profession c’est de lutter de toutes mes forces pour défendre le maillot que je porte. Si on ne s’attaque pas à moi, je ne vois pas pourquoi je vais m’attaquer aux gens même en plaisantant. Quand je perds un match, je ne suis pas bien et je n’aime pas qu’on me chambre ; je fais donc la même chose avec les autres. Je respecte leurs sentiments.
Vous m’avez dit tout à l’heure qu’un grand club comme le Barça a besoin de faire marche arrière pour mieux rebondir. Pensez-vous qu’avec un écart aussi grand avec le Real Madrid, vous avez déjà rebondi ?
Je pense qu’on est bien, mais il reste encore un monde. On est quand même sur la bonne voie, celle qui nous oblige à chercher la perfection tous les jours, pas seulement durant les matchs, mais aussi aux entraînements. Nous avons les objectifs en face nous et, étape par étape, on va essayer de les atteindre. Après chaque match qu’on joue et qu’on gagne, l’objectif se rapproche un peu plus de nous. S’il y a une continuité dans notre travail, on reviendra dans les sommets et on gagnera de nouveau beaucoup de titres.
Et vous nous ferez plaisir…
Ça va de soit, bien sûr.
Vous jouez avec Messi à Barcelone et avec Neymar en sélection. On sait qu’il est très difficile de comparer deux joueurs de cette qualité, mais on va quand même vous demander de le faire…
La seule différence entre ces deux immenses joueurs est que Messi joue en Europe et Neymar joue au Brésil.
Vous m’avez dit une chose pendant la Copa America 2011, je ne sais pas si vous vous en souvenez…
Je me souviens de tout ce que je dis.
Vous avez dit qu’il y a un joueur aussi fort que Neymar au Brésil, mais qu’on n’en parle pas trop. Vous l’avez même comparé à Zidane. Il s’appelle Ganso…
Je l’ai effectivement dit et j’insiste à le répéter. Quand le ballon arrive dans les pieds de Ganso, il s’endort. Le ballon dans les pieds de Ganso ou de Zidane c’est comme un bébé dans les bras d’une maman ; ils le dorlotent. C’est ça Ganso, c’est ça Zidane, le ballon arrive à leurs pieds et il respire. Ganso est un immense footballeur aux côtés de qui on aimerait tous jouer. Il me rappelle Zidane parce que Zidane a aussi une relation intime avec le ballon. Quand Zidane a le ballon, il donne l’impression de valser avec sa fille de 10 ans. On ne parle pas beaucoup de Ganso parce que sa carrière a, souvent, été stoppée par les blessures ; il doit faire très attention à sa santé pour que sa carrière prenne réellement son envol.
Selon vous, Neymar doit partir en Europe, c’est ça ?
Oui, parce qu’il doit encore être éduqué footballistiquement. Lui et Ganso sont deux immenses joueurs, mais il leur manque encore cette discipline tactique, cette maturité, cette responsabilité de savoir qu’ils sont importants dans une équipe. Neymar doit franchir ce pas en partant en Europe, de préférence à Barcelone.
Ce que vous venez de dire de Zidane nous remplit de fierté ; savez-vous pourquoi ?
Oui.
Pourquoi ?
Parce qu’il est Algérien comme vous.
J’allais vous demander comment vous définissez le jeu de Zidane, mais vous avez déjà presque tout dit… On passe à autre chose, donc.
(il sourit)
Vous avez gagné le championnat du monde des U20. La Coupe du monde, c’est dans un peu plus d’un an. La remporter sur vos terres pour la première fois est-il un rêve pour vous ?
Ce n’est pas un rêve, c’est un objectif. On parle souvent en mal de notre sélection, comme quoi on n’a pas d’équipe et qu’on n’a aucune chance de gagner la Coupe du monde. Des choses pareilles titillent notre orgueil. Nous avons des sentiments ; nous avons un cœur et ça nous fait mal d’entendre tout ça. C’est pour ça que la Coupe du monde 2014 est le plus grand défi de ma carrière.
Vous parlez sans doute des anciens joueurs du Brésil qui n’ont pas été tendres avec la Seleçao…
Même si je ne suis pas d’accord, je respecte les critiques de ceux qui ont fait l’histoire de cette sélection, qui ont laissé une trace dans le football brésilien. Je ne suis pas d’accord parce que ça vient justement de quelqu’un qui sait que gagner un titre est très difficile même pour le Brésil, même pour le Barça, que réussir une simple passe à une coéquipier est devenu très difficile parce qu’il y a l’adversaire, il y a du mouvement sur le terrain. Le football de haut niveau n’est pas facile et cela les anciens le savent très bien. En tant que joueur ou ex-joueur de la sélection, je sais mieux que quiconque que la pression y est terrible, qu’il est très difficile de gagner à tous les coups ; je ne critiquerai, donc, jamais un footballeur. Je peux donner mon point de vue, mais je ne dirais jamais des méchancetés. C’est cela qui m’irrite un peu ; les gens qui nous critiquent sont passés par là. C’est facile de se mettre en face de la télé avec la télécommande à la main et dire : «Ah, il aurait dû centrer au lieu de tirer ; il fallait dribbler…» etc., mais il faut être sur le terrain pour comprendre que le foot est difficile. Le problème au Brésil, c’est qu’on fait vite des comparaisons qui n’ont aucune logique. Après une passe ratée, on commence à parler de ton salaire. «Comment il gagne autant d’argent et il n’arrive même pas à faire une passe ?» On ne peut pas plaire à tout le monde, mais on n’a pas le droit de dire n’importe quoi. Moi, en tant que footballeur, je ne dirais jamais du mal d’un collègue de profession.
Le championnat du monde des U20 vous l’avez joué aux Emirats. Quel souvenir gardez-vous de ce pays ?
Surtout la revanche contre l’Argentine. Ils nous avaient battus au championnat sud-américain et on avait à cœur de prendre notre revanche parce que les Argentins nous avaient bien chambrés comme d’habitude. Nous avons, également, battu l’Espagne qui possédait une grande équipe avec Iniesta, entre autres. C’était un très beau souvenir.
On vous a demandé de nous parler des Emirats.
J’ai été dans plusieurs pays, mais je n’ai pas eu la chance de les visiter parce que dans notre profession, on se déplace surtout pour jouer au foot. J’ai trimballé un peu partout dans le monde au point où je ne me rappelle plus combien de pays j’ai vus. On aura besoin de passer une journée ensemble pour que je me remémore de tout.
On sait que vous êtes très croyant. Comment voyiez-vous l’engagement religieux des joueurs musulmans que vous avez côtoyés, à l’instar de Kanouté, Keïta et Abidal ?
Les trois joueurs que vous avez nommés sont plus que des coéquipiers, ce sont des amis. Ce sont trois personnes que j’aime beaucoup et avec lesquelles j’ai une relation très spéciale. Vous avez oublié Afellay. Je respecte beaucoup ce qu’ils font et je les respecte en tant qu’hommes parce qu’ils sont, eux aussi, très respectueux envers moi, car moi aussi je suis très croyant. On est devenus amis parce que chacun respecte ce que fait l’autre.
L’interview tire à sa fin et on aimerait que vous dites quelque chose aux supporters algériens qui sont aussi des supporters du Brésil…
Je le sais très bien parce qu’à Montpellier, lorsque je regardais en direction des supporters algériens, je voyais beaucoup d’entre eux avec des drapeaux algériens et des maillots de la sélection du Brésil. Ceux qui étaient près du terrain, me disaient : «Nous aimons aussi le Brésil» à chaque fois que j’allais récupérer le ballon. Je leur dis, donc, que j’espère que ce match Algérie-Brésil aura lieu un jour et que les Algériens peuvent apprécier le jeu de leurs deux sélections : l’Algérie et le Brésil.
Ça a été un plaisir, Dani.
Tout le plaisir est pour moi.
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«Tous les footballeurs lisent ce qu’on écrit sur eux»
En plus de Sport qu’il lisait religieusement, il y avait sur la table du bureau de Dani Alvès tous les grands quotidiens sportifs espagnols : El Mundo Deportivo, Marca et As. Prenant l’exemple sur nos joueurs qui disent tous ne jamais s’intéresser à ce que dit la presse, nous avons osé lancer cette question à Dani Alvès au moment des présentations : «Vous avez lu tous ces journaux ?» La réponse était aussi sincère que surprenante : «Vous savez, les footballeurs disent tous qu’ils ne lisent pas la presse, mais en réalité, on ne peut pas s’en passer. Cela peut nous servir ; moi, en tout cas, je lis les journaux, pas tous naturellement parce que sinon je n’aurais même pas le temps de m’entraîner», nous a-t-il dit en souriant avant de se corriger : «Bien sûr, je lis principalement les articles sur mon club».
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«Désolé, mais je mettrai le maillot du Brésil en dessus»
Avant le début de l’interview, Dani Alvès nous a demandé sur quoi allaient tourner les questions et nous lui avons résumé les principaux sujets sur lesquels on allait discuter, notamment le match Algérie-Brésil qui a failli avoir lieu ce 14 novembre. A ce sujet, nous lui avons proposé de mettre les maillots officiels des deux sélections comme toile de fond. C’est, d’ailleurs, lui qui a imaginé le scenario : «On va mettre le maillot de l’Algérie et le maillot du Brésil l’un à côté de l’autre, mais celui du Brésil un peu en dessus, j’en suis désolé», disait-il en rangeant les deux maillots avec son compatriote le cameraman. «Avec les cinq étoiles qu’il y a sur votre maillot, vous n’avez même pas à être désolé», lui avons-nous répondu.
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Il ne quitte ses lunettes qu’une fois que l’interview a commencé
En plus de sa petite taille, ce qui a attiré notre attention avant de commencer à poser nos questions, ce sont les lunettes noires vissées sur le nez du Brésilien. Vêtu d’un jean, d’un chemisier noir et chaussé d’une paire de baskets noire aussi, Alvès n’a enlevé ses lunettes qu’une fois que le cameraman a donné le O.-K. pour que l’interview commence. A la fin et lorsque nous lui avons demandé pourquoi il aimait tant garder ses lunettes, le Brésilien a préféré garder le mystère pour lui : «C’est juste pour ne pas être reconnu dans la rue», a-t-il plaisanté.
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«500 maillots dans son bureau dont celui de l’Algérie 2007»
Dans le bureau où a eu lieu l’interview avec Dani Alvès, nous avons remarqué un nombre impressionnant de maillots officiels (voir photo). Curieux, nous lui avons demandé à qui ils appartenaient. «Je suis un grand collectionneur de maillots et celui de l’Algérie est là. Il y a au moins 500 maillots ici», nous a-t-il dit. «501, avons-nous précisé, avec le maillot qu’on a ramené pour les besoins de l’interview». «Eh bien, je vous remercie beaucoup. En plus, je le trouve plus beau que le premier», nous a-t-il dit en scrutant le Puma flambant neuf de la sélection algérienne.