Daho Ould Kablia «Nos frontières sont bien gardées, bien contrôlées et bien maîtrisées»

Daho Ould Kablia «Nos frontières sont bien gardées, bien contrôlées et bien maîtrisées»

Le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, M. Daho Ould Kablia, est depuis quelques jours sur le devant de la scène, l’actualité du moment étant essentiellement focalisée sur les élections locales qui se dérouleront le 29 novembre prochain. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il a longuement évoqué la préparation de ce scrutin par son département ministériel, les difficultés soulevées par certains acteurs quant à l’organisation de cette prochaine consultation et beaucoup d’autres aspects liés à cette échéance électorale.

Mais, l’essentiel de l’entretien a consisté à l’interroger sur d’autres questions qui relèvent de son département et notamment la gestion sécuritaire et les libertés publiques, la sécurité aux frontières dans un contexte pour le moins brouillé et troublé dans la région sahélienne, le marché parallèle de la devise et ses déclarations qui ont stupéfait plus d’un observateur.

Le Soir d’Algérie : Quelques jours nous séparent du 29 novembre, date du déroulement des élections locales que votre département ministériel a préparées. Pourriez-vous nous indiquer quel est, globalement, le dernier bilan chiffré relatif à ce scrutin ?

M. Daho Ould Kablia : Au titre de l’élection des membres des APC, il y a eu dépôt de 8 405 listes dont 7 900 pour les 52 partis politiques en lice ; 259 pour les partis organisés en alliance et 177 provenant de candidats indépendants. Ces listes réunissent 185 187 candidats, soit 64 974 candidats de plus qu’au scrutin de 2007. Dans les listes de candidatures figurent 31 609 candidates, soit 28 472 femmes candidates de plus par rapport toujours à 2007. Quant à l’élection des membres de l’APW, nous totalisons 592 listes, dont 557 présentées par 50 partis politiques ; 26 parmi des partis organisés en alliances et 35 listes présentées par des indépendants. Le nombre total de candidats pour les APW est de 32 399, soit 12 370 candidats de plus qu’en 2007. Là aussi, les candidatures de femmes — 8 779 — sont en nette progression : 7 215 candidates de plus par rapport au dernier scrutin de même nature.

Le Soir d’Algérie : Combien de listes de candidatures ont été rejetées et quels sont, globalement, les motifs de ces rejets ?

Au titre de l’élection des membres des APC, 5 429 candidatures ont été partiellement rejetées et remplacées par les partis et 43 listes de candidatures ont connu un rejet définitif, autrement dit, confirmé par la justice. Globalement à ce niveau des candidatures APC, les motifs de rejets sont liés aux dossiers incomplets, pièces manquantes ou non conformes, aux doubles candidatures, à la non-inscription sur les listes électorales, à la situation non réglée vis-à-vis du service national ou encore aux conditions d’âge non remplies, enfin aux antécédents judiciaires des candidats. Quant aux candidatures pour les APW, 1 130 candidatures ont connu un rejet partiel (remplacées par les partis) et 23 listes de candidatures ont connu un rejet définitif, confirmé par la justice. A ce niveau, le motif des rejets est lié essentiellement au non-respect du nombre de femmes exigé par la loi. Il faut en effet souligner qu’au niveau communal, l’exigence de 30% de femmes dans les listes ne s’applique qu’aux communes, chefs-lieux de wilaya et de daïra et de manière générale les communes qui ont plus de 20 000 habitants, alors que pour les APW, le pourcentage de 30% est une exigence absolue.

Quelles sont, eu égard aux listes de candidatures présentées, les formations politiques qui ont le taux de pénétration territorial le plus élevé ?

Sur un total de 8 562 listes présentées, les partis dont le nombre de listes est le plus élevé sont, dans l’ordre, le FLN (1 520 listes) suivi par le RND avec 1 477 listes et loin derrière ces deux partis, le Mouvement populaire algérien avec 632 listes, le Parti des travailleurs, 521 listes, et le Front national algérien, 472 listes. La liste est longue et la suite de celle-ci est constituée d’une dizaine de partis qui totalisent des chiffres qui vont de 300 à 100 listes et plus de 25 partis entre 99 et 20 listes et enfin quelques partis qui n’ont pu présenter que 2 à 10 listes. L’on relève que les partis qui présentent peu sont essentiellement les nouvelles formations qui n’ont pas encore d’ancrage profond dans le territoire, leurs formations étant toutes nouvelles.

La Commission nationale indépendante de surveillance des élections locales a été installée par vos soins le 17 octobre dernier. La direction en est assurée, comme lors des élections législatives de mai dernier, par M. Seddiki. Ce dernier s’est élevé contre ce qu’il considère comme «des transgressions et des dépassements observés tout au long de la préparation de ce scrutin ». Il rajoute aussi que jusqu’à présent, les recommandations qu’il avait faites à l’issue du scrutin législatif n’ont pas été prises en compte. Comment, dès lors, peut-on accorder du crédit à ces élections et que peut offrir ce système de «commission indépendante » si d’un scrutin à l’autre, ses recommandations ne sont pas prises en compte ?

Je dis simplement que je n’ai pas besoin de lui répondre parce qu’il porte dans ses propos les germes directs qui minimisent la crédibilité de cette institution en allant battre des sentiers qui n’ont rien à voir avec son rôle.

Vous ne pouvez ignorer, Monsieur le Ministre, que cela participe aussi à décrédibiliser le scrutin auprès de bons nombre de citoyens ?

Ça fait désordre en effet mais les partis qui sont représentés dans cette commission en ont conscience et se démarquent souvent de cette position équivoque et unilatérale de leur président. Sur les problèmes, par exemple, de l’encadrement qui nécessite de doubler les effectifs dans les bureaux, le scrutin étant double (APC et APW), comment en effet répondre à notre ami Seddiki de la Cnisel qui dit souhaiter que tous les encadreurs soient pris dans le corps des enseignants ? C’est d’abord discriminatoire et ensuite comment trouver les 80 000 enseignants ?

Après la réponse que le Premier ministre a faite à la lettre que M. Seddiki lui a adressée, il semble que le Premier ministre a réussi à l’apaiser. Des promesses lui ont-elles été faites, et si oui, lesquelles ?

J’ai lu effectivement çà et là que M. Seddiki «rentrait» dans les rangs après que le Premier ministre lui eut fait des promesses. Ce que je peux vous dire, c’est que M. le Premier ministre m’a dit «tu es responsable du volet élections locales». Aussi, j’assume cette responsabilité en appliquant la loi, un point c’est tout. J’ajoute ceci : toute cette agitation déstabilise la commission mais pas les élections. Vous aurez remarqué que la commission de supervision, formée de juristes aux qualités professionnelles affirmées, s’est rapidement attelée à la tâche qui lui a été confiée. Elle a des dossiers très sensibles dont la révision des listes électorales par exemple. Elle fait son travail et ne cherche pas de polémique. Les enjeux locaux sont tellement importants. Si effectivement dans les grandes villes ce type de polémique est entretenu, à l’intérieur du pays, croyez-moi, ça ne se passe pas ainsi et ça se bat très fort pour ce scrutin.

Justement à propos de cet intérêt des électeurs, il y a quelques semaines vous aviez évoqué un certain désintérêt pour ce scrutin. Vous aviez rajouté alors qu’un taux de participation de 30 à 45% constituerait «une participation correcte». Êtes-vous toujours dans ces estimations ?

J’ai plutôt dit qu’entre 40 et 45%, ce serait un sujet de satisfaction.

En fait, cela ne fera que la moitié du corps électoral.

Oui, parce que c’est la barre que l’on a jamais pu atteindre dans ce genre de scrutin.

Que répondez-vous à tous ceux qui, aujourd’hui, sont convaincus que l’on aura jamais, pour l’instant, d’élections loyales, transparentes, sans fraudes ?

La fraude est combattue officiellement et globalement. L’Algérie n’est toutefois pas la Suède. L’on ne peut avoir des élections à 100%… Il y a 48 000 bureaux de vote, 180 000 candidats. Des petits problèmes, il y en aura mais l’essentiel réside dans le fait que quel que soit le choix des personnes, tout se jouera au niveau du dépouillement et de l’établissement des résultats. Pour cela, le maximum de garanties est là. Maintenant pour ce qui est de la transparence, nous donnons à tous les partis les mêmes chances. Il y en a évidemment certains qui partent avec des handicaps, c’est certain. Certaines formations, celles qui ne présentent que 2 listes, cela veut dire, pour ce qui les concerne, qu’elles n’ont pas totalisé plus de 30 élus, la moyenne par commune étant de 15 élus. Ceux qui nous disent qu’ils ne partent pas avec les mêmes chances, entre autres qu’ils n’auraient pas d’argent, je réponds qu’il y a un début à tout.

Est-ce que tout cela ne résulte pas de la précipitation avec laquelle certaines petites formations ont été agréées, créant pour le moins une dispersion ?

La loi électorale a été approuvée en janvier et pour éviter que je ne sois considéré comme l’homme faisant barrage à la création des partis, nous les avons agréés, en tout cas tous ceux ayant présenté un dossier complet. Cela a été fait dans un délai très court, leur faisant ainsi gagner du temps. Mais nous n’avons pas fait de concessions sur les documents obligatoires pour qu’ils soient agréés. Maintenant, ils n’avaient évidemment pas le temps de se préparer pour cette échéance électorale. Ces partis naissants se construisent et ne vivent pas pour un scrutin mais pour toute une vie. S’ils veulent survivre, il leur appartient de faire les efforts nécessaires.

Dans les discours que vous produisez sur la question sécuritaire, l’on ne retrouve plus les bilans périodiques qui se limitaient alors à donner le nombre de terroristes appréhendés ou tués et le nombre «résiduel» restant au maquis. Vous y développez, et c’est nouveau, un lien – terrorisme-grand banditisme – qui fait penser que la gestion du terrorisme a pris une autre ampleur. Qu’en est-il au juste ?

Sur la question sécuritaire, de mon point de vue, il n’est pas nécessaire de dresser des bilans sur le nombre de terroristes neutralisés, éliminés ou arrêtés. Ces statistiques existent, elles sont produites et communiquées régulièrement par les services compétents de l’armée ou de gendarmerie ou encore les services de police. Maintenant vous remarquerez que malgré le nombre réduit de terroristes, l’activité et l’effort des services de sécurité, en particulier en ce qui concerne l’armée, sont toujours aussi soutenus. C’est toujours les grands moyens qui sont utilisés dans les régions sensibles que ce soit en Kabylie, dans la région de Jijel ou dans la partie Ouest des Aurès. Dans ces régions, l’armée emploie de grands moyens, ce qui est coûteux, mais l’armée continue sa mission. Même s’il restait demain seulement 2 terroristes, ce serait les mêmes efforts et moyens qui seront engagés, l’objectif étant d’éradiquer totalement ce fléau.

Le lien terrorisme-grand banditisme est-il la résultante de la démission de l’Etat, observée ces dernières années dans certaines régions et notamment dans le Sud et en Kabylie qui connaît un développement sans pareil des kidnappings suivis de demandes de rançons, ou est-il le fait d’un argent colossal qui circule et de proliférations d’armes venues de toutes parts et sur lequel l’Etat ne semble pas avoir prise ?

Comme je vous l’ai dit, il y a des régions plus sensibles que d’autres, notamment la Kabylie compte tenu de considérations géographiques et compte tenu du fait que les terroristes ont constitué des réseaux de soutien, parce que sans soutien, ces terroristes ne peuvent pas perdurer. Il y a aussi le fait que depuis 2001, la gendarmerie chargée de la lutte contre le banditisme et le terrorisme n’opère plus dans cette région. Il y a un malentendu qui existe entre la population et ce corps. C’est un malentendu qui a ses justifications. Il ne s’agit pas de revenir sur le passé mais il faut bien que ce corps puisse s’installer et travailler parce qu’il travaille dans l’intérêt du citoyen et pour assurer la sécurité dans cette région, ce que réclame la population. Le banditisme est né d’abord en Kabylie à la faveur de ce vide des services de sécurité. Ce n’est pas une absence de l’Etat, c’est l’absence d’un corps de sécurité qui fait que certains ont été encouragés à commettre des actes qui ressemblent et qui peuvent être assimilés à des actes terroristes. Nous avons vu des faux barrages érigés par des non-terroristes ; des kidnappings qui n’étaient pas le fait de terroristes ; il y a des règlements de comptes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. Tout cela est effectivement pour nous très préoccupant. L’on a beaucoup renforcé les moyens de la police nationale et créé des structures dans des régions qui n’en avaient pas. A Tizi-Ouzou, pour remettre de l’ordre et en particulier pour lutter contre le banditisme et cela donne de bons résultats puisque la ville, qui était livrée aux bandes, voit l’ordre rétabli. Ceci dit, la situation risque de perdurer si l’impunité persiste.

C’est quoi au juste cette impunité ? Comment s’exerce-t-elle et par qui ?

J’ai eu à parler de «non loi». C’est essentiellement notre code pénal qui est trop permissif. Des gens m’ont dit que je critiquais le travail des juges, ce n’est pas tout à fait le cas. Notre code pénal devrait être plus sévère, notamment vis-à-vis des récidivistes. J’attire l’attention, et j’ai eu déjà à le faire, sur le fait que 40% des faits délictueux sont l’œuvre de récidivistes. Par ailleurs, les peines ne sont pas assez lourdes pour les contrebandiers. Alors qu’il y a quelques années, les saisies de drogue étaient de quelques kilos, Aujourd’hui, c’est par tonnes que nous saisissons des drogues, notamment le cannabis qui vient de nos frontières. Cela, bien sûr, nous coûte dans la mesure où nous avons fortement renforcé nos structures de lutte contre la contrebande aux frontières avec plus de 5 000 éléments. Il y a toutefois parmi les populations des gens qui tirent profit de cette contrebande.

A propos des services de sécurité, comment qualifieriez-vous vos éléments et comment évaluez-vous leur action sur le terrain ?

Le résultat de l’action est plus que satisfaisant. Là où nous péchons, c’est au niveau de la prévention. Au niveau de la répression des crimes et délits, les services de sécurité d’une manière générale, tant la police que la gendarmerie, sont d’une efficacité totale. Aucun crime ne reste impuni plus de quelques jours. Cela est aussi le résultat de l’utilisation de moyens technologiques tels que l’ADN et d’une meilleure analyse de différents indices. Personne ne peut échapper à l’interprétation que nous offrent ces moyens. Le fait, par ailleurs, qu’il y ait une présence massive dans les grandes villes de nos éléments qui assurent une proximité avec la population, y compris dans les quartiers dits sensibles, contribue aux bons résultats. La police jouit aujourd’hui d’un taux de confiance appréciable, d’autant plus que depuis les événements de janvier 2010, la police a montré qu’elle n’était pas là pour réprimer. C’est elle qui a pris les gros coups et subi les plus grands dommages en blessés. Elle se contrôle, se maîtrise et il est très rare qu’on arrive à des dépassements où les services de sécurité font preuve de violence. Ils peuvent faire preuve de violence lorsqu’ils sont face à une résistance violente.

Vous dites que la prévention est le maillon faible. Pour l’exercer, pouvez-vous le faire seul ? Dans ce domaine en particulier, ne faut-il pas travailler de concert avec d’autres départements ministériels ou d’autres institutions ?

La prévention est effectivement l’œuvre de tous. Nous avons des observatoires, des sociologues qui analysent les faits sociaux ; le pourquoi de ces faits ; l’incidence du chômage sur l’insécurité, l’incidence de la mal-vie sur les faits enregistrés… Tout cela a évidemment un lien mais les services de police et l’administration seuls ne peuvent régler la totalité des problèmes. La population doit y prendre part ; la société civile se doit d’interférer. Il y a des associations qui doivent inculquer aux citoyens ce qu’il est bon de faire et ce qui ne l’est pas. L’école doit doit être une école de prévention. La mosquée doit également jouer un rôle dans la prévention.

Est-ce qu’on y est ?

En tout cas, on y va.

Les conditions de vie déplorables de vastes pans de la population conduisent ces derniers à sortir manifester leur colère et leur ras-le bol, à tenter de se faire entendre et demander que justice leur soit rendue. Emeutes, destructions d’édifices symboles de l’Etat et vies mises en péril dans des embarcations de fortune ont été observées dans notre pays, notamment ces deux dernières années. En guise de réponses, des interdictions de manifester sont prononcées, des arrestations violentes sont effectuées et parfois même des atteintes aux droits sont signalées. Quid de la Constitution qui consacre, dans son article 33, le respect des droits de la personne et des associations ?

On n’interdit pas de manifester pour la simple raison que ceux qui manifestent ne demandent jamais l’autorisation, contrairement à l’esprit de la loi. Ensuite, ce sont le plus souvent des manifestations spontanées et la plupart du temps sans motif apparent. Une liste de logements sociaux affichée, le courant électrique coupé ou qui ne passe pas, un dos-d’âne mal placé, l’eau qui n’arrive pas et c’est autant de manifestations. Il y a des moments où cela se justifie. La population réagit à l’instinct et la protesta est maintenant ancrée dans l’esprit des citoyens. Nous œuvrons pour la réduire.

Ne pensez-vous pas que si les citoyens choisissent la rue, c’est qu’ils ne se sentent pas entendus par les autorités ?

C’est possible qu’ils ne soient pas entendus. Tous les efforts que je fais personnellement, c’est de pousser les autorités à recevoir les gens, à les écouter, à prévenir mais ce n’est pas chose facile. Je peux, pour ce qui me concerne, contrôler ce que font les walis, je leur demande des comptes-rendus ; je peux contrôler les 500 chefs de daïra mais il y a 1 500 présidents d’APC et des dizaines de milliers d’élus qui sont en contact avec la population. Mettre un policier derrière chaque personne pour voir s’il répond ou non à l’attente des citoyens est un objectif utopique. Nous avons facilité beaucoup de choses au niveau du service public, de l’état civil. Il n’y a plus les grandes colères pour un papier quelconque. Tout cela nous permet de dire que nous allons dans le bon sens pour faciliter la vie aux citoyens en améliorant le service public.

Vous avez déclaré à Oran, que vous alliez mettre tout en œuvre pour la résorption du commerce informel et la régularisation de la situation des milliers de vendeurs à la sauvette avant le Ramadan 2013. L’opération a démarré. Où en êtes-vous dans cette action ?

Là aussi je suis satisfait de ce qui a été fait. L’action n’a pas démarré d’aujourd’hui. Déjà au cours de l’exercice 2011, nous avons inscrit la réalisation de 290 marchés et pour 2012 la création de 290 autres, ce qui nous fait un total de 534 marchés de proximité. 635 sites informels ont été éradiqués à fin septembre et sont en cours de redéploiement.

Vous «éradiquez», Monsieur le Ministre, mais après ? Où va toute cette jeunesse sans travail ? Grossir la cohorte de chômeurs ?

Il y a 7 391 jeunes commerçants déjà recasés. La deuxième tranche 2012 va nous permettre de redéployer 11 079 jeunes commerçants. Ensuite, il y a les sites de marchés qui sont en cours de réalisation et qui devront concerner 20 189 jeunes. Au total, 38 689 intervenants seront redéployés d’ici le Ramadan 2013. En plus de ces deux actions, deux autres programmes vont venir s’y greffer. Nous avons récupéré 5 900 locaux du programme 100 locaux par commune qui n’ont pas pu être réalisés pour des raisons objectives (pas d’assiette). Les crédits correspondants vont être affectés exclusivement aux jeunes qui exerçaient le commerce informel. D’ici fin 2013, il y aura de la place pour 80 000 jeunes commerçants qui auront été redéployés.

C’est sûrement une bonne opération mais ne fallait-il pas en même temps, parallèlement ou bien même avant, s’attaquer aux gros bonnets, aux importateurs qui, en toute impunité, fournissent ces jeunes malheureux, et ce faisant, déstabilisent l’économie nationale ?

Nous sommes liés par des accords internationaux. L’accord d’association avec l’UE qui a prévu la réduction des droits de douane et la liberté du commerce international. Le problème est de vérifier que les marchandises qui entrent légalement dans notre pays sont, selon l’expression consacrée, des produits «loyaux et marchands». Evidemment, si l’on parle de ceux qui ramènent les cabas de Dubaï, d’Istanbul ou de Shanghai, il y a là un travail à faire pour essayer d’endiguer ce phénomène. C’est là un travail de plus grande envergure et de longue haleine. Pour l’instant, dans cette action de lutte contre l’informel, nous cherchons à redonner leur dignité aux jeunes qui sont exploités : beaucoup d’entre eux travaillent pour le compte de commerçants qui ont fermé leurs locaux préférant déployer leurs marchandises dans la rue. Cette opération, contrairement à ce qui pourrait être compris, entre dans le cadre global de lutte contre le chômage et aussi dans celui relatif à la remise en ordre et à niveau de l’espace public. Moi, en tant que ministre de l’Intérieur, je suis chargé de remettre de l’ordre dans la société et faire appliquer la loi partout.

Nous arrivons, Monsieur le Ministre, à la grande question qui fâche, celle qui a fait et fait encore couler beaucoup d’encre. Votre déclaration le 20 octobre dernier sur le marché parallèle de la devise a fait grand bruit pour ne pas dire stupéfié beaucoup de monde. Vous y avez notamment dit «il est facile d’éradiquer le marché noir de la devise en une seule journée. Mais le citoyen y trouve son compte tant qu’il n’existe pas de bureaux de change». Venant d’un ministre de la République, qui plus est dit faire la lutte contre l’informel son credo, cette déclaration interroge, pour le moins.

La question m’a été posée par un journaliste sur la quinzaine de jeunes qui pratiquent le change à la place des Martyrs, et ce, dans le prolongement des actions contre l’informel d’une manière générale. J’ai dit que cette activité est illégale mais que faute d’une solution légale, il est difficile d’y toucher pour le moment. Le marché des devises d’une manière illégale ou parallèle existe de manière globale. Les officines qui le pratiquent et les autres moyens d’importance sont plus ou moins connus et les services de sécurité ont obtenu des résultats notables pour le réduire. Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu’au cours de l’année écoulée, par exemple, 800 000 Algériens ont quitté le pays par voie terrestre et autant par voie aérienne. Cela a un coût. Alors comment font-ils ? Ils ont recours à tous les artifices. Ce n’est pas avec les 130 euros de change officiel qu’ils peuvent voyager, se soigner, acheter des médicaments, accomplir leur devoir religieux. Ces besoins font partie intégrante de leurs droits et de leur bien-être. L’Etat et les autorités monétaires en particulier doivent en tenir compte et trouver une solution légale à cette situation illégale. J’ai vu que mes propos ont fait bouger les choses, tant mieux. Mais, dire que j’encourage l’atteinte à l’économie nationale, le blanchiment d’argent ou la fuite des capitaux est tout simplement indécent. Il semblerait, d’après ce qu’en a dit M. le Gouverneur de la Banque centrale devant les députés, qu’ils allaient revoir tout cela. Ils ne l’auraient pas fait si le pavé n’avait pas été lancé dans la mare par Ould Kablia. Je réfléchis et j’agis en homme public mais aussi en citoyen.

Avec le développement que connaît la situation dans la région ; l’intervention militaire qui se prépare au Mali, l’Algérie va connaître, malgré elle et quoi qu’elle fasse, de lourdes conséquences sur son propre territoire. Cette situation interpelle naturellement en premier lieu le ministère de la Défense qui semble s’y préparer. Elle concerne aussi votre département. Quel type d’impacts sur la population algérienne aux frontières et à l’intérieur du territoire une intervention militaire pourrait-elle engendrer ?

La position de l’Algérie a souvent été réaffirmée par M. le Ministre des Affaires étrangères. L’Algérie ne souhaite pas l’intervention militaire. La priorité pour notre pays est de trouver une solution politique pour régler définitivement le problème de l’unité territoriale du Mali. Il faut que les Touareg du Nord renoncent à leurs idées de sécession. L’Algérie s’y emploie. Actuellement, il n’y a pas de pouvoir légal à Bamako. Une fois ce problème réglé, et à mon avis il le sera, éradiquer le terrorisme et les narcotrafiquants dans le Nord sera facile parce que ce sera l’autorité centrale malienne unifiée et les riverains qui pourront coordonner leurs efforts pour venir à bout des subversifs et des trafiquants. Evidemment, si les gens s’imaginent qu’il faut réinstaurer l’autorité centrale sur le Nord par la voie de la guerre, cela aura des conséquences très graves. Dans ce cas de figure, il sera très difficile de faire regagner le bercail par les gens du Nord. Et si cette guerre affecte directement ou indirectement les populations touareg du Nord, nous avons chez nous aussi des populations touareg qui ont des liens très forts avec ceux du Nord-Mali et, de ce fait, cela risque de compliquer les choses. C’est ce que l’Algérie tente d’empêcher en demandant à ce que l’on règle d’abord les problèmes politiques. Au plan de la sécurité, les arguments avancés consistant à dire que le Sahel va devenir un autre Afghanistan ne tiennent pas debout.

Pourtant, les perspectives d’Afghanisation du Sahel semblent tellement plausibles et tellement proches.

Il y a combien de terroristes et de narcotrafiquants au Sahel ? Quel est leur nombre ? Ça ne dépasse pas 2 000 à 3 000. Ils sont forts maintenant parce qu’ils ont le pouvoir des armes sur une population désarmée du Nord. De plus, cette population connaît la famine et est privée de liberté.

Et l’impact sur notre pays ?

Le débordement éventuel de la guerre sur notre pays ne peut arriver. Nous avons des frontières bien contrôlées, bien maîtrisées. Le terrorisme n’entre pas chez nous par les frontières. Des moyens suffisants sont mis en place pour empêcher toute velléité de rentrer.

Et pourtant, il y a eu des tentatives d’incursion.

Oui, des tentatives avortées.

Quelle est votre réaction à la reconnaissance par François Hollande de la répression des manifestations d’Algériens le 17 Octobre 1961 à Paris ? Cette reconnaissance va-t-elle, selon vous, permettre de tourner une page ou alors est-ce une simple étape qui devra en amener d’autres et lesquelles ?

D’abord, la reconnaissance des crimes commis à Paris par les autorités policières françaises est un problème interne, français. Si le président français y a fait allusion, c’est en quelque sorte pour laver la conscience de l’Etat français des crimes qu’il a commis sur son territoire. C’est donc un peu pour exorciser le démon interne français. Ce n’est pas…

Excusez-moi, Monsieur le Ministre, mais si c’est un problème franco-français pourquoi, chez nous, des organisations mais aussi un membre du gouvernement demandent à ce que la France aille plus loin dans la reconnaissance et/ou, en en se repentant ou en présentant des excuses ?

La guerre d’Algérie est une chose et ce qui c’est passé sur le territoire français n’est pas autre chose mais doit être examiné sous un angle différent. Il s’agit d’autorités légales françaises qui ont commis un crime qui a été occulté jusque-là, dont on a minimisé les bilans, minimisé l’action criminelle de la police. Aujourd’hui, cela se dit en plein jour, et c’est tant mieux. C’est à mettre à l’honneur du président Hollande qui, comme je l’ai dit tout à l’heure, tient d’abord à sauver l’honneur de la France dans ce cas précis. Maintenant, la guerre d’Algérie, c’est autre chose. La France est entrée par la force dans notre pays, s’y est déployée par la force et s’y est maintenue par la force sur toute la période d’occupation, de 1830 jusqu’à 1962. Partant, c’est de l’action criminelle du colonialisme qu’il s’agit et qui non seulement détruit les sociétés, avilit les personnes et s’accapare de leurs richesses. Il se trouve que durant la période 1954- 1962, les choses sont allées très loin avec des massacres collectifs, de la torture, du génocide. Tout cela, l’Etat français l’a fait et l’a couvert. Le général de Gaulle a essayé de faire comprendre que l’armée française en Algérie obéissait à ses propres instincts, à ses propres automatismes mais cela n’exclut pas que la responsabilité de l’Etat français soit totale. Maintenant se repentir, cela veut dire quoi ? Demander des excuses, cela veut dire quoi aussi ? Moi, sincèrement, je pense qu’il faut dépasser tout cela. Moi, je n’exprime pas une position officielle mais ma position personnelle sur ce sujet. Je considère que ces choses-là sont dépassées. La parenthèse est fermée. Comme on l’a toujours dit. Il faut tourner la page mais sans oublier le passé. Car les souffrances, les sacrifices nous les avons consentis pour libérer le pays. Nous avons obtenu ce résultat, ça fait maintenant partie de l’Histoire. Aujourd’hui, il faut envisager l’avenir et je pense que ce n’est pas en ressassant perpétuellement les mêmes demandes, les mêmes exigences que l’on fera avancer les choses.

La visite qu’a effectuée récemment à Alger Manuel Valls, votre homologue français, devait préparer et baliser avec les autorités algériennes la visite d’Etat que doit effectuer François Hollande dans notre pays. Entre les deux pays, des points très sensibles non encore réglés subsistent. Parmi ces questions, l’accord bilatéral de 1968 n’est pas des moindres. A quelles conclusions est-on arrivé sur ce dossier ?

C’est une question qui ne concerne pas uniquement le département de l’intérieur. Tout ce qui touche les relations consulaires, les problèmes de circulation et d’établissement des personnes est essentiellement du ressort du ministère des Affaires étrangères, en relation naturellement avec l’intérieur. Pour ce qui me concerne, j’ai reçu M. Valls dans un entretien qui n’a pas excédé une heure. Nous avons beaucoup plus centré nos échanges sur la coopération sécuritaire, la formation, l’échange d’expériences. Sur ces aspects, mon homologue a promis de faire accélérer beaucoup d’accords qui ont été passés entre les deux parties, notamment au plan de l’assistance et de la formation. Toutefois, comme il était chargé d’une mission de préparation de la visite de M. Hollande, il lui a été clairement exprimé – et c’est là la conclusion de tous les entretiens semi-officiels ou officieux – entre les deux délégations depuis quelque temps, qu’il n’est pas question de revenir sur l’accord bilatéral de 1968. Il faut savoir que c’est un accord qui a pris le relais des accords d’Evian qui n’ont pas été appliqués comme il se devait du fait du départ massif de la minorité française. Maintenant, ce que les Algériens ont obtenu en 1968 comme avantages liés à la circulation et l’établissement en France est le fait d’une situation historiquement connue. Les Algériens ont participé aux côtés de la France au cours des deux Guerres mondiales en versant leur sang dans ces guerres, aux côtés des Français. Ils ont contribué à la construction et au développement d’un pays qui était pratiquement par terre après la guerre. Leur présence est historiquement fondée. Ils ont donc des droits que ne peuvent pas remettre en cause les accords de Schengen du fait de leur antériorité et de leur spécificité. Aussi, nous avons toujours dit que l’on ne discute pas de ce fait. La partie française propose aujourd’hui des avenants à cet accord mais qui vont dans le sens du confortement de cet accord et non de sa remise en cause.

Jusque-là, ce n’était pas ce que souhaitait la France qui voulait introduire des avenants pour aligner les ressortissants algériens sur le droit commun.

Oui, avant, mais plus maintenant. Non seulement il n’y a plus de velléité de remettre en cause l’accord de 68, mais mieux encore, la partie française a la volonté de conforter et dynamiser cet accord en faveur des Algériens.

A l’issue de sa visite en Algérie, Valls a souligné «la convergence de vues sur la lutte contre le terrorisme» et relevé la très bonne coopération entre vos deux départements, notamment sur les aspects formation. Pourriez-vous nous préciser ces points ?

Pour ce qui concerne la coopération dans le domaine sécuritaire, il y a des progrès immenses qui sont faits. Aujourd’hui, nous envoyons nos cadres sécuritaires qui sont placés au sein même des structures françaises, pour qu’ils s’imprègnent du fonctionnement et nous recevons bon nombre de leurs cadres pour certaines affaires.

Quel type d’affaires, par exemple ?

Des affaires Interpol par exemple sur lesquelles nos éléments travaillent avec leurs collègues en toute transparence et dans un parfait esprit de collaboration. Maintenant, nous voulons passer à une deuxième phase qui consiste en la formation des cadres administratifs et en l’assistance en direction de l’Ecole nationale d’administration et en direction de la formation administrative territoriale. Cette formation se fera essentiellement sur les métiers nouveaux de la ville et du service public. Nous avons besoin qu’ils nous forment des formateurs parce que nous allons déployer une stratégie de formation à grande échelle pour améliorer le rendement de l’administration territoriale. Cette coopération est utile. Il y a lieu de la densifier et de l’approfondir dans l’intérêt de notre secteur.

K. B.-A.