« La situation est contenue ». « La page est tournée ». Ce sont deux déclarations du ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia faites dimanche à l’APS et à l’AFP, au moment où le pays est toujours sous tension et les émeutes se poursuivent encore dans certaines wilayas du pays. Par ailleurs, le ministre qualifie les jeunes algériens d’ « extrêmement nihilistes et pessimistes »
En effet, après un mutisme officiel qui aura duré plus de trois jours, le ministère de l’intérieur devient loquace depuis samedi 8 décembre. Après un enregistrement diffusé par l’ENTV au JT de 20h00 de samedi dernier, Daho Ould Kablia a accordé dimanche un entretien à l’APS pour affirmer la maîtrise de la situation par les services de sécurité et la fin de la contestation sociale.
« A l’heure actuelle, la situation est contenue et les services de sécurité font tout avec intelligence et fermeté pour éviter les dérapages et les chocs violents avec les émeutiers », déclare-il. C’est ce qu’il confirme, dans l’après-midi, dans une nouvelle déclaration faite cette fois-ci à l’AFP.
« Nous considérons, de notre côté, que la page est tournée. A l’heure actuelle, il y a encore quelques petits incidents à Boumerdès (centre), Bejaia (est) et Tlemcen mais les choses rentrent dans l’ordre », affirme-t-il. Selon le ministre, les autorités avaient commencé à réparer ce qui est réparable, en priorité les écoles et tous les établissements publics qui sont en contact avec le public. Il a estimé que les dégâts provoqués par les manifestants étaient « immenses » mais aucune évaluation exhaustive n’est encore faite.
Trois morts et 800 blessés
Ce faisant, le ministre donne le bilan officiel des émeutes. Il a affirme que les affrontements entre manifestant et agents de l’ordre se sont soldé par 736 blessés parmi les forces de l’ordre et 53 blessés parmi les émeutiers. Le ministre a confirmé, dans ce sens, la mort de trois personnes : une à M’Sila, une à Bousmail et une autre à Boumerdes. « Mais contrairement à ce qui a été rapportés par certains médias, hormis le cas de la victime de Boumerdes retrouvée calcinée dans un hôtel de Tidjelabine brûlé par les manifestants, les causes des décès des autres victimes ne sont pas encore connues », estime-t-il dans l’entretien qu’il a accordé à l’APS.
A la question de savoir si les autorités avaient anticipé ces violences et si la flambée des prix est à l’origine des violences ou s’il y a eu manipulation, le ministre de l’Intérieur répond d’une manière confuse.
Ce qui s’est produit jeudi écoulé est de l’avis général sans relation avec ces aspects socio-économiques »
Selon lui, la révolte n’a aucun rapport avec le marasme socio-économique des Algériens. « Ce qui s’est produit jeudi écoulé est de l’avis général sans relation avec ces aspects socio-économiques et je dirais, sans commune mesure, avec une démarche calme et réfléchie, seule voie pour exposer les problèmes », a-t-il jugé à l’APS. « On ne peut nier, à l’évidence, qu’on avait connaissance depuis peu de temps que le renchérissement des prix, souvent inexpliqué et artificiel, avait produit un impact négatif et suscité, par conséquent, une inquiétude au sein de toutes les couches, et pas seulement celles défavorisées constituant notre société », a-t-il ajouté. Donc, le ministre accrédité la thèse d’une émeute du sucre et de l’huile.
Il reconnaît, dans ce sens, que cette hausse brusque et brutale des produits a coïncidé avec l’augmentation récente des salaires avec un effet rétroactif depuis 2008 décidée par les pouvoirs publics.
Procédure du flagrant délit appliqué pour les personnes arrêtées
Outre les morts et les blessés, le ministre parle d’un millier de manifestants arrêtés, dont des mineurs. « Les autorités avaient relâché beaucoup de mineurs avec procès verbal de remise aux parents », explique-t-il. Le reste des personnes arrêtées, a –t-il ajouté, seront jugés. « Les manifestants impliqués dans des blessures graves et dans des attaques contre les citoyens relèvent des cours criminelles et seront jugés en flagrant délit », a-t-il souligné.
Cette procédure de « flagrant délit » consiste, comme le stipule le code pénal, à juger les personnes mises en cause deux jours au maximum après leur arrestation. Les manifestants risquent d’être condamnés à des peines allant de 1 à 2 ans de prison ferme.
Dimanche, des centaines de personnes devaient être présentées devant les tribunaux pour y être jugés et encourent de lourdes peines. Le RCD de Said Sadi a condamné ses arrestations et exigé des autorités la libération de tous les détenus.
Les jeunes Algériens qui manifestent sont « extrêmement nihilistes et pessimistes »
Nés ou ayant grandi dans les années 90, la décennie de la confrontation entre les forces de sécurité et les islamites, les jeunes Algériens qui manifestent sont « extrêmement nihilistes et pessimistes », a jugé le ministre à l’AFP.
« C’est une génération différente des précédentes, avec évidemment les mêmes conditions de malvie mais avec une dose de violence plus importante née dans la décennie 90 », analyse M. Ould Kablia.
Ali Belhadj « été pris à partie par des jeunes » à Bab El Oued
Interrogé sur le rôle de dirigeants islamistes dans ces manifestations, le ministre a estimé qu’ « ils ont échoué totalement dans leur tentative de récupérer » le mouvement.
Il a notamment souligné que l’ancien numéro 2 du Front Islamique du Salut (FIS, dissous), Ali Belhadj, « été pris à partie par des jeunes » à Bab El Oued, le quartier d’Alger où il était l’idole des jeunes en 1990, les attirant par des dizaines de milliers par ses prêches incendiaires. « Son audience est maintenant très limitée », a répété le ministre.