Crise financière mondiale : La face cachée de la guerre des monnaies

Crise financière mondiale : La face cachée de la guerre des monnaies

Une chose est sûre, depuis le début de la crise financière mondiale, tout porte à croire que le monde est en train d’évoluer à un rythme effréné. Les observateurs les plus perspicaces n’ont pas hésité à prédire que cette crise laissera des traces durables et qu’elle constitue bel et bien un tournant décisif.

Cette vision, certes diffuse mais structurée, était partagée en filigrane par les gouvernants des pays touchés par la crise. D’abord, les Etats-Unis ont adopté un profil bas car la crise est née (chez eux) et a explosé sur le reste du monde. L’Allemagne, par la voix de son ministre des Finances de l’époque a déclaré que les Etats-Unis vont perdre, avec cette crise, leur statut de superpuissance financière. Le Président français était allé encore trop loin en observant que les Etats-Unis ne sont plus la seule superpuissance au monde et qu’il fallait revoir le statut du dollar.

Ces prises de position proviennent pourtant de pays amis et alliés de l’Amérique. Cependant, la position la plus structurée et tournée vers l’avenir, est venue de la Chine qui, d’emblée, par la voix du gouverneur de la Banque centrale a posé le problème du dollar comme liquidité internationale. Elle a donc proposé une liquidité internationale qui se substituerait tout simplement au dollar. A l’époque, cette reprise de position a été considérée comme une réponse circonstanciée, et donc sans lendemain, à la crise ravageuse et déstabilisante. Curieusement, ni l’Allemagne ni la France, qui ont pourtant posé la problématique de la place et du rôle du dollar dans le système monétaire international, n’ont jugé utile de relayer la position chinoise. Les sommets répétitifs du G20, notamment ceux de Washington et de Londres, n’ont même pas inscrit dans leur agenda la question récurrente de la devise américaine. Or, c’est le dollar et les privilèges qu’ils confèrent aux Etats-Unis qui est la cause fondamentale de la crise financière de 2008 et des précédentes. C’est le dollar qui cache les problèmes structurels de l’économie américaine; les Etats-Unis sont le seul pays au monde qui n’est pas astreint à adopter des mesures d’austérité drastiques pour rétablir l’équilibre de leur budget et de la balance commerciale. Il leur suffit d’imprimer des dollars.

Or, tous les dollars à l’extérieur, qui sont recyclés sur le marché de l’eurodollar, sont, en fait, une dette américaine. Mieux que cela, c’est la seule nation au monde qui vend des bons du Trésor américain aux pays qui disposent d’excédents financiers en dollars. C’est la raison pour laquelle, une très grande partie des excédents financiers chinois, et notamment ceux provenant de leurs échanges avec les Etats-Unis, sont recyclés sous forme d’investissements directs ou d’achats de bons du Trésor américain. D’ailleurs, la Chine est devenue le premier fournisseur de capitaux aux Etats-Unis.

Cette toile de fond permet de démêler l’écheveau de la guerre des monnaies qui est apparue à l’occasion du Sommet G20 à Séoul en novembre 2010. En réalité, cette guerre était latente et devait, un jour ou l’autre, éclater. En effet, les rivalités de puissance, les contradictions manifestes des intérêts hautement stratégiques et surtout des perceptions différentes de l’évolution du monde ont fini par prendre le dessus sur un consensus tacite de stabilité fait de concessions mineures et donc acceptables. Il faut peut-être rappeler que dans un passé récent, les Etats-Unis et la Chine ont trouvé un terrain d’entente. Les premiers renoncèrent à vouloir à tout prix la réévaluation du yuan, cause à leurs yeux de l’important déficit commercial structurel de leurs échanges avec la Chine en contrepartie du placement d’une partie des excédents chinois chez eux.

C’est comme cela, que la Chine est devenue à la fois la locomotive de l’économie américaine, le premier investisseur direct et surtout le premier prêteur. Une véritable interdépendance s’est donc créée. Cette relation correspond parfaitement à l’adage : «Je te tiens par la barbichette, tu me tiens par la barbichette». Mais alors, pourquoi un tel revirement ? Les Etats-Unis reviennent à la charge contre le yuan d’une part et la Chine fustige la place et le rôle du dollar dans le système financier et monétaire international, d’autre part. La Chine a du moins deux raisons valables pour défendre sa position.

D’abord, elle a retenu la leçon de la crise de 2008; elle a beaucoup perdu à cause des privilèges du dollar. La deuxième raison est que la Chine aspire à jouer un rôle plus actif dans le système économique et financier mondial en gestation que lui confère maintenant son statut de deuxième superpuissance économique. Pour les Etats-Unis, les positions chinoises ne pourraient déboucher que sur la fin de leur unilatéralisme et donc la remise en cause de leur leadership dans le monde.

En réalité, le recul des positions européennes concernant le dollar n’est qu’un subterfuge pour masquer leur solidarité avec l’allié américain. La guerre des monnaies risque de prendre une autre dimension, plus adaptée à la nouvelle géopolitique mondiale et ce sera une guerre économique et financière de l’Occident contre la Chine. Après tout, les privilèges inhérents au dollar pose plus de problèmes à la Chine qu’à l’UE. Le clin d’œil de l’OTAN à la Russie n’est que la partie visible de l’iceberg.