L’Algérie est fortement interpellée face à la situation mondiale actuelle étant donné que son économie est totalement rentière et extravertie et soumise aux chocs externes. Or malheureusement le Ministre des Finances, Karim Djoudi, a déclaré l’APS l 13 août 2011 que « les placements des réserves de change de l’Algérie à l’étranger sont sécurisés », tout en occultant les vrais problèmes inhérents aux impacts de la crise mondiale sur l’Algérie, ainsi les solutions pour y faire face. Cela contraste avec les déclarations du président de la Banque mondiale dans une interview publiée par l’hebdomadaire australien Weekend Australian le 13 aoüt 2011, qui affirme, je le cite : « nous sommes au début d’une tempête nouvelle et différente, ce n’est pas la même crise qu’en 2008 ».
1- Selon le président de la banque mondiale, Robert Zoellick, l’économie mondiale est entrée dans une « phase nouvelle et plus dangereuse » et il reste très peu de marge de manœuvre aux pays les plus développés. Le problème de la dette des pays européens est selon lui plus inquiétant dans l’immédiat que les conséquences « à moyen et long terme » de la baisse de la note de la dette américaine, qui a provoqué la panique des marchés.
Avec la Grèce et le Portugal assommés par leurs dettes, c’est non seulement l’économie de la zone euro qui est menacée, mais aussi l’existence même de la monnaie européenne. Les investisseurs commencent selon lui à se demander combien de temps l’Allemagne et la France vont pouvoir continuer à soutenir les pays menacés, sans se mettre eux-mêmes en danger de voir leur note diminuer à son tour.
Pour la Chine confrontée à ses propres problèmes, il ne faudrait pas compter uniquement sur elle pour relancer l’économie mondiale. Aussi, je pense que malgré que la Standard & Poor’s a dégradé le 05 août 2011 la dette souveraine américaine qui est passée de triple AAA à AA, les pays qui seront les plus touchés en cas de récession longue e l’économie mondiale seront les pays européens et certains pays émergents qui dépendent de leurs exportations tant des USA que de l’Europe, avant les Etats-Unis d’Amérique.
Pour les pays de la zone euro, des rumeurs, qui ont affolé les bourses mondiales, ont couru sur la dégradation de la note française. Le cas de l’Italie et de l’Espagne, pour ne pas citer la grande Bretagne dont la monnaie est autonome, est alarmant. C’est que les thérapeutiques conjoncturelles tant américaines qu’européennes, après la crise irlandaise et grecque, ne se sont pas attaquées à l’essence du mal qui ronge le corps social mondial. Il fallait donc s’attendre à des turbulences cycliques au niveau des bourses mondiales avec des tensions plus fortes pour les années à venir. La suprématie de la sphère financière sur la sphère réelle, les distorsions entre les salaires et les profits spéculatifs en sont la raison principale nécessitant un renversement de tendance pour relancer la sphère réelle. Car le vrai débat c’est de repenser le fonctionnement du système économique mondial par une nouvelle gouvernance mondiale(2).
2- Face à cette situation, pour le Ministre des Finances algérien, les placements des réserves de change de l’Algérie à l’étranger sont sécurisés (dans la mesure que leur capital est garanti) et couverts contre les risques de change et que le gouvernement peut les retirer à tout moment. Le taux d’intérêt serait de 3%, ce qui couvrirait l’inflation actuelle. Quant à la structure des placements, le Ministre s’est borné à indiquer que l’Etat algérien a choisi d’en placer une partie comme des valeurs d’Etat sur des risques souverains, dont le risque est très limité (reconnaissant au passage qu’il y a risque) et que l’Algérie avait trois choix à faire pour gérer ses réserves de change.
Premièrement : aller sur des actifs financiers privés caractérisés par un couple risque/rendement « très important », mais « avec un choix spéculatif”.
Deuxièmement : déposer son argent dans des banques, qui ne sont pas à l’abri du risque de faillite.
Troisièmement : déposer ses réserves (de change) en valeurs d’Etat, ce qui est le choix de l’Algérie.
Quant à la répartition par monnaies, le Ministre, sans aller dans le détail, précise qu’il ya eu répartition équitable des réserves en dollars et en euros.
Que penser de ces déclarations tardives face à une crise mondiale ?
Je ferai plusieurs remarques, reprenant certaines d’entre elles parues dans la presse algérienne et internationale. Fait surprenant, le Ministre des Finances indique qu’à la fin 2010 les réserves de changes de l’Algérie étaient de 160 milliards de dollars alors que dans le bulletin numéro 13 en date de juillet 2011 de la banque d’Algérie, le montant des réserves est évaluée à 162 milliards de dollars y compris les réserves d’or : il faut être précis, car il existe une différence de 2 milliards de dollars.
La presse financière internationale a évalué les réserves de change de l’Algérie à 173,63 milliards de dollars fin juillet 2011, soit une différence de plus de 13 milliards de dollars. Par ailleurs si pour la dette intérieure le montant est identique, évalué à 480 millions de dollars, il n’en est pas de même de la dette extérieure (principale et intérêts), puisque le gouverneur de la banque d’Algérie annonçait 3,9 milliards de dollars devant l’APN fin 2010, alors que le Ministre des finances annonce 5,2 milliards de dollars. Pourquoi cette différence de 1,3 milliard de dollars et l’Algérie s’est–elle endettée entre temps ?
Il faut pour la crédibilité de l’Algérie, parler d’une seule voix et synchroniser les données du Ministère des Finances et celles de la banque d’Algérie. Les données internationales sont–elles vérifiées ou fausses ? Le Ministre des Finances n’a pas répondu. Il ne suffit pas d’affirmer une vérité élémentaire de l’économie publique, que les réserves de change ne sont qu’une contrepartie de la masse monétaire, transformée en dinars, qu’une partie est destinée à la fiscalité d’Etat afin de couvrir les projets d’équipements publics, les dépenses de fonctionnement et les transferts sociaux, alors que l’autre partie est déposée dans les banques.
Comme il existe une confusion entre les réserves de change et le fonds de régulation des recettes qui traduit la différence entre le prix réel du marché des hydrocarbures moyenne annuelle et la fourchettes des 37 dollars fixée par la loi des finances, fonds évalué en dinars.
Tout dérapage du dinar par rapport au dollar, monnaie de référence pour les hydrocarbures, augmente artificiellement le fonds de régulation des recettes et la fiscalité pétrolière.
Par ailleurs, affirmer que toute la dépense qui va à la collectivité nationale, entreprises et ménages, résulte de la transformation des réserves de change en dinars et dont 40 milliards de dollars vont annuellement aux importations, omet d’inclure les services. Le document de référence étant, non la balance commerciale, mais la balance de paiement, qui inclut les mouvements de capitaux, dont les services, dépassant 11 milliards de dollars (moyenne annuelle 2009/2011) ce qui porte le montant de la dépense à plus de 51 milliards de dollars. Il y a lieu de raisonner en termes de flux et non de stock, du fait que Sonatrach engrange des entrées en devises annuellement qui hors dépenses s’ajoutent au stock. Par ailleurs, le Ministre des finances n’a pas abordé les impacts de la loi de finances complémentaire 2011 certes établie sur la base du marché à 37 dollars le baril de pétrole (pour un taux de change à 74 dinars pour 1 dollar), le déficit budgétaire évalué à 33,9% du produit intérieur brut, (4693 milliards de dinars, 63 milliards de dollars) bien que ramené au cours réel, serait d’environ 10%. Ce déficit, selon les prévisions de la loi de finances 2012, serait supérieur à 34% toujours au cours plancher de 37 dollars et 11% selon le cours prévisionnel du marché. Or, le Fonds de régulation des recettes (FRR), est évalué à 4842,8 milliards à janvier 2011. Le ministre des finances fait un pari hasardeux sur un cours du pétrole supérieur à 100 dollars le baril à prix constants, seuil minimum pour continuer dans l’actuelle dépense publique et comprimer artificiellement l’inflation par des subventions. Ces propos contredisent l’ABC des fondements de l’économie publique qui a ses propres lois applicables à tous les pays sans exceptions, un pays ne pouvant distribuer que ce qu’il a préalablement produit au risque d’un suicide collectif et d’une déflagration sociale à terme.
3.-Concernant le problème des réserves de change, produit de la rente des hydrocarbures et non du travail et de l’intelligence. Assistant paradoxalement au frein des réformes lorsque le cours s’élève, par la généralisation de l’assistanat, c’est l’arbitrage entre quatre variantes pouvant être combinée, qui pourrait solutionner le problème mais cela suppose une vision stratégique et non des tâtonnements au gré de la conjoncture.
Premièrement : doit–on laisser les réserves d’hydrocarbures sous le sol pour les générations futures, ayant des capacités d’absorbation internes faibles, ou doit-on limiter l’extraction en fonction du rythme d’exportation, de la consommation intérieure, du prix international et des couts qui déterminent la durée de vie des réserves ?
Deuxièmement : en plaçant les réserves dans des valeurs refuges comme l’or, dont le cours a augmenté de plus de 500% en dix 10 ans, ou en prennant le risque d’acheter des actions dévalorisées en attendant la remontée des cours, ne définit-on pas le véritable manager comme celui qui prend des risques dans un monde de plus en plus turbulent et incertain ?
Troisièmement : réaliser des placements à l’étranger avec des rendements positifs qui dépendent du niveau d’inflation, des taux d’intérêts, des cotations notamment du couple dollar/euro.
Quatrièmement : je pense que la solution la plus souhaitable est l’utilisation à des fins de développement, de la ressource humaine – ressource bien plus importante que toutes les ressources en hydrocarbures – et la valorisation de l’entreprise concurrentielle. Les infrastructures qui absorbent actuellement 70% de la dépense publique (480 milliards de dollars entre 2004/2013) n’étant qu’un moyen.
D’autres questions stratégiques n’ont pas été abordées ou très superficiellement par le Ministre des Finances.
Quelle sommes sont placées à l’étranger ? 80% comme l’affirmé le même Ministre des Finances devant les députés courant 2010 ?
Dans quelles monnaies : dollars, euros, yen, livres sterling ? 45% en dollars, 45% en euros, 5% en livres sterling, 5% en yen, selon certaines sources. Ou 80% en dollars selon d’autres sources, sachant que 98% des exportations en devises (économie de rente) se font en dollars important 75% des besoins des ménages et des entreprises, dont 60% se font en euros ?
Et dans quelles proportions, entre bons de trésor américains, dans quelles banques centrales européennes, asiatiques, dans des banques internationales privéess dites AAA, dont certaines ont été décotées ? Pour les rendements futurs des bons de trésor, ils seront largement tributaires de la stratégie chinoise et japonaise, principaux créanciers des USA, qui sur 3400 milliards de dollars de réserves de change en 2011, à 1150 milliards placées en bons de trésor américains et les japonais 1000 milliards de dollars, qui eux aussi dépendent de l’évolution de l’économie américaine pour leurs exportations
A quel taux d’intérêt et donc à quel rendement, tenant compte du taux d’inflation mondial et des taux directeurs qui sont depuis 2009/2010, pour la FED ente 0-0,25%, relèvement de la BCE de 1,5% depuis avril 2011, ceux de la banque d’Angleterre 0,5% ainsi que celui du Japon qui tend vers zéro ? Affirmer que le taux est de 3% suppose un placement à moyen terme et non à court terme ?
Quelles sont les réserves d’or, le FMI l’estimant à 173,6 tonnes à fin 2009. Pour une valeur d’environ 6,07 milliards de dollars au cours de 2009, soit 4,3% des réserves de change ? Ce montant a-t-il été augmenté depuis, soit par d’autres achats ou par la production aurifère de Tamanrasset ? Dans ce cas, bien que le calcul des banques centrales concernant l’or se base au cours de l’achat du moment dans leurs bilans, se pose la question de la réactualisation du cours en moyenne annuelle et de la production aurifère algérienne entre le 01 janvier 2010 et juillet 2011 pour laquelle nous aurions un gain net de 3 milliards de dollars soit plus de 9 milliards de dollars, sous réserve qu’il n’ait pas eu vente.
D’une manière générale, si le stock, en principe, et à moins d’une faillite généralisée de toute l’économie mondiale ou d’une grave crise politique en Algérie, qui entrainerait le gel des avoirs algériens à l’étranger, est garanti par les Etats. Cela pose le problème des rendements. En effet, le taux d’intérêt étant de plus en plus élevé si les placements se font à moyen et long terme afin de couvrir le taux d’inflation mondial. Encore que se pose la décision récente pour des USA de laisser le plafond du taux d’escompte inchangé jusqu’en 2013, mais pas d’affolement puisque la Chine et le Japon et d’autres pays créanciers, bien qu’inquiets, n’ont pas décidé d’un retrait. Le placement à court terme avec les taux directeurs des banques centrales américaines et européennes presque négatif ne sont pas rentables. Pour ceux à moyen terme, le retrait avant terme entrainerait une perte pour l’Algérie du fait de la décote sur le marché libre et il est actuellement préférable d’attendre le terme, et coordonner notre action avec d’autres pays créanciers, tant des Etats Unis d’Amérique que de l’Europe, car un montant important des réserves de change de l’Algérie est placé au niveau de cette zone. Enfin, se pose le problème pour les placements des avoirs algériens dans des banques privées dites AAA qui ont été décotées. En cas de difficultés bancaires, si elles ne sont pas soutenues par leurs Etats, il y aura perte sèche pour l’Algérie. Comme on le constate, le problème est complexe et un grand débat national s’impose. On ne joue pas avec la monnaie, rapport social traduisant la confiance ou la méfiance Etat/citoyens. Mais, le vrai débat qui dépasse largement l’aspect monétaire, est celui de la transformation de cette richesse virtuelle en richesse réelle et relancer la sphère réelle afin de créer des emplois créateurs de valeur ajoutée afin de diminuer les tensions sociales. Et ce, afin de réaliser la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales renvoyant à l’approfondissement de la réforme globale et à une meilleure gouvernance. Sur ce point, débat essentiel et stratégique pour le devenir de l’Algérie, le Ministre des finances a été absent.