Crise économique et financière : Entre navigation à vue et «mauvaises» solutions

Crise économique et financière : Entre navigation à vue et «mauvaises» solutions

Le gouvernement peine à identifier de nouveaux moyens de financement de l’économie nationale mais continue de fermer les yeux, entre autres, sur le change d’importantes sommes d’argent sur les places publiques en dehors des circuits bancaires légaux.

En rassurant les citoyens de la solvabilité financière de l’Algérie en ces temps de crises, le ministre des Finances est bien dans son rôle. Il le fait en plus avec cette bonne diction qui est la sienne. Il est évident que Abderrahmane Benkhalfa n’a pas été nommé ministre des Finances pour crier la détresse du pays à cause de la chute vertigineuse du prix du baril de pétrole. « La maison » gouvernement le connaît bien pour l’avoir pratiqué depuis de longues années en tant que délégué général de l’ABEF (Association des banques et établissements financiers). Il est hors de question qu’il garde le franc-parler qu’il avait adopté le temps «d’un passage à vide». Il semble d’ailleurs que son rappel pour intégrer les rangs officiels n’est que pour l’occuper. Avant de le faire, il a quand même esquissé quelques idées de repêchage de l’économie nationale du gouffre de la mono exportation vers des horizons diversifiés. Le discours est, certes, simple et connu mais complexe et compliqué à mettre en œuvre pour des gouvernants qui se sont habitués à la facilité d’engranger une bienfaisante fiscalité pétrolière sans aucun effort physique, encore moins intellectuel. Aujourd’hui encore, nos gouvernants n’ont toujours pas tort de bomber le torse et d’affirmer que l’Algérie a pris ses précautions pour ne pas subir de plein fouet les effets de la crise financière mondiale. Les raisons sont à portée de main. Lundi dernier, Shanghai avait laissé de grosses plumes dans ses échanges boursiers en affichant une lourde tendance baissière. Du coup, ce sont toutes les Bourses mondiales et les marchés qui se sont effondrés. La Bourse d’Alger, elle, est restée impassible, fidèle à elle-même. Coincée entre les participations chétives d’une entreprise publique et celles juste prétentieuses d’une autre privée, ses tendances fluctuent selon les baromètres que les décideurs lui avaient attribués dès son ouverture « pour faire bien ». Sans plus. La Bourse d’Alger ne répond à aucun critère financier reconnu et approuvé par les milieux financiers mondiaux. Preuve irréfutable que l’économie nationale n’est pas arrimée à l’économie mondiale. L’existence de la Bourse a été décrétée par une décision de politiques dont l’incurie continue de faire des ravages. L’économie vogue ainsi au gré des conjonctures et des contingences dont ils sont seuls à juger l’importance. La banqueroute de la Grèce, un pays européen, pourrait même les rassurer et leur faire croire qu’ils innovent en matière de gouvernance économico-financière.

L’amnistie qui ne dit pas son nom

Preuve en est, le gouvernement a décidé tambour battant de frapper aux portes du marché informel pour lui demander de lui donner de l’argent avec la promesse de le considérer de suite légal et licite. Le discours officiel ne supplie pas mais promet « aux trabendistes» une place de choix dans l’économie nationale marquée de surcroît du sceau de la validité et de la conformité. Les décideurs ne se rendent pas compte qu’ils ont pris cette mauvaise habitude de rendre l’illicite licite même quand il s’agit de vies humaines. S’ils s’amusent aujourd’hui à tanguer sur les mots pour parler de bancarisation et non d’amnistie fiscale, ils l’ont aussi fait au nom de l’Etat algérien. Ils ont pardonné des sanguinaires après qu’ils ont commis des crimes abominables sur des milliers d’Algériens. Aujourd’hui, ces castes diaboliques gagnent de plus en plus de terrain, toujours au nom des lois de la République et organisent même des universités d’été tout près de la splendide Salamandre. Il y a quelques années, l’on avançait dans ses mêmes colonnes que Bouteflika avait en tête d’accomplir son règne en accordant le pardon aux trabendistes et aux terroristes. « Aafa Allah Aâma Salaf (Dieu pardonne ce qui s’est passé)» répétait le chef de l’Etat. Lui, l’a décidé. C’est fait. Les dialecticiens appellent la transformation des commerçants informels en formels et des terroristes « qui ont du sang sur les mains » en citoyens à part entière, sans aucune forme de procès, amnistie fiscale pour les premiers et amnistie politique pour les seconds.

Entre-temps, «les traders » de Port-Saïd, pour ne citer que cette place publique algéroise, font fluctuer la monnaie nationale face aux devises à des taux qu’ils sont seuls à juger intéressants pour leurs gains. Ça aurait été bien plus facile de pousser à l’ouverture de bureaux de change conformément à la loi sur la monnaie et le crédit au lieu de commencer en premier, par vouloir bancariser un hypothétique argent qui pourrait lui aussi -paradoxes très algériens- provenir de la place Port-Saïd en l’absence de tout contrôle légal.

«On bricole avec les patients»

L’autre décision du gouvernement de vouloir collecter de l’argent à partir de la diminution des importations n’a rien d’ingénieux quand elle repose sur des procédés à la limite de la malhonnêteté. Première niche à être visée par cette idée, les médicaments. La semaine dernière, la télévision d’Etat avait fixée sa caméra sur un responsable du ministère palestinien de la Santé qui a fait état publiquement d’un manque de 230 médicaments en raison des représailles et de l’embargo israélien sur Ghaza. Hier, le même canal diffusait en prime time, un reportage sur le manque de médicaments en Algérie depuis plus de six mois et dont le nombre dépasse les 300. « Rupture de stocks, » répondent les pharmaciens à chaque demande de patient. « On a des médicaments d’urgence qui manquent, » dit un syndicaliste. «On bricole avec les patients», avoue un pharmacien. Le directeur des ressources pharmaceutiques vient à contre-courant de faits têtus et affirme «il ne manque aucun médicament » pour se contredire en annonçant «nous avons réussi à faire diminuer les importations de médicaments de 40%. » Le syndicaliste rebondit « oui, mais la gamme de produits proposés aux patients a diminué de 20%. » Le gouvernement a donc décidé d’interdire l’importation de plusieurs médicaments dont une grande partie est destinée aux maladies chroniques pour obliger à l’achat des génériques. Le drame est que la décision d’arrêter l’importation n’a pas été synchronisée avec la disponibilité des produits de substitution. Entre-temps, les malades chroniques se sentent dans l’obligation de passer par Port-Saïd pour acheter les devises (pour ceux qui en ont les moyens) et faire ramener leur traitement de l’étranger. Ce cercle vicieux qui inclut le commerce du « cabas » pour subvenir à des besoins cruciaux, est d’essence informelle avérée. C’est à partir de là que les fortunes informelles se construisent. Port-Saïd permet aussi d’alimenter le marché de l’habillement bas de gamme, le marché des fruits et légumes exotiques, les produits de beauté qui achalandent les étals des officines. C’est ainsi qu’un pays jaloux de sa souveraineté se retrouve à vivre des situations semblables à celle de Ghaza, une région meurtrie par les affres de la colonisation sioniste.

Nos contacts avec le ministère des Finances pour des clarifications sur la démarche «budgétaire» du gouvernement n’ont pas abouti. «Le ministre est en réunion avec le 1er ministre,» nous a-t-on répondu hier. Au-delà de la préparation de la prochaine tripartite qui concerne l’ensemble des partenaires sociaux, la rencontre de Sellal avec Benkhalfa n’aura rien d’innovant. Peut-être des réajustements en matière de dépenses puisqu’on entend dire que si la revalorisation des salaires de la Fonction publique après l’abrogation du 87 bis, se fera «sans trop de problèmes même si la facture est lourde, elle pourra en créer pour ce qui est du secteur économique parce que l’impact sera bien plus pesant et risque même de mettre en avant de nouvelles revendications».