Cinquante ans après l’indépendance, nous sommes toujours amenés à prouver notre citoyenneté et notre fidélité au pays!
Avançons! Le temps nous jugera sur nos actes, nous sommes les acteurs de notre présent qui sera l’histoire de nos générations futures.
Durant les derniers jours de l’année 2013, de sérieux événements ont touché la région du M’Zab. Difficile de comprendre pour qui profitent réellement ces troubles: est-ce pour les réseaux de drogue, est-ce pour certains clans du pouvoir la veille de l’élection présidentielle ou pour bien d’autres parties? Toutefois, pour la première fois nous avons la certitude que l’identité et l’héritage historique de la population locale sont mis en danger, sciemment ou par concours de circonstances.
Il est donc assez urgent d’interpeller notre conscience et réfléchir sérieusement aux différentes issues afin d’assurer une paix durable tout en préservant notre identité et héritage. Il est plus que jamais urgent de défendre notre civilisation et héritage historique. Ils sont non seulement des biens précieux pour nos enfants, mais également un héritage pour notre pays et toute l’humanité.
Une des constituantes de notre identité est évidemment la langue. Promouvoir notre langue est une nécessité vitale. C’est dans les mots qu’on sent l’âme d’un peuple. Lire et écrire dans cette langue est le seul moyen pour la faire vivre. La richesse d’une langue ne dépend pas seulement du nombre d’individus qui la pratiquent mais également de la volonté qu’on se donne pour la sauvegarder et la faire vivre. J’ai toujours été intéressé par l’importance que donne chaque peuple à sa propre langue. Un visiteur d’une des librairies de la ville de Prague, en observant la quantité d’oeuvres originales et traduites vers la langue du pays, aura du mal à imaginer que le nombre de locuteurs de langue tchèque dépasse à peine la dizaine de millions! D’autre part, les Islandais, bien qu’ils maîtrisent à 95% la langue anglaise, n’ont jamais cessé ni imaginé de cesser d’écrire dans leur langue aussi petite soit-elle.
Le choix de l’exemple des Islandais n’est pas par hasard, c’est un peuple de 320.000 âmes! Une nation aussi grande, en nombre, que le peuple mozabite et on y compte même un prix Nobel de littérature. Il est de notre devoir de faire connaître notre pensée ibadite; elle est une composante de l’identité nationale.
Il n’est plus tolérable que la majorité de nos concitoyens l’ignorent alors qu’elle est présente dès le début de l’Islam en Afrique du Nord. Dans la fin des années 1980 une très bonne initiative de la part de l’association l’Étoile littéraire islamique (Ennejm El-Adabi El-Islami) consistait à organiser durant trois jours un colloque sur la pensée ibadite.
Ça s’est déroulé à la salle Ibn Khaldoun à Alger. Ce fut un grand succès, aussi bien pour sa très bonne organisation, que pour la qualité des sujets et intervenants. Une telle initiative devra s’inscrire dans la durée à l’avenir.
Plus on se connaît, mieux on s’accepte
Il ne s’agit pas là de faire un quelconque prosélytisme ou tentative de conversion mais plutôt d’une démarche pédagogique dans le but de se faire connaître et de se faire accepter. Plus on connaît un peuple, moins on a peur de lui et mieux on l’accepte.
Le besoin d’être accepté implique nécessairement l’acceptation de l’autre. Ne jamais mépriser l’autre. Même si nous le considérons comme ennemi, traitons-le comme partenaire. La difficulté d’agir ainsi est témoin du degré de notre civilisation. Aucun dialogue sérieux n’est possible, aucune paix n’est durable si nous partons avec des préjugés. Respectons l’identité de l’autre autant on souhaite que la nôtre soit respectée.
Le respect de l’autre commence par l’abandon des idées et pensées racistes. J’ai été très frappé par la banalisation des idées et propos racistes dans notre pays, au point où ça me laisse désespérer pour l’avenir! Les propos et les idées racistes sont le carburant de la violence et le chaos. Abandonnons, d’urgence, le racisme et combattons-le au quotidien. Tolérer le racisme est une attitude indigne et irresponsable, elle ne fera que transmettre la haine de l’autre à nos générations futures.
Pour chaque acte raciste, envers nous, pensons toujours que dans ce pays il y a beaucoup et même plus de gens qui nous aiment que ceux qui nous haïssent. Soyons fermes, combattons toute sorte de racisme et surtout ne jamais haïr! La haine est la porte de la violence, le chaos et la barbarie. Tout le monde est conscient que quelle que soit la solution qui sera prise pour nos problèmes, elle préconisera inévitablement «le vivre-ensemble».
Je ne peux imaginer une coexistence, des deux communautés, avec des disparités prononcées. Si nous voulons «le vivre-ensemble» dans l’avenir, faisons en sorte que notre partenaire bénéficie et apprenne de notre civilisation.
La mise en pratique de cela ne sera ni évidente ni facile, elle nécessitera la volonté honnête et l’engagement et des deux parties.
Quand j’avais l’âge de mon neveu, je fréquentais le collège de Beni-Isguen. J’ai récupéré mes livres nécessaires d’un de mes aînés, comme il était coutume de le faire afin de réduire la facture de la rentrée. Je découvris dans le livre d’Histoire la phrase suivante:
«Les ibadites, une frange du Kharijisme…» Le dernier mot de cette phrase a été barré avec de l’encre bleu.
En le découvrant, la première chose qui m’est venue à l’esprit est de vérifier l’appartenance ethnique de mon enseignant parce que c’est de cela que dépendrait sa réaction s’il découvrait ce détail dans mon livre. Trente ans plus tard, c’est-à-dire pas plus loin que l’année dernière, une enseignante de lettres du même collège, s’adressant à mon neveu, a formulé la phrase suivante:
«Vous êtes originaires du Sultanat d’Oman.»
Force est de constater que l’école publique a failli dans sa mission, elle ne forme pas des citoyens algériens riches de leurs cultures d’origine, mais plutôt des Algériens à fortecomposante ethnique ou régionale.
Cinquante ans après l’indépendance, nous sommes toujours amenés à prouver notre citoyenneté et notre fidélité au pays!
Combien d’ouvrages, de publications ou d’articles ont été écrits pour témoigner notre appartenance à la nation, notre participation à la révolution pour l’indépendance ou alors la proximité de notre rite de celui des sunnites? Ne perdons plus notre temps à répliquer à des attaques basses nous touchant sur notre Histoire ou notre appartenance religieuse ou ethnique.
Le temps nous jugera sur nos actes
Avançons! Le temps nous jugera sur nos actes, nous sommes les acteurs de notre présent qui sera l’histoire de nos générations futures. Devant l’abandon de l’école publique à sa mission, il est indispensable de combler ce manque en utilisant d’autres relais éducatifs, tels que par exemple, les associations culturelles et sportives. L’école coranique est également un excellent relais, mais là aussi, si nous cherchons une paix durable, il faudra trouver un moyen pour que les enfants de nos voisins bénéficient d’un relais similaire.
La nature a horreur du vide, en l’absence d’un tel relais beaucoup de leurs enfants seront la proie facile des courants salafistes ou tout autre courant exogène intolérant! Oeuvrons dans toute initiative, y compris dans l’école publique, pour l’amélioration de l’éducation de nos enfants; enfants de toute la nation algérienne. Tirer la totalité de la société vers le haut est le seul salut pour ce pays.
Incitons nos enfants à la lecture et l’acquisition du savoir. Aucune civilisation ne tient sans le savoir. Donnons de l’importance à toutes les disciplines: les sciences, les lettres, les arts et la musique. Nulle ne suffira à elle seule. Comme c’est désolant et révoltant de constater les multiples dégâts causés par la barbarie touchant les nôtres! Chaque fois que nous sommes touchés dans nos biens, ne désespérons pas, doublons nos efforts pour servir encore plus notre pays.
Notre désespoir est la récompense des forces du mal. On a souvent l’impression que le mal prend le dessus sur le bien, sans doute à cause de l’effet spectaculaire des dégâts provoqués. Mais seul le bien triomphe sur le long terme. Oeuvrons toujours dans le sens du bien même si nous sommes tentés des fois de répondre par le mal. C’est une attitude très difficile à adopter parce qu’on peut passer parfois pour des lâches ou des peureux. Toutefois, la sagesse veut qu’on doive mesurer l’utile de l’inutile avant d’agir.
Ce proverbe n’appartient-il pas à notre culture «celui que tu as ignoré tu l’as tué»? Notre action raisonnable et avec sang-froid ne doit surtout pas nous empêcher d’être fermes et exiger la justice complète.
La justice doit être réclamée avant même les indemnisa-tions! Devant la dégradation avancée que vit notre pays, je ne serai pas du tout surpris de voir nos gouvernants proposer une indemnisation généreuse, voire exagérée en échange de l’abandon de la poursuite des coupables.
Il s’agit d’un schéma classique de corruption. C’est le mode de fonctionnement entrepris par nos gouvernants depuis des années! Il consiste à puiser dans les richesses des générations futures et prendre de quoi acheter une pseudo-paix et une tranquillité éphémère.
De nombreux appels au calme, que ce soit sous forme de déclaration ou sous forme de discours, se basent sur les textes coraniques ou la tradition prophétique pour rappeler l’interdiction à tout musulman de porter atteinte à un autre musulman. Même si j’adhère complètement à ces messages positifs, je me pose pour autant la question: quel serait le message si on avait, parmi nous, une frange de population non musulmane? C’est pourquoi je trouve qu’il est plus convenable d’utiliser un message plus universel; tout être humain doit être protégé dans son intégrité physique, morale et matérielle. Nous pouvons trouver dans les textes sacrés ce qui appuie ce message. En transmettant un tel message, on laissera échapper l’occasion à un quelconque éventuel illuminé qui viendrait prouver la non-islamité de telle ou telle frange de population avec les conséquences dramatiques que ça risque d’engendrer.