La fièvre du logement «social» s’installe. Couper la route, brûler des pneus, lancer des pierres ou encore affronter les forces de l’ordre afin de bénéficier d’un logement décent, c’est devenu une mode par les temps qui courent.
«Les gens de Diar Echems ont bien eu gain de cause après leur révolte. Pour preuve, ils sont tous relogés, nous allons agir de même pour faire entendre nos voix aux autorités concernées», tonne Abdelkrim, un jeune rencontré à Oued S’mar. Habitant dans un «bidonville» de la localité, il vit dans des conditions lamentables.
La faute lui incombe en partie car, comme beaucoup d’autres habitants du quartier, il a fait la fine bouche lorsque les autorités ont proposé de les reloger dans des chalets à Hamadi, dans la wilaya de Boumerdès. «Nous avons refusé, nous voulons vivre dans la capitale», avouent toutes les personnes que nous avons questionnées.
Le wali d’Alger avait annoncé la distribution de quelque 10 000 logements au niveau de la capitale. Des logements qui font saliver les habitants des bidonvilles mais qui aiguisent aussi l’appétit des occupants du vieux bâti, cela sans omettre les «profiteurs» en tous genres qui guettent la moindre liste affichée dans les APC pour y figurer.
Le problème qui se pose à l’heure actuelle est qu’il est impossible de satisfaire le nombre croissant de demandes qui atterrissent sur les bureaux des P/APC de la capitale.
A cause du mécontentement provoqué au niveau de certaines municipalités par l’affichage des listes des bénéficiaires, le wali d’Alger, Mohamed Kebir Addou, a décidé de s’occuper personnellement de ce dossier ou, à tout le moins, le confier à ses wali délégués. Ces derniers hésitent d’ailleurs à prendre des initiatives qui risquent de se retourner contre eux. Comme ce fut le cas lors de l’affichage de la liste des bénéficiaires de logements sociaux et LSP à Staouéli.
Le wali délégué de Sidi M’hamed, M. Khalfa, nous a avoué à ce propos que certaines situations le dépassent. «Sincèrement, nous préférons en référer à la tutelle pour éviter tout dérapage», dit-il, montrant ainsi la dure tâche des autorités concernant la prise en charge de ce problème récurrent. Dans pareilles circonstances, il y a toujours des trublions qui font dans la manipulation, dans le seul but de compliquer la tâche aux institutions.
Rééditer l’épopée des Zaâtcha… pour un logement !
A Zaâtcha, ce sont quelques centaines de familles qui demandent leur part du gâteau. Ce sont des jeunes qui se sont révoltés pour demander du travail… avec l’arrière-pensée de bénéficier de logements. Rafik a insinué cela : «Nous sommes une centaine à vivre dans ce patelin dans des conditions inhumaines, nous vivons dans des logements de fortune qui risquent de s’effondrer à tout moment. Et puis, nous voulons du travail.
Mais nous sommes loin de la ville, personne ne nous accepte car nous n’avons pas de moyens de transport, donc il faut nous reloger ailleurs !» Un syllogisme utilisé comme raccourci pour bénéficier d’un logement. Hamid a le mérite d’être clair à ce sujet : «Sans un habitat décent, nous ne pouvons avancer dans la vie, il faut que les autorités prennent en charge ce volet, nous avons une part dans le million de logements, on l’attend.» Les autorités locales continuent à faire la sourde oreille,
le comité mis en place par la population n’ayant pas été reçu par le P/APC. La raison ? Selon un élu, «les logements existant sont destinés aux plus démunis et aux gens qui sont vraiment dans le besoin. Qu’ils sortent, qu’ils bloquent la route, ils n’auront rien car l’Etat ne peut céder à cet odieux chantage».
Sur les traces de Diar Echems
Beaucoup d’habitants de la capitale bouillonnent d’impatience, attendant le moment de la distribution des 10 000 logements dont a bénéficié la wilaya et que cette dernière réserve en priorité à l’éradication de l’habitat précaire. Certains habitants de quartiers dits «précaires» ne comprennent pas que ces nouveaux logements sont destinées à une tranche de citoyens choisis selon des critères bien précis.
La priorité est donnée aux habitants des bidonvilles. Il faut le reconnaître, Alger la blanche est noircie par des gourbis qui poussent comme des champignons. A Oued S’mar, ce sont des dizaines de masures qui ont poussé entre décembre 2009 et février 2010. Un chiffre d’ailleurs qui fait peur aux élus de la commune qui ne savent plus à quel saint se vouer. «Nous sollicitons les forces de l’ordre pour arrêter ce genre de constructions, notamment celles se situant aux abords de la voie ferrée, mais nous avons peur des émeutes. Sincèrement, la situation est délicate.»
Pour beaucoup, il suffit juste de lancer quelques pierres sur les forces de l’ordre ou encore fermer la route le temps d’un après-midi pour prétendre à un logement social neuf. A Saoula, les jeunes se sont manifestés bruyamment avant-hier en fin de journée en tentant de fermer la route avec quelques pneus brûlés.
L’astuce était tellement grossière que les autorités locales n’ont pas daigné se déplacer, envoyant juste quelques gendarmes qui ont réussi à disperser les jeunes manifestants. «Nous voulons notre part, nous aussi nous vivons une situation difficile, nous voulons vivre dignement», ont scandé les émeutiers.
En conclusion, c’est toute la capitale qui est sur un volcan. Chaque quartier attend son quota, c’est d’ailleurs le mot d’ordre des habitants de Diar El Mahssoul qui attendent juste la fin du relogement de leurs voisins de Diar Echems pour sortir dans la rue déposer leurs demandes de logements. L’émeute est apparemment devenue le seul moyen d’acquisition de logements en attendant qu’aboutissent les demandes légales. C’est ce qui explique la vitesse avec laquelle poussent les bidonvilles.
Par Elias Melbouci