Ce n’est pas encore le bruit de bottes, mais c’est tout comme. En Crimée, l’histoire s’accélère depuis que la révolution de palais présidentiel a toutes les chances — ou plutôt tous les risques — de déclencher une guerre entre la Russie et les Occidentaux qui ont pris fait et cause pour l’Ukraine.
Pour l’heure, il se dégage dans cette zone, de forts relents de guerre froide.
En revendiquant le droit d’intervenir militairement dans l’ancienne république soviétique de 46 millions d’habitants que Moscou considère comme faisant partie de sa sphère d’influence, Vladimir Poutine a entraîné les Occidentaux dans une confrontation inédite depuis la Guerre froide.
Bien qu’il ne fasse peu de doutes que les militaires sans insigne visible en Crimée soient Russes, le Kremlin ne l’a pas confirmé officiellement. Il a décrit l’autorisation obtenue d’envoyer l’armée comme une menace d’action future plutôt que comme une confirmation de l’implication de ses troupes. «C’est sans doute la situation la plus dangereuse en Europe depuis l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968», a estimé un diplomate occidental sous le sceau de l’anonymat. «Pour parler de façon réaliste, nous devons voir que la Crimée est dans des mains russes. Le défi maintenant est de dissuader la Russie de prendre le contrôle de l’est russophone de l’Ukraine», a-t-il ajouté. La Crimée est-elle encore ukrainienne ? Difficile à dire tant la situation est explosive sur cette parcelle de terre posée sur la mer Noire, tiraillée entre l’Ukraine, son influent voisin russe et un désir croissant d’autonomie. Une terre où plane désormais la menace d’une nouvelle guerre. En Ukraine, la république autonome de Crimée n’est pas seulement réputée pour ses stations balnéaires et ses vignobles. Si la Crimée appartient à l’Ukraine depuis 1954, la flotte russe y a installé son quartier général, sur la base navale de Sébastopol, afin d’y préserver ses intérêts sur cette «mer-carrefour». L’accord sur le bail de la flotte russe a régulièrement fait l’objet de tractations entre l’Ukraine et le Kremlin. En 2010, le président ukrainien avait fini par signer un accord de prolongement du bail de la flotte russe de vingt-cinq ans (soit jusqu’en 2042) en échange d’une réduction de 30% du tarif du gaz. Ce matin, les forces russes ont consolidé leur contrôle de la Crimée tandis que les troubles se propageaient à d’autres parties de l’Ukraine. Des manifestants pro-russes ont eu des affrontements parfois violents avec des partisans du nouveau pouvoir ukrainien. Les manifestants ont hissé le drapeau russe sur des bâtiments publics dans plusieurs villes, notamment à Kharkiv, Donetsk, Odessa et Dniepropetrovsk. A Kiev, sur la place de l’Indépendance, où les manifestants ont campé pendant des mois pour obtenir l’éviction de Viktor Ianoukovitch, des centaines de personnes sont encore présentes. Certains se demandent si leurs nouveaux dirigeants sont suffisamment solides pour affronter la situation extrêmement tendue qui prévaut dans le pays. Le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk, arrivé au pouvoir à Kiev après la destitution et la fuite de l’allié de Moscou, Viktor Ianoukovitch, il y a une semaine, a lui aussi demandé un retour dans leur caserne des troupes russes lors d’un entretien téléphonique avec son homologue Dmitri Medvedev. «Une intervention militaire marquerait le début de la guerre et la fin des relations entre l’Ukraine et la Russie», dit-il. Le président ukrainien par intérim Oleksander Tourtchinov a ordonné que l’armée soit placée en état d’alerte et a demandé de l’aide de l’Otan qui doit se réunir ce dimanche. Le ministre des Affaires étrangères Andriy Dechtchitsia a dit avoir rencontré des responsables européens et américains et avoir envoyé une demande à l’Otan pour examiner «toutes les possibilités de protéger l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine».
R. I. / Agences