Alors que le Credoc à paiement différé semble dans le collimateur de la Banque d’Algérie nous avons sollicité l’avis d’un consultant bancaire international au sujet de l’imposition du Credoc comme moyen de paiement unique des importations.
En activité, le consultant signe d’un pseudonyme, explique de manière didactique ce que sont les Credoc. Il apporte des éléments des réponses sur les coûts de la mesure et sur son improbable efficacité en matière de réduction du montant des importations et de leur traçabilité.
La loi de finances complémentaire 2009, entrée en vigueur fin juillet de la même année et instaurant notamment le crédit documentaire comme unique moyen de paiement des importations a suscité de multiples débats opposant le monde des entreprises aux arguments du Ministre des Finances et des autres Autorités du Monde de la Banque. Pour notre part, nous essayerons d’analyser ce qui a motivé cette décision qui semble répondre à deux objectifs principaux : Contribuer à réduire le montant des importations et favoriser la traçabilité des opérations.
Le Credoc ne permet pas de réduire les importations

Chacun sait qu’en matière de commerce international, toute opération d’importation de marchandises naît par la signature d’un contrat commercial entre un importateur et un exportateur, lequel contrat contient au minimum la description et la quantité de marchandises, son prix, sa devise de règlement, les conditions de paiement (à réception des marchandises ou à 30, 60, 90 jours si l’exportateur accorde des délais de paiement), le mode de règlement utilisé (Virement, remise documentaire, crédit documentaire).
Nous reviendrons sur les modes de règlement du commerce international, mais nous voyons d’emblée que le crédit documentaire intervient après que l’importateur et l’exportateur se soient mutuellement engagés : l’un à payer, l’autre à expédier la marchandise. Dès lors que le processus d’importation/exportation est engagé nous ne voyons pas en quoi un mode de règlement plutôt qu’un autre pourrait contribuer à réduire les importations. Si réduction des importations il doit y avoir, il conviendrait d’intervenir en amont, par exemple en désignant une autorité qui délivrerait des accords – ou des refus – d’importation aux entreprises en fonction d’objectifs économiques nationaux. Cette solution n’est pas nécessairement la plus pertinente – les besoins considérables d’importations sont peut-être à rechercher ailleurs – mais cette solution aurait le mérite de prendre le problème à sa source et non pas à ses conséquences.
Même dans les pays qui n’ont pas de règlementation des changes – et a fortiori dans ceux qui en ont une – tout règlement d’importation (et quelque soit le mode de règlement utilisé; le crédit documentaire étant un mode de règlement parmi d’autres) s’accompagne de justificatifs (factures, documents douaniers, nature de la marchandise etc…) et tous les règlements font l’objet d’un compte-rendu de paiement à la Banque Centrale avec tous les détails de l’opération. L’argument consistant à dire que le crédit documentaire est plus traçable ne tient pas.
Les principaux modes de règlements du commerce international
Tout d’abord, rappelons en quoi consistent les trois principaux modes de règlement du commerce international : le virement (ou transfert), la remise documentaire et le crédit documentaire. Très trivialement, la préoccupation d’un importateur c’est de recevoir la marchandise qu’il a commandée dans les délais prévus et celle de l’exportateur, c’est d’être payé à la date convenue. En fonction de la confiance réciproque entre ces deux acteurs, ils choisiront (ou l’un imposera à l’autre) le mode de règlement approprié.
Le virement : c’est le mode de règlement le moins sûr. La réception des fonds par l’exportateur est soumise à l’initiative de l’importateur (qui peut faire défaut après réception de la marchandise). Celui-ci demande à sa banque de faire un virement en faveur de l’exportateur accompagné des justificatifs requis par la législation. Aujourd’hui 65% des règlements liés au commerce international se font par virement. Les frais bancaires sont minimes.
La remise documentaire : Dans ce cas, l’exportateur remet à sa banque des documents (généralement des documents de transport) qui permettront à l’importateur de retirer sa marchandise dans le port de destination.
La banque de l’exportateur envoie ces documents auprès de la banque de l’importateur en la chargeant de remettre lesdits documents à l’importateur contre paiement (ou contre acceptation d’un effet de commerce à échéance). Ce mode de règlement est un peu plus sûr que le virement puisque l’exportateur sait que la marchandise ne peut être retirée que si l’importateur le règle. Mais il y a toujours le risque que l’importateur refuse le paiement et l’exportateur devra faire rapatrier sa marchandise à sa charge. La remise documentaire est utilisée dans environ 10% des règlements. Les frais bancaires sont minimes ; ils sont surtout constitués de frais de courriers.
Le Credoc est le mode de règlement le plus sur
Comme son nom ne l’indique pas, le Credoc n’est pas un crédit. C’est le mode de règlement le plus sûr. En effet, deux banques vont intervenir entre l’importateur et l’exportateur et jouer un rôle déterminant. La banque de l’importateur s’engage irrévocablement à régler l’exportateur (même si l’importateur fait défaut) aux dates convenues dans les termes du crédit. En contrepartie, l’exportateur devra remettre à sa banque la liste des documents requis : (factures, documents de transport prouvant l’expédition de la marchandise,etc…) laquelle après un premier examen les enverra à la banque de l’importateur qui procédera à un nouvel examen et, si ceux-ci sont conformes, elle remettra les documents à l’importateur pour qu’il puisse retirer sa marchandise.
Puis, elle règlera l’exportateur en débitant le compte de l’importateur (ou en puisant sur ses propres fonds si l’importateur est en défaut). A noter que le règlement peut s’effectuer immédiatement (à vue) mais aussi par paiement différé, c’est-à-dire à 30, 60 jours, voire plus si l’exportateur a consenti un délai de paiement à l’importateur. Aujourd’hui le crédoc est généralement utilisé pour des montants d’importation/exportation supérieurs à 50.000 € et cette technique représente environ 25% des modes de règlement.
Un Credoc de 10.000 € coute environ 500 €!
Comme nous venons de le voir, le crédit documentaire est un engagement de paiement de la banque de l’importateur, et cet engagement n’est pas gratuit. Par ailleurs, la gestion administrative du dossier, en particulier l’examen des documents constitue une tâche importante, et la banque se rémunère en commissions de services pour cette gestion, sans compter les frais postaux pour l’acheminement des documents. Toutes ces commissions et frais sont bien entendu répercutés à l’importateur. Les banques européennes évaluent à environ 500 € les coûts d’un Credoc de 10.000 €.
Bien entendu si la banque de l’importateur pense qu’il y a un risque sur son client importateur, elle exigera un dépôt de garantie dés l’ouverture du Credoc pour se couvrir en cas de défaut. Et ce sera une partie de la trésorerie de l’entreprise qui sera inutilement utilisée avant la réception de sa marchandise alors qu’en utilisant le virement cette trésorerie n’est utilisée qu’après réception de la marchandise.
Le gonflement extraordinaire du nombre de Credoc provoqué par cette loi (passé de 5.000 par an à 60.000) a bien évidemment encombré les services des banques même celles disposant de systèmes d’information performants ; rappelons que le gros du travail consiste à examiner manuellement les documents. La transmission tardive des documents aux importateurs (donc à retirer leurs marchandises) a largement contribué à désorganiser leurs services de production.
Rappelons aussi que le crédit documentaire est une pratique nécessitant un minimum de technicité en particulier pour tout ce qui concerne la normalisation des termes requis par la Chambre de Commerce Internationale. Les services administratifs des PME n’ont pas nécessairement le personnel formé à cette pratique et les allers-retours avec la banque ont provoqué des retards dans les commandes.
Une décision inadaptée aux objectifs recherchés
Visiblement cette décision n’est pas adaptée aux objectifs recherchés, puisque nous l’avons vu, elle ne contribue en rien à la réduction des importations, elle n’améliore pas non plus la traçabilité, elle pénalise la trésorerie et la production des entreprises. Cette loi aura par contre eu pour effet d’augmenter les recettes des commissions des banques commerciales – aussi bien les banques des importateurs que celles des exportateurs – .
On s’étonnera également que « dans le sillage de la loi de finances complémentaires, le PDG de la BEA propose aux importateurs un nouvel instrument : « des Credoc à paiement différé pour des échéances respectivement de 30, 90 et 180 jours et pouvant même aller jusqu’à un an ». Sauf que le Credoc par paiement différé existe depuis… toujours et c’est l’exportateur qui décide ou non du paiement différé. En termes plus simples, cela revient à dire que la BEA consentira un prêt aux importateurs à court de trésorerie au moment du règlement, ce qui va sans doute les réjouir mais n’explique toujours pas la nécessité d’imposer le crédoc comme unique mode de règlement des importations.
Nous ne voyons pas d’explication rationnelle à cette décision à moins que – pure spéculation – le Ministre des Finance ne fasse plus confiance à ses services des douanes et qu’il veuille confier dorénavant le contrôle des marchandises aux employés de banque en charge des crédits documentaires…