Jamais un sommet de la Ligue arabe depuis sa création en 1945 n’a suscité autant d’intérêt que celui qui s’est tenu récemment à Charm el-Cheikh.
La raison est liée au projet de création d’une force multinationale pour soutenir l’action arabe commune en matière de défense. Le sommet des chefs d’État arabes a adopté une résolution portant création d’une force arabe d’intervention à l’appel de l’Égypte. Ce vieux projet qui a fait couler tant de salive et d’encre des dirigeants arabes et qui a longtemps hanté les consciences arabes, sans trouver un début d’application sur le terrain, résistera-t-il aux contradictions et divergences politiques des pays du même ensemble communautaire arabe ?
Cette interrogation s’impose aujourd’hui, en effet, après que les chefs d’État ont adopté le projet de résolution égyptien déjà approuvé par les chefs de la diplomatie arabes jeudi, prévoyant que la force sera chargée de mener “des interventions militaires rapides”. L’intervention au Yémen d’une coalition militaire de dix pays guidée par l’Arabie Saoudite, qui précède ce projet cher à l’Egypte, constitue un test de l’interopérabilité des armées des pays arabes à mener une action commune, mais aussi de jauger leurs aptitudes à projeter leur aviation et fantassins pour des missions similaires. Jusque-là, la seule initiative de ce genre qui mérite d’être rappelée remonte aux années 70 lorsqu’une intervention commune de forces arabes pour sauver le Liban a tourné au fiasco, poussant au retrait des armées arabes laissant seule l’armée arabe syrienne combattre jusqu’à récemment. Du succès de cette intervention dépendra la conduite d’autres actions similaires dans des foyers de tensions ou cibles, à définir ultérieurement. Mais le hic est là justement. Ce projet de force communautaire, qui sera soumis à l’appréciation des armées arabes, en vue de s’y prononcer sur son applicabilité, ne semble pas avoir d’objectifs précis et programme défini à l’avance. D’où la difficulté — toutes proportions gardées — à le mettre en œuvre sur le terrain et à faire en sorte qu’il fasse long feu. Les experts sont formels : ce point précis constitue le principal écueil à même de ralentir le processus, en ce sens que les 22 membres de la Ligue entretiennent diverses opinions de ce qu’il est attendu de le la force d’intervention arabe, en termes de dangers. Ainsi, Oraib al-Rentawi, directeur du centre Al-Qods pour les études politiques, estime ainsi que si la priorité de Riyad reste de “faire face à l’influence grandissante de l’Iran dans la région”, l’Egypte et la Jordanie veulent en revanche “lutter contre le terrorisme”. L’Égypte d’al-Sissi, qui est cerné par le terrorisme au Sinaï et en Libye, surtout, donnerait cher pour se voir épauler dans la traque de Daech, dans le prolongement de son opération menée contre les repaires d’extrémistes à l’est de la Libye. Le Conseil de sécurité de l’ONU a pourtant ouvert la voie à une telle perspective, en adoptant vendredi dernier une résolution pour soutenir la lutte contre l’organisation autoproclamée “Etat islamique” (EI-Daech) et les groupes qui lui sont liés ainsi qu’Al-Qaïda et ses affiliés en Libye. Mais, rapports de force obligent, pour l’instant, “l’EI passe au second plan face à la menace d’extension du pouvoir chiite au Yémen, qui risque de modifier profondément la géopolitique de la région”, estime aussi M. Guidère.
A. R