La nuit est tombée sur l’aéroport de Moroni, aux Comores. Une civière sort de l’ambulance pour rejoindre l’avion officiel français.
Emu, le personnel soignant regarde pour la dernière fois le visage de Bahia Bakari, 12 ans, la seule survivante du crash de l’A 310.
La jeune fille garde les yeux clos. Dans quelques heures, elle sera en France pour retrouver son père.
«C’est bien qu’elle rentre chez elle, surtout si vite après l’accident, comme ça elle n’aura pas le temps de réaliser qu’elle doit reprendre l’avion», confie Maroussia Daolio, assistante technique de la coopération française, qui la suivait depuis son repêchage en pleine mer.
Elle s’inquiète aussi du moral de la jeune fille, qui a appris la mort de sa mère dans l’accident seulement quelques heures plut tôt.
«Elle est sonnée. Je l’ai sentie fatiguée, désabusée, aujourd’hui. Après toute l’agitation qu’il y a eu autour d’elle, elle s’est murée dans le silence, alors qu’hier elle avait le contact plus facile, elle était plus souriante. Elle a besoin de repos».
«Ramener Bahia est un honneur»
Bahia est allongée à l’arrière du Falcon 900 du secrétaire d’Etat à la Coopération, Alain Joyandet.
Le médecin et l’infirmier du Samu 974, dépêchés de la Réunion, l’assisteront pendant tout le trajet et veilleront à ce qu’aucun des trois journalistes présents ne s’approche trop.
Le rideau est tiré. De l’autre côté, Alain Joyandet décompresse peu à peu et revisite sa journée.
«C’est le destin ! A la fois pour la tristesse de cette tragédie et pour ce petit miracle dont on est témoin. Cette journée fait sans doute partie des deux ou trois qui ont marqué ma vie. Et puis ramener Bahia est un honneur».
C’est lui qui a proposé à son père de la ramener dans son avion. Puis il a douté: et si on pensait qu’il voulait faire un «coup de pub» sur le dos de la petite? Après hésitation, «l’action humanitaire a pris le dessus», dit-il.
Désormais, ses doutes se portent sur la médiatisation de l’histoire. Doit-il être pris en photo dans l’avion avec la rescapée ou pas ?
Après hésitation, il demande maladroitement à la faire. La scène est un peu posée, alors qu’une heure avant, il était allé la voir pour lui parler, sans journaliste…
En tout cas, «elle va bien», explique-t-il après son entrevue. Il sourit: «elle m’a dit: « bonjour Monsieur le Premier ministre ». Je lui ai dit: non, pas encore!»
Les mots tabous bannis
Le trajet passe sans encombre. Bahia reste calme. Elle finit même par demander à manger.
«Elle a grignoté deux ou trois bouchées, c’est tout, mais c’est déjà bien qu’elle ait voulu un repas», se réjouit le médecin.
A mi-parcours, l’infirmier se veut rassurant: «tout se passe bien, elle dort. Elle appréhendait beaucoup, donc on lui a donné un petit médicament pour que ça se passe bien au décollage, mais c’est tout», murmure Fabrice Ory, les yeux embués de sommeil.
Pendant tout le voyage, ils n’ont parlé que de «choses concrètes» et banni les mots tabous, «crash, accident, avion, vol, peur»… «Qui sait combien de mois, d’années il lui faudra pour surmonter tout ça?», s’interroge l’infirmier.
A son arrivée en France, Bahia Bakari doit subir un bilan de santé complet, ce que n’ont pas pu faire les médecins comoriens faute de moyens.
«C’est une miraculée, mais on ne sait pas s’il y a des lésions. C’est trop tôt pour le dire», nous confiait avant le décollage Mohamed Charif, médecin comorien de l’hôpital El Maarouf.
«Tout ce que j’espère, c’est qu’elle va aller mieux, reprendre l’école, une vie normale… C’est la meilleure chose que je lui souhaite».