Couverture médiatique de la guerre au Mali unanimisme, propagande et véritables enjeux cachés

Couverture médiatique de la guerre au Mali unanimisme, propagande et véritables enjeux cachés

Images rares, informations pauvres et propagande de guerre caractérisent la couverture médiatique de l’intervention militaire française au Mali, qualifiée de «conflit mystérieux» par les journalistes.

L’armée française a «libéré» les villes stratégiques de Gao et Tombouctou, rapportent les différents médias se référant le plus souvent aux agences de presse.

C’est d’ailleurs presque les mêmes écrits qui font le tour des rédactions. Mais des informations précises sur les opérations militaires et les images des combats sont rares.  Cette situation n’est pas sans rappeler la couverture médiatique de la guerre en Libye en 2011. Annonçant tantôt l’avancée des rebelles armés, tantôt celle des loyalistes au régime, les médias se contentaient de ce type d’information.

Cette manière de traiter l’information a poussé des  internautes à créer, entre autres, une page sur le réseau social Facebook intitulée «Urgent : les insurgés libyens ont conquis la planète Mars», parodiant les grosses manchettes des mainstream médias. Ils sont allés loin en ironisant sur certains contenus. «Kadhafi de nouveau capturé dans la ville de Syrte, tombée pour la sixième fois en deux jours entre les mains des rebelles, pour un total de 118 changements de mains ces trois dernières semaines», avaient-ils posté.

Par ces gestes, les internautes voulaient attirer l’attention sur le nombre important d’informations des agences de presse qui manquent de précision et qui tournent en boucle. La même remarque peut être faite concernant la qualité de l’info relative à la guerre au Mali. Alors qu’on annonce les succès des troupes françaises qui avancent vers le nord, les journalistes, eux, peinent à obtenir des informations précises et vérifiées, en dehors de celles données par les canaux officiels et autorisés.

De plus en plus de voix se sont élevées pour «critiquer ce monopole dans le traitement de l’information de guerre et dénoncent l’interdiction aux reporters de s’approcher des zones d’affrontement ainsi que le faible nombre de journalistes embedded (embarqués avec l’armée). Nonobstant les risques et la difficulté de la mission du reporter de guerre, certains estiment que c’est le seul moyen d’avoir une info diversifiée et «crédible» et se référant aux derniers conflits armés internationaux, des hommes de la presse estiment qu’ils étaient mieux couverts.

Des images «vides de sens»

«L’accès est plus restreint au Mali qu’en Afghanistan», commente Marc Bastian, reporter à l’Agence France Presse (AFP), expliquant : «Là-bas l’armée française nous laissait accéder aux zones de combat» alors qu’au Mali les journalistes n’y sont autorisés qu’une fois les opérations militaires terminées et le terrain déblayé. Les autorités militaires françaises réfutent ces critiques.

«Il y a eu 40 médias et 150 journalistes embedded depuis dix jours et tous les jours, on envoie des images photo et vidéo à la presse. Que ce soit uniquement des prises de vue militaires, ça fait quarante ans qu’il en est ainsi» selon l’entourage du ministre français de la Défense, cité par l’AFP.

Commentant les premières images des frappes aériennes fournies par l’armée française, Jean-Paul Mari, du Nouvel Observateur, n’a pas mâché ses mots dans un article publié le 25 janvier. «Les belles images de l’armée française ne nous disent pas l’essentiel. La réalité du conflit (…)», a-t-il estimé. «Quels sont les combats ? Quelle est la résistance ? Où se sont retirées les colonnes jihadistes ? Quel est l’état de la population ? Quel est l’accueil dans les villes libérées ? Que racontent les habitants des villes occupées depuis un an ? Y a-t-il des exactions ou pas ?» s’est interrogé le journaliste, regrettant que ces questions restent sans réponse.

Et d’ajouter : «Sur le terrain des opérations militaires, nos soldats font leur travail et l’armée semble avancer vite et bien. A l’inverse, sur le terrain des médias, la France est en train de perdre la bataille de l’information libre», a-t-il jugé. Un constat qu’avait également fait le syndicat national des journalistes affilié à la Confédération générale du travail en France (SNJ-CGT). Dans un communiqué rendu public vendredi, le syndicat dénonçait la couverture «trop officielle» des médias français de la guerre au Mali qui annonçait, selon lui, «l’enterrement du débat pluraliste et démocratique».

Monopole de la communication

Le SNJ-CGT a également déploré l’interdiction de l’accès aux zones de combats aux journalistes, décidée par la France, et regrette que seule «la communication officielle de l’Elysée, de l’état-major et des experts étoilés» soit autorisée. Il s’inquiète également de «l’unanimisme de nombreux commentateurs et le ton va-t-en-guerre des médias dominants». En effet, rares ont été les voix opposées à la guerre invitées à s’exprimer par les médias. Pis encore, plus rares ont été les médias à s’interroger sur les enjeux de la guerre et à poser des questions de fond.

Certains observateurs parlent même de propagande. Pour le journaliste indépendant Michel Collon, la campagne médiatique en faveur de la guerre au Mali répond bien aux «cinq principes incontournables de la propagande de guerre». Ainsi, les intérêts économiques sont cachés.

Les ressources naturelles du pays et du Niger voisins exploitées par de grandes firmes françaises (Bouygues, Areva, Alstom, Suez) ne sont pas mentionnées. Aussi, l’histoire est cachée. Selon le journaliste, on n’informe pas suffisamment sur les ravages de la colonisation d’une part et le soutien français à l’actuel président issu d’un putsch en mars 2012 d’autre part. Autre excuse, «faire croire qu’on est victime ou que l’on court sauver des victimes».

Le président français n’ayant pas hésité à parler d’«agression» et de «menace» concernant l’avancée des «islamistes» vers le sud du pays, le 11 janvier dernier. M. Collon précise également que la France a été appelée à l’aide par un président intérimaire qui ne disposait pas du pouvoir légitime et par des dirigeants africains qu’elle avait elle-même mis en place. Ensuite, la diabolisation de l’adversaire est visible, insiste le journaliste, à travers le recours aux termes de «terroristes islamistes» pour justifier l’intervention. Il soulèvera le paradoxe dans le soutien de la France aux combattants islamistes en Libye et en Syrie.

L’autre principe de la propagande de guerre est, précise-t-il, le monopole de l’information. Car si la France s’est illustrée en allant seule au front au Mali, il faut dire qu’elle domine également le champ médiatique. Les médias internationaux ne faisant que reprendre les informations fournies par l’armée française aux agences de presse internationales, en particulier l’AFP, qui n’a pas hésité à publier, le 16 janvier dernier, que «l’intervention française a suscité l’enthousiasme à Bamako, où les commerçants ont même signalé mardi une ‘’pénurie’’ de drapeaux français. Plusieurs médias maliens ont même rapporté que des enfants nés ces derniers jours ont été prénommés ‘’Hollande’’».

M. B.