De nouveaux réflexes religieux contraires à nos traditions
Chaque année, durant le mois de Ramadhan, les musulmans s’en vont, après le ftour, accomplir la prière d’El Icha et, pour une bonne partie d’entre eux, les tarawih, cette prière non obligatoire qu’on ne trouve nulle part ailleurs que durant ce mois sacré.
Sans revenir sur l’histoire et les conditions historiques de l’apparition de cette prière volontaire (nafila ou
tatawwou’), nous rappelons simplement qu’elle date du temps du prophète Mohamed (Qsssl) et qu’elle n’a pris la forme que nous lui connaissons actuellement que durant le khalifat de Omar Ibn el Khattab.
Il nest un secret pour personne que l’accomplissement de cette prière par les fidèles obéit à deux objectifs essentiels. D’un côté, la prière des tarawih est une forme de célébration du mois du Coran car c’est durant le mois sacré du Ramadhan qu’eut lieu le tenzil (la Révélation) du Coran et, d’un autre côté, elle permet aux fidèles d’écouter la récitation intégrale du Coran. C’est la réalisation de ces deux objectifs que nous voulons discuter ici. Autrement dit, est-ce que les tarawih constituent, même de nos jours, la célébration du Coran? Et est-ce que les musulmans écoutent réellement le Coran dans son intégralité durant ce mois sacré?
Écoute-t-on réellement le Coran durant les nuits de Ramadhan?
La prière des tarawih est commune à tous les pays musulmans. Il existe cependant quelques différences d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre et, parfois même, d’une mosquée à l’autre, au sein d’un même douar. Ces différences portent essentiellement sur deux choses. D’abord, le nombre de hizbs, que l’on récite et, ensuite, sur la date de l’entame de la prière.
En effet, il est des mosquées où l’on récite deux hizbs par nuit de manière à pouvoir réciter le Coran dans son intégralité en trente nuits, mais il en est où l’on récite moins et même où l’on récite plus. La prière elle-même étant volontaire et non obligatoire, il n’y a aucun plafond ou plancher au nombre des hizbs récités. Toutefois, dans notre culture à nous Algériens, chaque nuit on récite deux hizbs. C’est ce qui se fait depuis toujours. Ceux qui souhaitent écouter le Coran dans son intégralité durant le mois sacré de Ramadhan préfèrent donc aller là où l’on récite deux hizbs par nuit.
La seconde différence porte, quant à elle, sur le début des tarawih. Autrefois, on commençait la prière des tarawih la nuit du doute c’est-à-dire le 29 du mois de châabane au soir. De cette manière, et quelle que soit la durée du mois de Ramadhan, on est assuré de lire ou d’écouter le Coran dans son intégralité. Aujourd’hui, les mosquées divergent quant à ce point de départ. Il en est qui continuent à entamer la prière la nuit du doute, mais il en est d’autres qui ne commencent qu’à l’annonce de Ramadhan. Dans ce dernier cas, lorsque le mois de Ramadhan s’avère de 29 jours, il devient difficile de terminer le Coran. Ainsi, de nos jours, aussi bien ceux qui ne récitent pas deux hizbs que ceux qui ne commencent pas la prière la nuit du doute ne peuvent pas terminer la récitation du livre sacré durant le mois de Ramadhan et, du coup, c’est un des deux objectifs qui peut tomber à l’eau. Encore une fois, cet objectif n’étant ni vital ni même fondamental, cela ne peut, en aucun cas, affecter la foi de l’individu. Néanmoins, et malgré tout, certains ressentent une certaine frustration du fait de ne pas avoir assisté à la récitation complète.
A côté de ces divergences plutôt «de forme», il y a d’autres dissimilitudes de nature différente. Sur ce registre, retenons d’abord qu’il y a des «récitateurs» (qui ne sont pas toujours des imams) dont les paroles sont inintelligibles soit parce qu’ils prononcent mal (à cause de l’ignorance de makharej el hourouf) ou parce qu’ils ne connaissent pas les fins de phrases (ahkam el waqf). Dans ce cas, il va sans dire qu’il est difficile pour les fidèles de comprendre ce qu’ils entendent et ils ne peuvent donc pas prétendre avoir écouté le Coran durant ce mois sacré.
Par ailleurs, il y a parmi les «récitateurs» ceux qui se focalisent plus sur l’air et la musicalité et ne donnent au texte que peu d’importance. Là aussi ceux qui les écoutent sont généralement perdus et il leur est difficile de suivre. Il y a ceux qui essaient d’imiter certains imams moyen-orientaux et, enfin, il y a ceux qui récitent trop vite, comme pressés d’en finir et qu’il n’est généralement pas facile de comprendre non plus. Dans tous ces cas de figure, on peut dire que l’objectif de l’écoute du Coran intégral n’est pas atteint. Bien sûr, il existe encore, Dieu merci, quelques-uns qu’on arrive à comprendre et dont la lecture est intelligible mais leur nombre est limité par rapport aux autres et les mosquées où ils se trouvent sont généralement pleines.
Pourquoi tous ces prêches?
En soi, les tarawih ne posent pas problème du fait qu’il s’agit d’une prière volontaire. C’est une prière que nos parents accomplissaient le plus normalement du monde, c’est-à-dire comme une prière, un point c’est tout. Mais ce qui pose problème, ce sont certains comportements, pour le moins nouveaux, qui envahissent nos mosquées et auxquels il convient de réfléchir sérieusement avant qu’il soit trop tard.
En premier lieu, il y a le prêche nocturne que certains imposent aux fidèles avant la prière du Icha. En effet, il est quelques imams ou cheikhs qui, une fois l’appel à la prière effectué, commencent à donner des «dourous» dont la durée peut aller parfois jusqu’à 30mn. En agissant ainsi, ces gens là commettent deux grandes erreurs. La première est le fait même de faire leur discours et la seconde est celle de le faire entre el adhan et la prière.
Le prêche des nuits du Ramadhan est, à l’aune de beaucoup d’autres choses, «importé». Il est intrus dans nos coutumes car nous ne connaissions pas cela par le passé. Par ailleurs, et combien même nous concédons à ces gens de faire leurs discours, pourquoi le font-ils entre el adhan et la prière? S’ils veulent tenir leurs discours, qu’ils le fassent en dehors du temps de la prière et que ceux qui s’en sentent intéressés viennent les écouter. N’est-ce pas une manière d’obliger les gens à les supporter? Mais parce qu’ils savent que personne ne viendra les écouter, alors ils ont eu recours à ce stratagème ou, disons plutôt, à ce piège!
La nuit de Ramadhan, les gens sont fatigués. Après une journée de jeûne, ils viennent faire la prière d’el Icha et, ceux qui le peuvent, les tarawih aussi. Parmi les gens qui viennent à la mosquée, il y a des commerçants qui veulent ouvrir leurs commerces après la prière, il y a des personnes âgées qui veulent s’endormir après la prière, il y a simplement des gens qui veulent prier et partir. Alors, pourquoi faudrait-il qu’on leur impose d’écouter des prêches qui, non seulement ne sont pas obligatoires mais qui, en plus, n’ont – à notre connaissance – aucun ancrage historique. Qui donne donc la permission de faire ces prêches inutiles (car personne n’écoute les prêches à cette heure tardive), ennuyeux et fatigants? Et d’abord ceux qui tiennent ces discours que disent-ils? En toute honnêteté, il y a lieu de revoir le discours religieux dans son ensemble chez nous car, pour ne pas le dire autrement, il est totalement déphasé et complètement déconnecté de la réalité. Sur ce point, nous reviendrons peut-être une autre fois.
Ah, ces comportements importés!
Parmi les comportements importés, il y a lieu de citer la manière de se tenir du fidèle pendant sa prière. De nos jours, c’est triste à dire, mais dans nos mosquées, chacun se tient comme bon lui semble. Il y a ceux qui tiennent leurs bras le long du corps (el Isdal), ceux qui les croisent sur la poitrine (el kabdh) et ceux qui les croisent sur le ventre. Le courant malékite est pourtant pour el isdal, alors pourquoi cette divergence chez les fidèles dans une même mosquée?
Ensuite, il y a cette nouvelle manière de tenir les jambes collées à celles des autres lors de la prière. Nous ne connaissons pourtant pas à cela des justifications chez les Malékites, du moins, en nous basant sur la manière dont on regardait faire nos parents et nos grands-parents. Quel intérêt a-t-on de coller les pieds à ceux des autres? D’abord, en agissant ainsi, on les empêche de se concentrer sur leur prière et, ensuite, rien ne justifie une telle position. C’est, disent certains, pour empêcher le diable de passer entre les gens?! Est-ce que cela signifie que le diable vient prier avec nous? Et si c’est ainsi, pourquoi par le passé nous ne connaissions pas cela? En tout cas si le diable veut passer, il a toujours plus d’espace entre les jambes qu’entre les gens, alors…
A cela, il faut ajouter la «jelsat el istiraha» (que nous traduirons par «petite pause») et qui consiste pour le fidèle à s’asseoir quelques secondes entre le soujoud (prosternation) et le woukouf (position debout). Cette pause, en plus du fait qu’elle n’est pas malékite, pose de sérieux problèmes car lorsque ceux qui sont autour de vous la font, il vous est impossible de savoir s’il y a lieu de se lever ou de rester assis pendant la prière et nombreux sont ceux qui se plaignent de ce comportement qui perturbe la prière des gens.
Ajoutons à cela ces fidèles qui, à un moment de la prière des tarawih se mettent, parfois, à pleurer à très haute voix. On ne sait vraiment pas si c’est pour faire entendre les autres ou si c’est pour s’entendre soi-même. En tout cas, ils réussissent toujours à déconcentrer ceux qui sont près d’eux et à gêner les autres fidèles. A cause de tous ces détails qui, en fin de compte, finissent par compter, la prière collective (salat el jamââ) ne ressemble plus à ce qu’elle était avant que ne nous arrivent ces importateurs de comportements et de «sentiments». La chorégraphie de la prière est sérieusement perturbée lorsque vous voyez des gens qui se tiennent debout alors que d’autres sont en position de prosternation pendant qu’une troisième partie est assise. L’harmonie de la prière collective est, elle aussi, déstabilisée lorsque vous avez une partie des fidèles qui ont les bras le long du corps, que d’autres les tiennent croisés sur la poitrine tandis qu’une autre partie les tient croisés sur le ventre. Quelle est la position vraie, juste?
En fait, il n’y a pas de position vraie ou juste, il y a celle retenue par le courant de pensée (madh’heb) duquel on relève. Les Malékites ont leur manière de prier, comme les Hanafites, les Chaféites, les Hanbalites ou les autres et, en général, dans un pays, il y a un courant qui domine. Chez nous, et c’est là un grand problème, nous ne savons plus de quel courant de pensée nous relevons, tellement tout est mélangé. Chez nous se côtoient la Malikiya, la Hanbaliya, la pseudo-salafia, la Chi’â et Dieu sait encore quoi. Et c’est là que se pose avec acuité la question de savoir à quoi sert un ministère des Affaires religieuses de nos jours?
A quoi sert un ministère des Affaires religieuses?
Tout contents de leur exploit, les gens du ministère des Affaires religieuses ont annoncé ces derniers jours, avec beaucoup de fierté qu’ils ont procédé à l’imprimerie de 50.000 copies du Coran qu’ils distribuent au nom des chouhada, à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance. Une sorte de «sadaka» institutionnelle pour les morts!!! Il n’est pas sûr que le rôle d’un ministère des Affaires religieuses soit de faire ce type d’action qui aurait été, sans doute, beaucoup plus indiquée pour le ministère des Moudjahidine. Au lieu de réfléchir à ces actions qui le mettent entièrement à côté de la plaque, il aurait été plus intéressant pour le département de Ghlamallah de s’occuper des mosquées et de préserver le courant de pensée malékite qui est nôtre comme les autres pays préservent le leur et essaient de le diffuser. Est-ce trop demander à ce ministère que d’essayer d’être à la hauteur de la noble mission qui est sienne? Un ministère des Affaires religieuses n’est pas un office du Hadj et de la Omra. Il ne doit pas se contenter de s’adonner à la collecte de la Zakat pour procéder à une redistribution, pour le moins, très contestable et, d’ailleurs, très contestée par de nombreuses personnalités religieuses algériennes. Malheureusement, chez nous, c’est ce qu’a été jusque-là ce ministère, au moins depuis la venue de l’actuel ministre, c’est-à-dire depuis dix sept longues années (depuis le 24 juin 1997 à ce jour). On ne parle pas ici des scandales dans le secteur (vrais ou non révélés par la presse) car ce n’est pas notre sujet, mais on veut juste faire remarquer que, à l’image des autres départements ministériels, celui des affaires religieuses a somnolé pendant très longtemps, ce qui a donné la possibilité à tous les importateurs de coutumes et de comportements d’envahir nos mosquées.
Lorsqu’on importe les coutumes de chez les autres, il ne fait pas de doute que l’on perd les siennes. Aujourd’hui, dans certaines mosquées, nous retrouvons des personnes qui prient sur des chaises comme dans certains pays où est adopté un autre courant de pensée, nous rencontrons des gens avec des «chlakhs» des pays du Golfe (ces tissus blancs ou coloriés qu’on met sur la tête), nous sommes parfois génés par des «pleureurs» qui expriment leur «crise de foi» à haute voix lors de la prière, nous sommes saturés des dourous vides et inutiles qui meublent le temps et occupent les gens… Et dire que, autrefois, les chaises n’apparaissaient jamais dans les mosquées, que les gens venaient prier avec leur tenue normale lorsque ce n’est pas la tenue traditionnelle de chez nous, que ceux auxquels il arrivait de pleurer, le faisaient en douceur et en catimini pour ne pas être vus et que ceux qui faisaient des dourous, les faisaient en dehors du temps de la prière. Tellement de choses ont changé que, pour être franc, nous ne retrouvons plus nos repères dans la mosquée. Rendez-nous donc notre mosquée!