Les militaires mutinés au Mali ont annoncé jeudi à la télévision nationale qu’ils s’étaient emparés du pouvoir devant l’incapacité du gouvernement d’Amadou Toumani Touré à mater la rébellion touarègue dans le nord du pays.
Les institutions ont été dissoutes, la Constitution suspendue, un couvre-feu décrété et les frontières fermées. Les putschistes, des officiers dont les grades ne dépassent pas celui de capitaine, ont promis de remettre le pouvoir à un nouveau gouvernement démocratiquement élu dès que le pays serait réunifié et que son intégrité ne serait plus menacée.
Par la voix d’Alain Juppé, la France, ex-puissance coloniale, a exprimé sa « très vive préoccupation à la suite du coup d’État qui vient de se produire au Mali » et condamné « avec la plus grande fermeté ce renversement par la force de l’ordre constitutionnel ».
Le ministre français des Affaires étrangères a également appelé « au rétablissement de la Constitution et des institutions, au respect des libertés et des droits fondamentaux et tout particulièrement de la personne du président M. Amadou Toumani Touré ».
Dans l’intervalle, Paris suspend « toutes ses coopérations régaliennes avec le Mali » mais maintient ses programmes d’aide en faveur de la population et de « lutte contre le terrorisme » – le Mali est situé en pleine « zone grise », cette bande de l’Afrique subsaharienne où opèrent des groupes affiliés à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
« METTRE FIN AU RÉGIME INCOMPÉTENT ET DÉSAVOUÉ D »ATT’ »
A Bamako, les mutins, regroupés au sein d’un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDR), présidé par le capitaine Amadou Sanogo, ont annoncé la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays.
Flanqué d’une vingtaine de soldats, leur porte-parole, le lieutenant Amadou Konaré, est apparu à la télévision pour expliquer qu’ils avaient « décidé de prendre leurs responsabilités en mettant fin au régime incompétent et désavoué de M. Amadou Toumani Touré », accusé d’impuissance face à la rébellion touarègue.
Ces derniers temps, la colère n’avait cessé d’enfler au sein de l’armée contre le manque de moyens mis à sa disposition pour lutter contre le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).
Les rebelles touaregs du MNLA, qui revendiquent trois régions septentrionales pour créer une enclave dans le nord du pays, ont engrangé des succès sur le terrain ces dernières semaines, en partie grâce au renfort de combattants de retour de la guerre civile en Libye. Ces combats ont fait des dizaines de morts et 200.000 déplacés.
Les rebelles se sont notamment emparés, ce mois-ci, de la ville de garnison de Tessalit, près de la frontière algérienne.
En dépit du couvre-feu décrété jusqu’à nouvel ordre, automobilistes et motocyclistes continuaient à circuler jeudi dans les rues de la capitale, où des soldats tiraient en l’air par moments, a constaté jeudi un journaliste de Reuters.
L’aéroport de Bamako a été bouclé par des policiers, et non par des militaires, et il est impossible de savoir si les mutins disposent de suffisamment de moyens pour boucler les frontières d’un pays grand comme deux fois la France et qui compte sept Etats voisins.
Dans la nuit précédente, des tirs sporadiques à l’arme lourde et des balles traçantes ont retenti à Bamako, et les mutins ont temporairement contraint la radio-télévision nationale à cesser d’émettre.
Aucun décès n’a été signalé, mais un responsable de l’hôpital Gabriel-Touré de Bamako a indiqué qu’une vingtaine de personnes blessées par balles avaient été admises.
UNE VISITE MINISTÉRIELLE, ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR DES ÉVÉNEMENTS
C’est mercredi soir que les soldats mutinés ont attaqué le palais présidentiel, où ils sont entrés dans la nuit.
Parlant alors de « tentative de coup d’Etat », une source au ministère de la Défense a confié que le président Amadou Toumani Touré se trouvait en lieu sûr, sans préciser où.
En février, Bamako avait été brièvement paralysé par des barricades érigées par des centaines de Maliens en colère, qui avaient brûlé des pneus dans les rues en signe de protestation contre l’incapacité des autorités à mater la rébellion.
Selon une source militaire, l’un des déclics des événements de mercredi a été la visite du ministre de la Défense dans une caserne située à Kati, à une vingtaine de kilomètres au nord de Bamako.
Un fonctionnaire du ministère qui était présent lors de la rencontre à Kati a expliqué qu’un soldat l’avait accusé de trahir l’armée en ne lui accordant pas les moyens nécessaires pour combattre les rebelles. Des soldats se sont mis alors à lancer des pierres en direction du ministre avant de prendre des armes à l’armurerie et de tirer en l’air.
Sur le plan international, quelques heures avant l’intervention des mutins à la télévision nationale, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a lancé un appel au calme et demandé que les doléances des révoltés soient évoquées dans un cadre démocratique.
Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine (UA), s’est déclaré, lui, « vivement préoccupé par les actes répréhensibles perpétrés actuellement par certains éléments de l’armée malienne ».
Une élection présidentielle était programmée pour le 29 avril. Amadou Toumani Touré (« ATT »), au pouvoir depuis 2002, avait annoncé qu’il ne serait pas candidat.
Avec Adama Diarra à Bamako et Richard Lough à Nairobi; Bertrand Boucey, Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Gilles Trequesser et Jean-Philippe Lefief