Le marché parallèle est en passe de devenir la règle, grevant le budget de l’Etat
Le cumul de tous les manques à gagner pour l’Algérie causés par le commerce informel, l’évasion fiscale et la fuite des capitaux, se monte à des dizaines de milliards de dollars. De quoi équilibrer la balance des paiements, même avec un pétrole à 40 dollars le baril.
L’emploi non déclaré, le marché informel et l’évasion fiscale tirent l’Algérie dangereusement vers le bas. Ce sont autant de gouffres financiers qui occasionnent des manques à gagner astronomiques.
Les chiffres de l’ONS parlent d’eux- mêmes. En matière d’emploi non déclaré, le constat fait état de près de 5 millions de salariés non déclarés en Algérie, sur 10 millions. Soit une personne occupée sur deux n’est pas censé bénéficier de la sécurité sociale, mais qui se soigne gratuitement dans les structures de santé publiques financées par la Caisse nationale de sécurité sociale. De fait, le système de santé prend en charge des Algériens qui ne cotisent pas. Cela alourdit les déficits. L’absence de cotisation vaut aussi pour l’IRG qui n’est pas recouvrée. Ceci se traduit par un manque à gagner pour le Trésor de plusieurs centaines de milliards de dinars annuellement. Les spécialistes parlent d’une échelle de 600 à 700 milliards de dinars que le Trésor public laisse filer chaque année. En dollars, ces montants frisent les 8 milliards de dollars, 4 fois la facture du médicament et l’équivalent de plusieurs établissements hospitaliers que l’Algérie aurait pu réaliser pour améliorer la prise en charge sanitaire de la population.
Même si la collectivité nationale souffre de ce mal endémique, le travailleur non déclaré en est la première victime. «J’ai besoin de travailler pour subvenir aux besoins de ma famille, même si je ne suis pas déclaré, je ne peux refuser» déclare à L’Expression Slimane, employé dans le bâtiment. L’engrenage qui prend à la gorge des ouvriers comme Slimane profite d’abord aux employeurs indélicats. Ces derniers, dont le nombre ne cesse de progresser, au vu de la taille impressionnante de l’activité informelle en Algérie, prolifèrent dans presque tous les secteurs d’activité. Le marché parallèle est en passe de devenir la règle, grevant le budget de l’Etat de plusieurs dizaines de milliards de dollars. En effet, en plus de l’IRG et autres IBS non recouvrés par les institutions financières du pays, l’évasion fiscale est le sport favori de cette économie underground.
Ainsi, l’économie informelle accentue et aggrave cette plaie. Le marché noir pèse quelque chose comme 40% du PIB. En monnaies sonnantes et trébuchantes, cela représente plus de 90 milliards dollars. A lui seul, il contrôle près de 65% des produits de large consommation. L’Union générale des commerçants algériens (Ugca) estime que le manque à gagner qu’engendre le «le marché noir» est de l’ordre de 400 milliards de dinars, soit plus de 4,5 milliards de dollars.
Les raisons sont de notoriété publique, l’enquête de l’ONS affirme que 80% des transactions commerciales se réalisent sous un seul mode de paiement, le cash. D’où l’absence de toute traçabilité et de bancarisation de ce volume de transactions. Il s’agit d’un processus complexe orchestré par les nababs de l’import-import, et dont le marché informel quelle que soit son importance, à l’image de celui d’El Eulma, n’en représente que la dernière étape.
Le cumul de la fiscalité non recouvrée avoisine les 8 000 milliards de dinars. Il s’agit d’une dérive qui rejoint et nourrit les deux autres failles suscitées. Ce montant représente plus de deux fois les recettes annuelles de l’Etat. Il engloberait près de cinq fois la recette fiscale et trois fois les revenus du Fonds de régulation des recettes. Les raisons reviennent directement aux lacunes enregistrées dans l’application des poursuites prévues par le Code des procédures fiscales. Les instruments qui peuvent rendre cette procédure efficace, en l’occurrence les inspections d’impôts, se contentent uniquement d’appliquer le principe de la notification conformément à l’article 145 du même code.
Sur un autre plan, la fuite illicite des capitaux vers l’étranger, soutenue essentiellement par la surfacturation plonge l’Algérie dans les fonds abyssaux de la corruption. Le rapport de la Banque d’Algérie fait état de 17,33 milliards de dinars d’infractions de change. Pour sa part, le directeur général du contrôle économique et de la répression des fraudes au ministère du Commerce, fait état de 155 milliards de transactions sans factures.
Au coeur de cette tragédie économique, la libéralisation du commerce extérieur. Cette dernière a rendu possible l’existence et la réalisation de ces transferts illicites vers l’étranger, du fait que ces transactions transitent par le canal bancaire, il suffisait aux importateurs indélicats de surfacturer leurs importations, ou de simplement les inventer, et les relayer par des sociétés écrans. A ce titre, le montant annuel de ces transferts s’élève selon l’économiste Mahdjoub Bedda, de 1,8 à 2 milliards de dollars annuellement, soit 1% du PIB. A cela s’ajouterait la part des commissions prélevées sur la conclusion des contrats des marchés publics, elle représente 5 à 6% de la valeur globale des contrats.
En tout état de cause, il est indéniable pour tous les économistes, que les transferts illicites de capitaux s’alimente de la devise publique, prélevée des réserves de change. Ils expliquent cette situation à travers trois raisons, la corruption à travers les pots-de-vin versés dans le cadre de l’obtention des marchés, la surfacturation des importations et le marché parallèle des devises.