L’organisation tunisienne «I Watch» a lancé, le samedi 13 avril, une nouvelle «cartographie sociale» en ligne destinée à signaler les cas de corruption.
Le nom retenu pour ce site est «Billkamcha», un terme d’argot qui désigne une personne «prise sur le fait». Quarante-huit heures seulement après l’ouverture de ce site, il a déjà réuni sept mille supporters. «Ce site web interactif est conçu pour permettre aux victimes de la corruption de signaler immédiatement leur mésaventure, que cette corruption soit financière, administrative ou prenne la forme du favoritisme,» a expliqué le président de I-Watch Tunisia Achraf Aouadi lors du lancement de cette initiative.
Selon lui, ce site permet aux dénonciateurs de conserver leur anonymat tout en les aidant à chercher justice. «S’ils refusent cette option, nous proposons de faire pression sur les médias pour dénoncer au grand jour la corruption et les personnes corrompues», a-t-il expliqué. «La lutte contre la corruption en Tunisie requiert les efforts de chacun, et le rôle de la société civile est nécessaire et inévitable», a expliqué Taoufik Chammari, président du Réseau national anti-corruption, à Magharebia.
«Nous devons aller vers les gens et renforcer chez eux la notion de lutte contre la corruption et leur montrer toutes les méthodes et techniques utilisées par les gens corrompus», a-t-il ajouté.
Imed Ben Khemisa, ancien membre de la commission nationale d’enquête sur la corruption et les détournements de fonds, a également salué ce projet. «Je trouve personnellement cette idée très bonne, fructueuse et significative pour notre pays», a-t-il expliqué à Magharebia. Il a indiqué que le travail de sa commission après la révolution avait «permis le transfert de plus de quatre cents dossiers au procureur général après examen de plus de cinq mille cas».
Pour sa part, Salma ben Jemii, cadre bancaire, a déclaré que «un tel site encouragera les personnes hésitantes et celles qui redoutent des poursuites administratives pour divulgation de secrets commerciaux à exposer ce qui se produit autour d’elles en matière d’utilisation frauduleuse des deniers publics, notamment en ce qui concerne les banques publiques.»
Le classement de la Tunisie à l’Indice annuel de perception de la corruption de Transparency International est passé de la 59ème place en 2010 à la 75ème en 2012, ce qui prête à penser que ce fléau a pris plus d’ampleur sous le règne des islamistes d’Ennahda que sous la « dictature » de Ben Ali.
Lors du Forum social mondial organisé le mois dernier par la Tunisie, Farid Farid, coordinateur des médias pour le Moyen Orient chez Transparency International, avait expliqué que les facteurs les plus importants ayant entraîné cette dégradation étaient «l’acceptation par la société de la corruption et sa tolérance, ainsi que le manque d’institutions régulatrices, la non-activation des lois et le manque de transparence et de bonne gouvernance au sein des institutions».
Le dernier sondage d’opinion en date mené par le Centre tunisien de gouvernance des entreprises, publié en septembre 2011, avait fait apparaître un niveau de corruption dans la police atteignant 72 pour cent, 70 pour cent au sein des partis politiques, 57 pour cent dans les douanes, 57 pour cent au sein du gouvernement de transition, 40 pour cent chez les avocats et 39 pour cent chez les juges.
«I Watch» a été créé en mars 2011 comme un organisme de surveillance local à but non lucratif ayant deux objectifs principaux : la transparence et la lutte contre la corruption. «Il est du devoir des citoyens de faire preuve de prudence et d’éviter tout comportement égoïste lorsqu’ils cherchent de l’aide sans être victimes d’individus corrompus», a expliqué Hatem Omri, militant des droits de l’Homme. «Nous devons condamner le corrupteur et le corrompu. Alors seulement nous pourrons commencer à parler d’éradication de la corruption.»
En février de l’an dernier, Abderrahmen Ladgham, ministre de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, avait déclaré qu’un tiers des Tunisiens avaient été impliqués dans des affaires de corruption au moins une fois dans leur vie. «Selon les statistiques dont nous disposons, 90 pour cent des Tunisiens considèrent la corruption comme un délit, mais une personne sur trois a soit accepté un pot-de-vin, soit l’a payé», a-t-il précisé.
«I Watch» coordonnera son action avec plusieurs avocats pour traiter les dossiers qu’elle a commencé à recevoir. Ce site compte une équipe de six membres à plein temps chargés de recevoir les plaintes et les rapports relatifs à la corruption. Il compte aussi sur dix blogueurs, dont la mission est d’exposer et de détecter les cas de corruption reçus par ce site.