Les scandales à répétition, de l’affaire Khalifa, à Sonatrach en passant par la route Est-Ouest, repris par la majorité des médias internationaux discréditent l’image de l’Algérie au niveau international et démobilisent les citoyens au niveau interne.
La Cour des comptes
La prolifération d’institution de contrôle, dont la dernière en date est l’institution de lutte contre la corruption, est inefficace sans un Etat de droit, la démocratisation de la société et sans vision stratégique d’ensemble. Aussi, la problématique posée, objet de cette contribution : l’efficacité de la Cour des comptes dont j’ai été magistrat (premier conseiller et directeur central des études économiques entre 1980/1983 du temps de feu Dr Amir) et d’une manière générale toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité, ne sera-t-elle pas fonction d’une gouvernance globale rénovée ?
1.- En moins de 30 ans, les textes régissant le fonctionnement de la Cour des comptes dépendant de la présidence de la république et prévue dans la constitution (JORADP N°76 du 8 décembre 1996 modifiée par loi n°02-03 du 10 avril 2002 JORADP n°25 du 14 avril 2002 loi n°08-19 du 15 novembre 2008 JORADP N°63 du 16 novembre 2008) et le Conseil des ministres en date du 25 aout 2010 qui a approuvé une ordonnance élargissant et renforçant les missions de la Cour des comptes, modifiant et complétant l’ordonnance n°95-20 du 17 juillet 1995. La Cour des comptes est organisée en chambres à compétence nationale (au nombre de huit), et en chambres à compétence territoriale (au nombre de neuf) et une chambre de discipline budgétaire et financière.
Au terme de la loi, la chambre de discipline budgétaire et financière (CDBF) est compétente pour juger et sanctionner certaines fautes ou irrégularités commises par les gestionnaires publics et agents assimilés ayant causé un préjudice certain au trésor public ou au patrimoine des organismes publics. Les chambres à compétence nationale sont chargées du contrôle des comptes et de la gestion financière des ministères, le contrôle des établissements et organismes publics de toute nature dépendant d´un ministère ou recevant des subventions inscrites à son indicatif ainsi que le contrôle des entreprises publiques économiques dont l´activité est liée au secteur couvert par ledit ministère. Les chambres à compétence territoriale sont chargées de contrôler les finances des collectivités territoriales (wilayas et communes) relevant de leur compétence géographique. Les chambres territoriales peuvent également contrôler les comptes et la gestion des organismes publics auxquels les collectivités territoriales concèdent des concours financiers ou détiennent partiellement ou majoritairement leur capital. Institution supérieure du contrôle à posteriori des finances de l’Etat (article 2) étant une institution à compétence administrative et juridictionnelle (article 3), la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN- Sénat) dans l´exécution des lois de finances pouvant être saisie par le président de la République, le Chef du gouvernement (actuellement le premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale.
Ses procédures de contrôle et d´investigation, sont inspirées des normes internationales, notamment celles élaborées par l’INTOSAI dont l’apurement des comptes des comptables publics, est un acte juridictionnel portant sur l´exactitude matérielle des opérations de recettes et de dépenses portées au compte du comptable public ainsi que leur conformité avec les lois et règlements en vigueur, la reddition des comptes, tout comptable public est tenu de déposer son compte de gestion au greffe de la Cour des Comptes en conservant les pièces justificatives qu´il doit mettre à la disposition de l´institution. Les ordonnateurs des organismes publics sont également tenus de déposer leurs comptes administratifs dans les mêmes formes, le contrôle de la discipline budgétaire et financière, s´assure du respect des règles de discipline budgétaire et financière, et prononce des amendes à l´encontre des responsables ou agents des institutions, établissements ou organismes publics ayant commis une faute ou irrégularité préjudiciable au Trésor public ou à un organisme public, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d´apprécier les conditions d´utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l’état, les établissements et organismes publics et enfin l´évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l´évaluation, au plan économique et financier, de l´efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d´objectifs d´intérêts national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l´Etat ou des organismes publics soumis à son contrôle.
2.- Quelles sont les nouvelles prérogatives de la Cour des comptes ? L’ordonnance 2010, élargit les missions de la Cour des comptes quant au renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. “La Cour des comptes exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’État, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision”, Ainsi, la Cour des comptes s’assurera de l’existence, de la pertinence et de l’effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d’audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l’entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées. Un autre article de l’ordonnance en question, en l’occurrence le 27 bis, stipule que « si la Cour des comptes relève des faits de nature à justifier une action disciplinaire à l’encontre d’un responsable ou d’un agent d’un organisme public soumis à son contrôle, par référence au statut de ce dernier, elle signale ces faits à l’autorité ayant pouvoir disciplinaire à l’encontre du responsable ou de l’agent concerné ». L’ordonnance prévoit le pouvoir de consultation de la Cour des comptes dans l’élaboration des avant-projets annuels de loi de règlement budgétaire et cette révision confère au président de la République l’attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d’importance nationale dont : en premier lieu au renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraudes, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. En second lieu, il est question du renforcement de l’efficacité du contrôle de la Cour des comptes à travers l’obligation faite aux responsables des collectivités et organismes qu’elle contrôle de communiquer ses conclusions aux organes délibérants dans un délai maximal de deux mois, tout en tenant informée la Cour des comptes des suites réservées”. La cour des comptes devrait travailler en étroite collaboration avec l’office central chargé de la prévention et de la répression de la corruption. L’accent a été mis sur la modernisation de cet outil permettant de mieux contrôler l’économie nationale afin de lutter efficacement contre toute forme de fraude et de détournement et atteinte aux deniers publics et au patrimoine national. Qu’en est-il du dernier rapport de la Cour des Comptes ?
3.- Dans son rapport rendu pour la première fois public, dont la presse algérienne s’est fait l’écho le 7 novembre 2012 le rapport de la cour des comptes met en relief la mauvaise gestion des deniers publics, manque de volonté et de transparence. Le rapport de la Cour des comptes, concernant la gestion de l’argent de l’Etat, est accablant. Le rapport dénombre105 comptes spéciaux du Trésor, dont 16 n’ont pas connu de mouvements. Le nombre de comptes d’affectation spéciale reste prépondérant avec 77 comptes, soit 73% des CST. Pour les autres catégories, il est recensé 11 comptes de prêts, 9 comptes de participation, 4 comptes d’avance, 3 de commerce et un compte d’affectation spécial « dotation ». Les ministres des Finances, de l’Agriculture, de la Culture, de l’Intérieur, de l’Industrie et de la PME se sont vu confier la gestion de 35 comptes soit 45% de la liste en vigueur. Les investigations de la Cour des comptes ont mis en exergue, la gestion défectueuse des Comptes d’affectation spéciale (CAS), étant sollicités pour la réalisation des projets inscrits dans le cadre des plans quinquennaux 2004-2009 et 2009- 2014.
Le rapport note outre la non conformité aux principes de la comptabilité publique et aux dispositions de la loi que les objectifs assignés, que la réalisation de projets et de programmes, afférents au budget d’équipement par l’intermédiaire des CAS s’est faite en violation du principe d’affectation des crédits et du caractère exceptionnel dédié à ces comptes, la quasi-totalité des Comptes d’affectation spéciale n’ayant pas été réalisés malgré le soutien de l’Etat et le volume des subventions. Les dépenses relatives aux CAS dans le budget de fonctionnement de 2010, ont été de l’ordre de 90% en 2010, 98% en 2009 et 162% en 2008 et la part des CAS dans le budget d’équipement est passé de 96% en 2009 à 89% en 2010. De plus, les banques ne produisent pas les états faisant apparaître la liste des bénéficiaires (particulier ou organisme) des bonifications sur les crédits accordés. Il a été noté également les insuffisances du contrôle fiscal. Sur un effectif global estimé à 13.797, en 2010 seuls 536 agents sont affectés au contrôle fiscal soit un taux faible de 4%. Sur un nombre de 376.770 dossiers fiscaux, 1465 ont été programmés pour la vérification de la comptabilité, le rapport soulignant les insuffisances et les dysfonctionnements relevés, faute de programme de modernisation de l’administration fiscale. Pour le seul exercice 2010, le ministre des finances a déclaré un montant exorbitant de 430 MDA, (près de 5 milliards de dollars) au titre des dépenses fiscales sans pour autant décliner la base de calcul, ni fournir de détails ou d’explications sur les segments d’activités et les bénéficiaires pour lesquels celles-ci avaient été consenties.
La Cour des comptes note également dans son rapport que le taux de recouvrement des impôts est très faible. « À titre indicatif et pour les seuls restes à recouvrer (RAR) portant sur l’IRG et l’IBS, leurs montants ont totalisé 543 milliards de dinars(- 100 dinars algériens = 1 euro), à fin 2010. « La contribution des entreprises nationales à l’IBS n’est que de 44,885 MDA, soit 17 %, les 83 % restant, soit plus de 210 MDA sont réalisés avec des entreprises étrangères par voie de retenues à la source ». Plus grave, le document révélé fait état de détournements et d’opacité dans la gestion des dossiers du microcrédit. Ainsi, le rapport souligne qu’une bonne partie de ces dépenses est constituée par des exonérations fiscales, dans le cadre de mesures incitatives introduites par les différentes lois de finances afin d’encourager l’investissement et l’emploi. Le montant des exonérations a atteint, en 2010 de 93,66 MDA, l’Andi et l’Ansej ayant bénéficié respectivement de 73,18 et 20,48 MDA, soit des taux respectifs de 78% et 22% du montant global des exonérations. Malgré l’importance des exonérations accordées, le suivi des projets retenus n’a pas été au rendez-vous. L’absence de contrôle a encouragé certains promoteurs à ne pas respecter leurs obligations ou engagements. Cette situation s’est aggravée également par une défaillance dans la coordination des différents intervenants, Douanes, Impôts, Ansej et Andi. Ce qui a amené certains investisseurs à détourner les projets de leur destination initiale et, dans certains cas, à la cession des équipements acquis dans ce cadre.
4.- D’une manière générale, et au vu de la situation actuelle en 2013, il est évident que l’impact de la dépense publique de 500 milliards de dollars entre 2004/2013 est très mitigé. Si on avait économisé seulement 10% par une meilleure gestion et une lutte efficace contre la corruption, le gain net serait de 50 milliards de dollars soit 1850 milliards de dinars algériens. Dans un rapport élaboré le 27 février 2013, repris par l’agence officielle algérienne APS, de la Caisse nationale d’équipement pour le développement (CNED), il est mentionné qu’uniquement que les grands projets (non compris les petits projets, ni ceux de Sonatrach/Sonelgaz non inclus dans le calcul) inscrits au titre du plan de relance économique 2004/2009 ont connu un surcoût global de 40% pour l’ensemble de ces projets, c’est-à-dire un surcroît d’argent public de l’ordre de 1050 milliards de dinars, (plus de 13 milliards de dollars) soit un montant d’autorisations de programmes porté à 3655 milliards de dinars algériens (1oo dinars environ 1 euro) contre 2625 dinars prévus initialement. Le rapport note que le maître d’ouvrage élabore souvent une offre financière et un délai de réalisation prévisionnel en croyant qu’il maîtrise tous les facteurs qui entourent son projet ne prenant pas en considération des contraintes ce qui engendrent des réévaluations des autorisations de programmes, récurrentes et coûteuses pour le budget de l’Etat.
Le manque de maturation des études n’est pas le seul obstacle des réévaluations Ces difficultés sont généralement liées « à la libération des assiettes foncières et des emprises, aux retards dans le déplacement des réseaux divers, le retard dans le choix et l’installation des bureaux et suivi de contrôle des travaux, la faiblesse des capacités nationales de gestion et de suivi des grands projets , la non maîtrise » des prix en Algérie en raison de l’existence de « marchés déstructurés ». A ce tire ile st signalé que dès que la réévaluation dépasse 15% du montant du projet, le ministre de tutelle est obligé d’aller justifier la hausse devant le Conseil des ministres. Cependant il faut s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire c’est-à-dire le fonctionnement réel de la société , l’Algérie ayant les meilleures lois du monde mais rarement appliquées et avec des institutions qui se télescopent. Ainsi a été adoptée entre 2010/2012 la loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption prévoyant la création d’un office central de répression de la corruption (OCRC),qui vise « la consolidation des règles de transparence, de probité et de concurrence loyale concernant les marchés publics ». Comme il a été procédé durant cette période à l’adoption d’autres textes de loi traitant, également, de la lutte contre la corruption, comme à la monnaie et le crédit ainsi qu’à la répression des infractions de change et des mouvements des capitaux de/et vers l’étranger. Mais des lois sont inefficaces sans une réelle volonté politique. Dans tous les pays du monde où existe un Etat de droit, la Cour des comptes est une institution hautement stratégique, elle est composé de 100 magistrats financiers ne pouvant pas contrôler environ 17.000 entités (administration et entreprises publiques), notant qu’uniquement le contrôle de Sonatrach nécessiterait 200 magistrats financiers. Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’habitat assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant, comme par le passé, qu’elle ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques. Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compte que l’Algérie est toujours en transition depuis 1986 ni économie de marché, ni économie planifiée.
C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation, avec une tendance nettement affirmée, depuis 2009, à un retour à la gestion administrée bureaucratique, posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l’entreprise publique en cas d’interférences ministérielles donc du politique où la loi sur l’autonomie des entreprises publiques de 1990 n’a jamais été appliquée. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective et renvoie au blocage systémique, les managers prenant de moins en moins d’initiatives ? Cela explique la bureaucratisation de la société et la déperdition des entreprises productives. Or, la Cour des comptes, qui doit éviter cette vision répressive mais être un garde fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et administrations et donc éviter ce classement déplorable de l’Algérie entre 2004/20102 au niveau des institutions internationales comme un des pays les plus corrompus au monde.
5.- En résumé , je ne saurai trop insister que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de Droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socio-économique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités et pour plus moralité des dirigeants aux plus hauts niveaux afin de faciliter la symbiose Etat/citoyens. Comme il ya urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé depuis plus de 20 ans posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes y compris dans une grande société comme Sonatrach où ayant eu à diriger un audit financier avec une importante équipe composé d’experts, sur cette société entre 2006/2007, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts. Sans une in formation interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas la mission de la Cour des comptes serait biaisée. Dans les administrations disons que c’est presque impossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthode du début des années 1960. Cela ne peut que favoriser la corruption qui prend une dimension dangereuse remettant en cause les fondements de l’Etat et donc sa sécurité, en Algérie réside en l’effritement des valeurs morales contrairement aux valeurs défendues par les classiques de l’économie pour qui c’est le travail qui est la source de la richesse des nations. L’Algérie a deux choix : faire des efforts pour réformer ses institutions, l’économie vers plus de libertés, de démocratie de transparence et réhabiliter les vertus du travail ou régresser en optant pour le statu quo économique et politique, d’où l’urgence de s’adapter, au mieux des intérêts de l’Algérie, comme le font les pays émergents, au nouveau monde. Et pour cela, nous revenons toujours à la morale, surtout la moralité des responsables qui doivent donner l’exemple s’ils veulent mobiliser leur population et éviter l’anémisation de la société. Un phénomène déjà analysé avec minutie par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, dès le XIVe siècle, dans la Muqaddima, qui a montré que l’immoralité des dirigeants, avec comme impact la corruption gangrenant toute la société, comme ces distributions de revenus sans contreparties productives et des subventions généralisées sans ciblage, pour une paix sociale fictive provoquent la décadence des civilisations. Pour l’Algérie tant qu’il y a la rente des hydrocarbures.
Abderrahmane Mebtoul, professeur d’universités et expert international