La Corée du Nord a procédé, ce vendredi matin, à un nouveau tir de missile de courte portée. Que cherche Pyongyang? Pourquoi ces gesticulations militaires, pourquoi maintenant? Ce nouveau pic de tension avec ses voisins risque-t-il de dégénérer ?
Des provocations répétées à une échelle nouvelle
Un deuxième essai nucléaire, des missiles dont un nouveau ce vendredi matin, des menaces… Un mois et demi après la décision de Pyongyang de se retirer des discussions internationales sur sa dénucléarisation, la nouveauté, c’est bien le rythme auquel ces différentes provocations nord-coréennes se succèdent.
Ces éléments, pris séparément, inquiètent la communauté internationale mais ne sont pas totalement inédits. Pyongyang avait déjà procédé à un essai nucléaire en 2006, déjà tiré des missiles… Mais « cette concentration est sans antécédent », estime Olivier Guillard, directeur de recherche Asie à l’Institut de Recherche Internationale et Stratégique (Iris).
Ce n’est pas une simple gesticulation de Pyongyang
Selon lui, « ce n’est pas une simple gesticulation, il se passe des choses en coulisses. Kim Jong-Il [qui avait subi une attaque cérébrale l’été dernier, ndlr] va peut-être plus mal encore que les rumeurs l’indiquent. Cela traduit peut-être aussi des dissensions dans la hiérarchie au sujet de la future architecture du régime », avance-t-il.
Le chantage traditionnel ?
Autre aspect récurrent du dossier nord-coréen: le chantage. « C’est cyclique », rappelle Juliette Morillot, directrice de séminaire sur les Corées au Collège interarmées de défense. « Et ça marche. Après son premier essai nucléaire de 2006, Pyongyang a lâché du lest en acceptant de démanteler le site atomique de Yongbyon et obtenu une aide de 50 000 tonnes de fuel et le dégel de fonds suspects à Macao. A la fin, Pyongyang obtient toujours des résultats sonnants et trébuchants ».
Pyongyang veut attirer l’attention des Américains…
Face à la nouvelle administration américaine davantage préoccupée par la guerre en Afghanistan ou la gestion de la crise économique, Pyongyang espère « remettre le dossier nord-coréen sur le devant de la scène en se plaçant en position de force pour peser dans les négociations », souligne Valérie Niquet, directrice du Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
L’obsession de Pyongyang serait même de se retrouver en tête-à-tête avec les Américains. « C’est la seule chose qui importe aux yeux des Coréens du Nord », résume Olivier Gaillard. « Ils se fichent des négociations à 6 ou réduites à 3 avec la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis ».
… et attiser la flamme nationaliste
Au-delà de ce « cycle » de chantage et de cette « obsession américaine », le régime tente surtout d’assurer sa survie à un moment sensible… Kim Jong-Il serait très affaibli, il est donc vital pour Pyongyang « d’attiser la flamme nationaliste », souligne Juliette Morillot. Et de convaincre le peuple nord-coréen que ses difficiles conditions de vie « lui sont imposées par la nécessité de s’armer et de se défendre face à l’ennemi américain »…
Cette survie du régime passe par la continuité de la ligne dynastique. Or Kim Jong-Il vient de placer son troisième fils, Kim Jong-Un à la Commission de la défense nationale, peut-être pour qu’il lui succède un jour. « La fierté nationale se nourrit du sentiment que le pouvoir familial est fort et défie l’ennemi américain », ajoute cette spécialiste des deux Corées, également auteur du roman Les Larmes bleues (Plon) dont l’action se tient au lendemain de la guerre de Corée.
Kim Jong-Il donne aussi des gages aux « militaires sans lesquels le régime ne peut pas tenir. Une façon de ressouder les troupes et de les assurer que, malgré les discussions sur le désarmement, Pyongyang n’abandonne pas la ligne dure », ajoute Olivier Guillard.
La tension monte depuis des mois avec la Corée du Sud
La tension est montée de plusieurs crans avec la Corée du Sud, surtout depuis un an, depuis qu’elle est menée par un gouvernement partisan d’une ligne plus dure, considéré par le Nord comme une marionnette de l’ennemi américain.
Cette détérioration est marquée par quelques signes dont Juliette Morillot donne des exemples. « En juillet 2008, une touriste sud-coréenne a été tuée par balles en Corée du Nord. A la fin de l’année, la liaison ferroviaire entre les deux pays a été coupée. Enfin, le 15 mai dernier, la zone économique spéciale de Kaesong, où des entreprises sud-coréennes s’installaient et qui constituaient une importante source de revenus pour les ouvriers nord-coréens, a été fermée ».
La Corée du Nord avait averti que l’adhésion de la Corée du Sud à l’Initiative de Sécurité contre la Prolifération (PSI) lancée par les Etats-Unis en 2003 serait perçue comme une « déclaration de guerre ».
Ce texte prévoit des manoeuvres militaires et autorise l’arraisonnement de navires suspectés de transporter du matériel nucléaire. « On peut craindre des tentatives d’intimidation si des bâtiments sud-coréens tentent de d’inspecter des bâtiments nord-coréens », estime Valérie Niquet. Séoul prend donc très au sérieux les récents développements du dossier. Car « le caractère en partie irrationnel et jusqu’auboutiste d’un régime nord-coréen très fragile l’impose », explique-t-elle.
Comment réagit Séoul ?
Jusque récemment, la Corée du Sud avait plutôt tendance à considérer ses voisins du Nord comme « des cousins pauvres qu’il faut aider, dans l’espoir de réunir un jour les deux Corées », juge Olivier Guillard, de l’Iris. Le précédent président, Roh Moo Hyun, qui vient de se suicider, menait une politique conciliante, la « sunshine policy », qui comprenait par exemple la fourniture d’aide alimentaire et humanitaire.
Mais le pouvoir en place mené par le conservateur Lee Myung-Bak « estime que le Sud a été trop généreux et devrait demander des comptes, alors que le Nord n’offre aucune contrepartie », ajoute le chercheur. Si ce n’est des menaces. Menaces qui « apportent de l’eau au moulin de cette thèse qui reste pour l’heure minoritaire ».
La Chine ?
La Chine, elle, est dans une position très difficile. « Stratégiquement, sa priorité va au maintien de la stabilité dans la péninsule coréenne », explique Valérie Niquet, de l’Ifri. Mais cet allié a de plus en de plus de mal à défendre son incontrôlable voisin. « En bafouant Pékin, la Corée du Nord met à bas les efforts de la République Populaire de Chine pour apparaître comme un acteur essentiel, responsable et incontournable » du dossier.
« Il faudrait une participation plus active de la Chine, pour que les sanctions décidées par le Conseil de sécurité soient plus efficaces que les précédentes », souligne Valérie Niquet. Membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine peut mettre son veto à toute sanction contre la Corée du Nord. Pékin pourrait, selon elle, « favoriser des négociations dans un cadre bilatéral entre Pyongyang et Washington, se dégageant de la responsabilité d’un échec tout en conservant une influence »…
Et le Japon ?
Plus crispé, le Japon met en avant la menace nord-coréenne pour la stabilité régionale. C’est même le premier pays à avoir demandé une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU après l’essai nucléaire de Pyongyang. Tokyo attend des sanctions efficaces.
« La thèse des faucons, favorables à une attitude très dure sur le dossier coréen est ainsi légitimée », d’après Valérie Niquet. La question de la nucléarisation du Japon pourrait resurgir dans la prochaine campagne électorale et favoriser le Premier ministre en place, Taro Aso, comme l’explique ici notre correspondant au Japon.
Faut-il craindre une escalade régionale ?
La Corée du Nord a menacé vendredi de prendre des mesures de « légitime défense » en cas de sanctions de l’ONU après son essai nucléaire. « Le monde verra bientôt comment notre armée et notre peuple se soulèvent face à l’oppression et au despotisme du Conseil de sécurité et font respecter leur dignité et leur indépendance », a averti le Nord.
Avec une armée forte de quelque 800 000 hommes et un vaste arsenal d’artillerie et de missiles pointés sur la Corée du Sud et le Japon, la Corée du Nord pourrait provoquer une effusion de sang en réplique à une frappe préventive et les victimes se compter en centaines de milliers. Face à elle, la Corée du Sud dispose de 410 000 hommes, avec les renforts américains présents dans la région.
Mais même si la tension monte dangereusement, « la Corée du Nord n’est pas suicidaire et Kim Jong-Il n’est pas un fou », ajoute Juliette Morillot. Son arsenal est vétuste. Et « une frappe sur la Corée du Sud aurait immanquablement des répercussions sur le territoire nord-coréen. Séoul et Pyongyang sont séparées par moins de 200 kilomètres ».
Ce qui inquiète davantage les diplomates sud-coréens et chinois, c’est l’attitude du Japon. Ils estiment, selon elle, que « la Corée du Nord en tirant des missiles à courte portée menaçants pour le Japon fait le jeu des faucons de Tokyo, selon les plus inquiets d’entre eux ». Ce qui rendrait encore plus menaçant le contexte militaire régional.
Et si la communauté internationale ne cédait plus au chantage nord-coréen ?
Le régime nord-coréen survit grâce aux aides, notamment américaines et sud-coréennes, qu’il obtient en brandissant la menace militaire et nucléaire. Mais si ses ennemis cessaient de les délivrer… il s’effondrerait.
« Or personne n’a intérêt à voir Pyongyang s’effondrer », souligne Juliette Morillot. « Les Etats-Unis tiennent là un prétexte pour maintenir des troupes en Asie, face à la Chine dont la puissance monte. Et ni la Chine ni le Japon ne veulent d’une Corée réunifiée ». Pas plus que d’un pays décapité. Ce que Kim Jong-Il n’ignore pas… et ce dont il joue.