Contribution : Mémorandum pour une issue pacifique et démocratique en Algérie

Contribution : Mémorandum pour une issue pacifique et démocratique en Algérie

Un groupe de députés de l’assemblée nationale a initié un mémorandum dans lequel ces parlementaires proposent une série d’initiatives politiques susceptibles d’instaurer un régime démocratique en Algérie. DNA publie intégralement ce document.

La confiance du peuple ne reviendra pas sans volonté politique avérée ni sur la foi de promesses ou de doctes débats sur les régimes constitutionnels. La tragédie algérienne est trop profonde et complexe pour la contenir à terme ou la résorber par une manne pétrolière instable et brève. Les transferts sociaux actuels ne suffiront pas face à la montée du chômage et à la liquéfaction continue du pouvoir d’achat des travailleurs et des classes moyennes.

La renonciation aux réformes de structure nécessaires risque de priver définitivement l’Algérie de sa seconde chance financière depuis 1973. La régression des libertés sous la pression de l’autoritarisme et d’un terrorisme géré, pour le moins, de manière chaotique, ont pérennisé la fraude électorale, la corruption, au détriment de la crédibilité des institutions et classe politique, opposition comprise.

Le népotisme, le régionalisme, voire le tribalisme et l’incompétence aggravent dangereusement le score. La propagation et la structuration avancée de la culture et des pratiques maffieuses marquent désormais lourdement la nature d’un Etat maillé par un système informel et occulte de pouvoir et de prédation.

La dilution et la confusion des missions empêchent tout contrôle et toute responsabilité: celui qui règne n’est pas responsable et celui qui gère n’a pas de pouvoir ou -excès de pouvoir- en a plus que la Loi ne lui en donne. Pour compléter le tableau, la soumission du pouvoir judiciaire assure l’impunité aux dirigeants et clientèles, ravalant l’Etat de droit au niveau zéro.

La volonté de garder le pouvoir pour le pouvoir et les luttes claniques pour le contrôle d’une rente pétrolière prolifique, empêchent toute stratégie de développement efficiente malgré de réelles potentialités. Hormis le prometteur épisode -hélas bref- de l’équipe HAMROUCHE, le personnel inchangé du parti unique n’a pas pu se muer en une force politique porteuse d’un véritable projet de transformation sociale, ni accoucher d’un leader providentiel qui réunit à la fois la vision historique et les faveurs de l’Armée.

Qualifiée de démocratique sur la seule foi du programme formel qu’elle déclame, l’opposition laïque n’arrive ni à dépasser ses querelles de personnes et de leadership pour s’unir durablement autour d’un minimum commun, ni à greffer sa cause idéologique aux luttes et préoccupations populaires. Les seules forces organisées et aptes à profiter d’une situation insurrectionnelle éventuelle sont actuellement la police politique et les islamistes dont les groupes armés reprennent du poil de la bête.

Aujourd’hui, force est de conclure que la transition amorcée, en 1989, n’a pas apporté la démocratie par la faute de trois facteurs interactifs décisifs: la nature rentière de l’économie nationale, la position prépondérante des services de renseignement et de l’Armée dans la décision politique et la violence islamiste armée.

Le sentiment d’injustice et d’impuissance a engendré une désaffection vis-à-vis de la chose politique, ébranlant même le vouloir vivre ensemble qu’une école sinistrée n’a su et pu cultiver.

Or, l’autorité de l’Etat et la crédibilité nationale et internationale des institutions sont fonctions de l’existence d’un socle national de valeurs consensuelles pour tous et du niveau et de l’étendue du consentement des gouvernés. Dans un jeu démocratique bien compris, l’opposition et la société civile sont des parties institutionnelles vitales pour le fonctionnement de l’ensemble de l’édifice.

Face au désastre d’une classe politique laminée de l’intérieur et de l’extérieur et d’une société civile trop longtemps étouffée, l’intérêt bien entendu du pays commande d’ouvrir la voie à l’émergence de forces porteuses de renouveau alternatif pour ne pas dégénérer Etat et Nation. L’Algérie et les Algérien(nes) ont besoin d’une vraie révolution pacifique. C’est dire que les consultations politiques en cours -idée en soi bienvenue- doivent rapidement quitter le terrain des faux semblants pour déboucher sur une vision réformatrice qui englobe tous les acteurs et secteurs. La démarche consiste d’abord à (re)légitimer les Assemblées élues, les hommes et partis politiques puis à passer à la révision de la Constitution. Notre mémorandum s’articule sur des propositions qui incluent pouvoir et opposition. Qui veut réformer commence par soi-même!

I/ Des gages de volonté politique

Dans un Etat dévasté par des décennies de répression, de fraude électorale, de mensonges, de corruption, de chômage et d’exclusions sociales multiples, seules des garanties concrètes remobiliseront les forces saines du pays pour redémarrer un processus véritable de légitimation des institutions.

En l’état actuel des forces en présence et du délabrement avancé de la maison Algérie, un compromis historique responsable reste la voie idéale pour un changement organisé qui mette le pays à l’abri des explosions incontrôlables et redémarre le développement. Cela suppose chez tous les acteurs politiques responsabilité, anticipation et culture du consensus.

Toutes les forces patriotiques doivent être mises à contribution. Personne ne possédant la légitimité nécessaire à un réexamen de la Constitution, il s’agit surtout de réunir et mettre en œuvre tout de suite les conditions de transparence et de liberté nécessaires afin que les prochaines échéances électorales accouchent d’une Assemblée et partant d’un Gouvernement légitimes.

Recrédibiliser les institutions et renouveler la classe politique sont des préalables pour faire participer les citoyens aux prochaines législatives, et, au-delà de cette échéance, au choix du régime constitutionnel et de la stratégie de développement créatrice de richesse durables et renouvelables et surtout alternative aux hydrocarbures.

Cette démarche passe par la mise en œuvre par le Chef de l’Etat en personne de garanties préalables. Relevant à la fois du symbolique et du concret, nos propositions visent à agir comme des électrochocs qui éveilleront l’Algérien aux vrais défis de son destin. Cinq engagements solennels du Président de la République, suivis de mesures exécutoires, nous paraissent nécessaires avant toute entame de réformes dignes de ce nom lesquelles ne pourront se faire sous forme de monologue qui ignore l’opposition démocratique.

1/ Libérer les libertés

L’exercice effectif de la citoyenneté exige l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’activation de la législation relative aux libertés et aux droits. L’abrogation de la loi actuelle sur les partis doit s’accompagner du rétablissement immédiat du droit de réunion, de manifestation et de la liberté d’organisation en parti, syndicat, et association, sous régime déclaratif.

La dépénalisation du délit de presse y compris par la baisse sérieuse du montant des amendes des Codes pénal et de l’information, la restitution des médias publics au pluralisme et l’activation des dispositions de la Loi sur l’information par la mise en place du Conseil supérieur de l’information sont indispensables.

Démarrer un début d’indépendance de la justice par la levée législative des restrictions apportées par la Loi en 2004 notamment au Conseil supérieur de la magistrature réduit à un conseil de discipline. Le réhabiliter dans sa vocation est indispensable. En attendant de la figer dans une disposition constitutionnelle, réviser la composante du CSM pour y faire prédominer les magistrats élus par leurs pairs. La présidence et le Secrétariat du CSM leur reviendront. Il est primordial de garantir l’effectivité du principe de l’inamovibilité du juge.

2/ S’engager dans un régime républicain civil La souveraineté populaire doit primer sur toute autre considération pour soulager définitivement l’Armée du souci de la direction politique du pays. Trois décisions doivent amorcer ce chantier fondamental.

2.1/ Réformer les institutions militaire et sécuritaire en vue de leurs professionnalisations et préparation aux nouvelles menaces et adaptation de leurs organisations aux dernières technologies et évolutions géostratégiques. Désigner un Ministre de la Défense, civil d’extraction. Interdire ces corps de toute activité politique à caractère partisan. Mettre à la retraite tous les militaires de plus de 60 ans. Fusionner la branche intérieure du DRS avec les RG sous la coupe du Ministre de l’Intérieur, la Sécurité intérieure de l’Armée et le renseignement extérieur restant du ressort du MDN. Confier la DGSN à un officier supérieur originaire de ce corps.

2.2/ Garantir l’autonomie de la sphère spirituelle. Il faut protéger une religion fortement mise à mal par les idéologies totalitaires en interdisant de tout usage politique l’Islam et les lieux de culte et en réhabilitant les libertés de conscience et de culte.

2.3/ Soustraire définitivement la «légitimité révolutionnaire» à l’usage partisan et commercial. La restitution solennelle des sigles du FLN, de l’UGTA et du quotidien El Moudjahid à la mémoire combattante de la Nation doit s’accompagner du rétablissement de l’anniversaire de l’indépendance nationale à sa véritable date : le 3 juillet.

2.4/ L’engagement de l’alternance : le Président de la République doit proclamer solennellement l’engagement de ne pas briguer de quatrième mandat et sa décision d’engager des élections présidentielles anticipées à l’issue de la révision constitutionnelle qui suivra juste après l’achèvement du processus de (re)légitimation-renouvellement des Assemblées élues et de la classe et partis politiques.

3/Garantir les suffrages des citoyens en installant une commission composée de personnalités indépendantes pour procéder à l’audit et à l’apurement du fichier électoral national et du dispositif y afférent. L’organisation et la supervision des prochaines élections législatives doivent être confiées aux magistrats du siège préalablement affranchis des dispositions assujettissantes du Code de la magistrature loin de toute ingérence de l’Administration.

La révision de la Loi électorale devrait limiter tous les mandats à deux, ouvrir la participation en direction des femmes et des jeunes, associer à la supervision de tout scrutin un Comité national indépendant incluant des représentants des partis en lice et des magistrats du siège. D’amont en aval, le processus électoral prochain doit être accompagné par une surveillance internationale qualitative et quantitative activée dès le début du processus de préparation. La transparence du scrutin sera un gage de réhabilitation de la vie institutionnelle et de la classe politique.

Si les autorités en place s’obstinent à vouloir une Loi sur les partis, celle-ci ne doit exclure que les Algériens- commanditaires ou exécutants- reconnus coupables, par la justice, de crimes contre le peuple et la nation. La limitation des mandats, le pluralisme des candidatures aux postes de direction, la gestion des finances par un comptable public payé par l’Etat et l’élection de la Commission de discipline par le Congrès sont des mesures cardinales pour un fonctionnement démocratique des partis.

La révision du Code de la Wilaya doit donc être renvoyée à plus de légitimité.

4/Démarrer la lutte contre la corruption

Appliquer les dispositions de la Convention internationale et de la législation nationale anti-corruption par de nouvelles mesures législatives obligeant les hommes politiques – du pouvoir et de l’opposition- et les hauts commis de l’Etat à déclarer leur patrimoine et celui des membres de leurs familles ascendantes et descendantes directes. Promulguer un dispositif exhaustif de protection et d’intéressement des témoins contre la corruption.

Lever systématiquement toute immunité des dirigeants impliqués dans la corruption. Un programme parallèle identifiera en vue de leur rapatriement-récupération les montants et deniers publics détournés déposées et/ou investis à l’étranger.

5/ Un Gouvernement d’union nationale

Conduit par une personnalité indépendante, intégrant en son sein l’opposition, il expédiera les affaires de l’Etat et veillera à réunir les conditions de transparence nécessaires pour les prochaines élections législatives. Si cette formule ne fait pas consensus, un Gouvernement non partisan peut aussi bien convenir. Dans tous les cas, les postes des Ministres de l’Intérieur, Communication et Justice iront à des personnalités indépendantes consensuelles. Il faut un mouvement général des Walis et Chefs de Daïras dont les plus hostiles à l’opposition doivent être carrément remplacés.

II/ Les deux défis des démocrates

La réforme des institutions publiques ne peut réussir si elle ne s’accompagnait pas de celle des acteurs politiques externes au pouvoir. En tant qu’opposition démocratique, nous sommes interpellés par deux défis historiques: mettre en œuvre en notre sein la substance des programmes que nous revendiquons (illustrée par les propositions énoncées ci-dessus pour la loi sur les partis) et nous unir sur un minimum consensuel qui mobilise les citoyens.

En l’absence d’un rapport de force populaire mobilisé et structuré en faveur d’un basculement démocratique, il faut se départir de tout nihilisme institutionnel, fétichisme constitutionnel, naïveté quant à la protection ou l’avènement de la démocratie par l’Armée et autre replâtrages d’apparence radicale.

Des états généraux pour la démocratie

Le but n’est pas de créer un parti démocratique unique pour l’opposer au parti unique-inique en exercice. Le tort ne vient pas de la riche multiplicité des sigles démocratiques, ni même de divergences idéologiques souvent exagérées. Notre incapacité à dialoguer utilement entre nous, à concevoir et mener loyalement ensemble des actions autour d’axes programmatiques pourtant identiques pose problème (la récente expérience de la CNCD en atteste). Plus problématique, est notre propension à nous désunir sur la base des intérêts…de nos propres adversaires, à l’exemple de la polémique qui empoisonne- depuis 20 ans- les rapports RCD-FFS au sujet de considérations sur le pouvoir et les islamistes pourtant tous deux ennemis jurés de la démocratie. La résorption de cette névrose paralysante est tellement vitale. Le peuple est en attente d’une dynamique de refondation de l’opposition démocratique autour de ses seules valeurs et revendications politiques.

Des états généraux pour la démocratie rassemblant les partis politiques, organisations de la société civile et personnalités indépendantes qui s’en réclament sont une urgence si l’on veut peser sur les prochaines années. Un Comité national de liaison présidé par une personnalité démocrate indépendante et composé des représentants des partis politiques, société civile et personnalités de l’opposition démocratique se dégagera de ces états généraux avec missions de concevoir et mener les luttes populaires autour des revendications communes et suivre également le processus de réformes et la préparation et le déroulement des élections législatives. Le meilleur garant d’un processus de réforme et de légitimation institutionnels, c’est notre union autour des fondamentaux de la république et de la démocratie.

Un programme démocratique commun

Au lieu de déblatérer sur la niaise garantie de l’Armée ou autres radicalismes verbeux, nous devrions construire notre union autour d’un programme commun pour la défense des libertés et droits sociaux. La question sociale qui se décline dans les libertés syndicales, les droits à l’éducation, au travail, au logement, à la protection sociale et à la santé, doit être au centre de toute entreprise de construction démocratique.

Dans un contexte de plus en plus urgent – révolte socioéconomique interne, essor démographique et socioculturel de la jeunesse et révolutions du voisinage-, les démocrates sont mis au défi de mobiliser, former et préparer les jeunes sur les droits de l’homme, la démocratie et la république, par exemple à travers un mouvement rassembleur et transpartisan qui garantisse le pays de toute dérive totalitaire ou militariste. Arriver à des listes communes des démocrates remobilisera sûrement l’électorat populaire. Cinquante après l’accession à un drapeau, les Algériennes et les Algériens sont en droit de se réapproprier l’Etat pour lequel le peuple a si chèrement payé.

Alger, le 28 juin2011. Ali BRAHIMI, Député.