Depuis le 22 février 2019, des millions d’Algériens n’ont cessé de manifester, appelant à la chute d’une junte autoritaire et corrompue, à la création d’une assemblée constituante, à la transition vers un système démocratique et à un état de droit. En dépit du caractère pacifique, durable et joyeux de ces manifestations, les médias internationaux n’y ont accordé que relativement peu d’attention.
Il y a également eu peu ou prou de réaction des politiques, contrastant de façon flagrante avec la couverture médiatique soutenue des révoltes en cours à Hong Kong, au Liban et au Chili, amenant Akram Belkaïd a reformuler la révolution algérienne en « lutte solitaire des Algériens ». Une question que plusieurs éditorialistes, algériens ou étrangers, se pose : Y a-t-il donc une « hiérarchisation » des révolutions ? Pourquoi certaines importeraient plus que d’autres ?
Une perspective comparative des transitions démocratique antérieures révèle une dichotomie manifeste dans la manière dont les politiques étrangères et la couverture médiatique sont menées, ce qui explique non seulement l’isolement médiatique du cas algérien aujourd’hui, mais fournit également une métrique pour évaluer les relations entre les pays occidentaux démocratiques et les régimes autoritaires.
Des travaux de recherche dirigés par Pr. Stoner et Pr. McFaul de l’université de Stanford démontrent que, pendant la dénommée ‘’Troisième vague de démocratisation’’, les acteurs internationaux ont stimulé « l’organisation autochtone dans les transitions réussies » par l’aide économique, le soutien logistique et la couverture médiatique, tout en étant au contraire moins impliqués dans les transitions ratées ou interrompues.
Alors que les protestations de Hong-Kong sont saluées par les acteurs internationaux comme un point de pression contre la République Populaire de Chine, ailleurs, des appels comparables sont ignorés ou évoqués avec la plus grande prudence.
Les Algériens étant également confrontés à l’autoritarisme – arrestations arbitraires, atteintes aux droits civils, restrictions à la liberté de la presse et campagnes de désinformation – qu’est-ce qui explique le manque de couverture de leur lutte pour la démocratie ?
A ce jour, seuls deux acteurs ont exprimé leur soutien au Hirak algérien : le Parlement Européen, sous l’impulsion des membres Raphaël Glucksmann et Marie Aréna, et le Canada par l’entremise de leur ambassadrice, Patricia McCullagh. Quels sont donc les mécanismes qui dissuadent les autres chefs d’Etat de se positionner face à la révolution algérienne et comment justifient-ils leur silence ?
L’argument fallacieux de la ‘’stabilité’’
Une réaction systématique et expéditive résonne auprès des acteurs étrangers: Il ne faudrait pas mettre en péril la « stabilité » du pays. Ainsi, selon le ministre français des Affaires étrangères Le Drian: » L’Algérie est un pays souverain dont la stabilité est essentielle « . Il apparait pourtant que cet argument, invoqué comme un ultime rempart contre des risques tels que les crises économiques ou la résurgence du terrorisme, s’avère être fallacieux dès lors qu’on le projette contre les cas de transitions ratées. Ainsi, toutes les tentatives infructueuses des années 1980 présentées dans le livre de Stoner et McFaul – à l’exception de la Chine – dépendaient des revenus pétroliers pendant leur période de transition, et la présence des ressources fossiles peut avoir altéré la volonté des acteurs extérieurs d’intervenir et de promouvoir la démocratie – une sorte de syndrome hollandais politique.
En tant que tel, malgré la présence développements internes prometteurs affichés par un pays en transition, l’aide extérieure apparaît être une condition nécessaire – mais non suffisante – pour une transition réussie. Comme lors des manifestations algériennes d’octobre 1988, les acteurs extérieurs aujourd’hui – « l’Occident démocratique », la Russie, la Chine – ne se risquent pas à compromettre la ‘’stabilité’’, non pas géopolitique, mais celle de leurs contrats pétroliers et d’armement et ‘’s’abstiennent donc d’encourager la démocratisation par la voix de la diplomatie’’. Le recours aujourd’hui à l’excuse d’un suppose “bastion” stable contre l’intégrisme islamique, par exemple, omet de façon grossière de la réalité de l’évolution positive de la société civile en Algérie. Seule une meilleure compréhension des enjeux, loin des supposes “risques’’ redondants de l’extrémisme ou des flux migratoires, crédibilisera l’intérêt des acteurs internationaux pour la stabilité future du pays.
Les vrais alliés sont les peuples, pas les juntes au pouvoir
Ainsi, il est évident que les externalités positives que ces révolutions pacifiques au sens large – Algérie, Liban, Soudan – pourraient offrir à « l’Occident démocratique » restent dans une large mesure ignorées. Même lorsqu’examinées sous un prisme réaliste – le fameux « pas d’alliés ou d’ennemis permanents, seulement des intérêts permanents » de Lord Palmerston – il est évident qu’un soutien accru aux appels à la démocratie est susceptible de produire des résultats significatifs.
Une étude du think tank américain RAND démontre qu’un appui axé sur la mise en place d’institutions responsables, de l’amélioration du contrôle financier et de l’instauration de normes en matière de droits de l’homme, à l’inverse d’un soutien au régimes militaristes induit des réductions des violences politiques et de répressions gouvernementales.
De plus, en se positionnant comme promoteurs du changement démocratique en Afrique du Nord, les pays démocratiques occidentaux pourraient rendre les régimes autoritaires moins attractifs en tant que partenaires pour des pays comme la Russie et la Chine. Le développement démocratique de ces sociétés apportera une paix durable et diminuera le nombre de crises collatérales dans les pays développés, en particulier au sein de l’UE, où la question des migrations massives tourmente les décideurs politiques et engendre une recrudescence de la rhétorique populiste.
Ainsi, soutenir les transitions pacifiques pour la démocratie à l’étranger réduirait considérablement les pressions socio-économiques dans les pays en transition et les tensions internes subséquentes dans les pays plus développés. On pourrait extrapoler les résultats positifs du soutien direct à la démocratie à un développement économique organique et au renforcement des politiques globales, puisque les institutions légitimes ont tendance à appliquer les politiques de manière plus durable, à permettre de favoriser des améliorations qualitatives et à bâtir des partenariats plus solides, axés sur le développement durable, la coopération internationale et la collaboration scientifique.
Les efforts diplomatiques de l’Occident démocratique ont récemment été ternis par des événements tels que le financement de la guerre saoudienne au Yémen et le silence assourdissant suivant l’assassinat de Khashoggi. Nous constatons des comportements récidivistes, de gouvernements qui troquent leur dignité contre des contrats, se contorsionnant constamment entre un pseudo-libéralisme proclamé et un pseudo-réalisme pratiqué.
Il est dans le meilleur intérêt de l’Occident démocratique de saisir l’occasion de donner l’exemple des valeurs démocratiques et de se ressaisir dans sa dignité.
Dans ce contexte, que peuvent-ils donc offrir ? Une première étape vitale serait de condamner de façon officielle la répression policière à l’encontre des manifestants pacifiques. Il faudrait également s’attacher à poursuivre les entreprises corrompues, à ouvrir des enquêtes sur les avoirs mal acquis et à rapatrier les capitaux volés. Enfin, il est impératif de préparer une aide économique d’urgence pour que les manifestants pacifiques triomphent dans leur appel légitime à la démocratie.
Pour reprendre les mots de Thomas Serrès, les Algériens ont fait leur part. Et « l’Occident démocratique » sera solidaire ou complice.
Mourad Chouaki
MSc en Ingénierie Physique
MA en Etudes Internationales Avancées
Académie Diplomatique de Vienne – Université de Stanford