Moumen est accusé d’avoir acheté des stations usitées contenant de l’amiante juste pour bénéficier des avantages de conversion de devises et transférer à l’étranger l’argent à travers Khalifa Swift. Revenant sur la villa de Cannes, il affirme qu’elle a été achetée par Khalifa Airways avec ses propres bénéfices de 2001 qui étaient de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.
“Moumen Khelifa va utiliser tous les moyens pour prouver son innocence quels que soient les noms à citer et le prix à payer”, a déclaré son avocat, Me Merouane Medjhoud, le premier jour de l’audience. Finalement, cette promesse de la défense n’a pas été tenue.
Le deuxième jour du passage de Moumen Khelifa à la barre, comme le premier jour, ne s’est pas soldé par de grandes révélations.
L’ensemble des points concernant la présidence de la République et les avantages accordés aux hauts responsables de l’État pourtant — dûment cités dans le dossier judiciaire — ont été survolés, sinon occultés par le président d’audience et le procureur général avec des réponses vagues de la part de l’inculpé. Cette stratégie se décline par le reniement total des déclarations d’Aiouaz Nadjia sur ce volet.
Il commence par lui dénier sa qualité de secrétaire particulière. “Ce n’était pas ma secrétaire. C’était celle de Rachid Amrouche.”
Moumen enfonce le clou : “Elle a fait des déclarations graves sur certaines personnalités en poste. Ce n’est pas sérieux. Elle dit que j’ai donné des MasterCard et des billets gratuits à des ministres. Son audition est un tissu de mensonges.” Le silence de Moumen Khelifa est-il le fruit d’un compromis ? C’est du moins l’impression donnée par son témoignage et l’intime conviction de la majorité des avocats constitués dans cette affaire.
Le travail de Aiouaz Nadjia tel qu’elle l’a déterminé dans son PV d’audition devant le juge d’instruction consistait à saisir les contrats de financement de clubs de football, les accords portant transferts de mouvements de fonds de Khalifa Bank, les correspondances de Moumen Khelifa adressées aux banques et entreprises qui activent en Algérie ainsi que les correspondances destinées à Khalifa Airways.
Elle affirme que des pontes du système, des directeurs d’entreprise qui ont déposé leurs fonds chez Khalifa Bank, des artistes, des responsables du secteur du sport et des enfants et proches de hauts responsables défilaient dans le bureau de Moumen, pour obtenir des MasterCard, des lignes de crédit et des cartes de gratuité de voyage sur les lignes Khalifa Airways. Elle cite Abdenour Keramane, l’ex-ministre de l’Industrie, sa fille Yasmine Keramane reçue par Djamel Guelmi pour l’ouverture d’une ligne aérienne Alger-Milan pour un million de francs sortis des comptes de Khalifa Bank, l’ex-ministre de la Solidarité, Djamel Ould-Abbès, venu renouveler une carte de gratuité de transport, l’ancien DG des douanes, Sid-Ali Lebib, pour le même motif, des chanteurs comme Abdou Driassa, Amel Wahbi et Cheb Mami et même un groupe de personnes recommandées par Abou Djerra Soltani qui ont eu des contrats d’embauche au sein de l’agence de Khalifa Airways de Tébessa.
Selon elle, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, à l’époque des faits ministre des Transports, aurait envoyé le chef de protocole de son ministère, un certain Med Bey, en 2002, au groupe Khalifa pour bénéficier d’une carte de gratuité de voyage. Il aurait effectué 11 voyages
sur les lignes intérieures et 3 sur les lignes
extérieures dont certains dans le cadre d’un voyage collectif financé par le groupe Khalifa, à l’instar d’une manifestation sportive à Timimoun. Tout ce chapitre a été évacué du procès en cours. Du moins dans sa phase audition de Moumen Khelifa. On verra ce qui va se
passer lors du passage à la barre d’Aiouaz
Nadjia.
“J’ai contribué au financement du ministère des Finances”
Les questions qui gênent reviennent avec l’intervention de la défense des parties civiles. L’avocat de l’entreprise de matériaux de construction, Edimco, de Chlef, ose la question qui fâche : “Avez-vous acheté des biens immobiliers et des voitures de luxe pour l’État algérien ?” Le président de l’audience s’énerve : “Votre question n’est pas précise. Il a acheté à qui ? À des djinns ?” L’avocat n’en démord pas : “Avez-vous acheté des voitures de luxe de marque Mercedes pour la Présidence ?”
Moumen Khelifa a eu cette réponse ambiguë : “On a fait le transport pour les voitures de luxe achetés par la Présidence.” Et pourtant lors d’une interview accordée à la chaîne Al-Jazeera, le 27 août 2008, Moumen Khelifa a déclaré : “En 2006, les Français sont venus me voir avec un gros dossier. La rencontre a eu lieu à Scoland Yard. Ils avaient un seul problème. Ils cherchaient à savoir pourquoi Khalifa Airways a acheté quatre voitures blindées de marque Mercedes d’une valeur globale de deux millions d’euros. Ils n’ont pas compris pourquoi une entreprise d’aviation civile se paie des voitures de ce genre à 500 000 euros la voiture.
Ils m’ont aussi demandé où se trouvaient ces voitures. Je leur ai répondu : elles sont chez Bouteflika, vous pouvez les voir à la Télévision algérienne.” À ce moment-là, Khelifa était en liberté sous caution, en Grande-Bretagne, après avoir été interrogé par Scoland Yard. L’interview complète est disponible sur le Net.
À la question de savoir s’il a financé la pièce de théâtre de Adel Iman, il rétorque que “tous les ministères avaient un compte à Khalifa Bank. La banque était juste un moyen de financement. On n’a pas financé directement”. Sur les financements des projets de l’État, il se contente de dire qu’il a contribué au financement du nouveau siège du ministère des Finances et accordé des crédits à la SNVI.
Quant aux privilèges accordés aux chefs des entreprises publiques contre le placement des fonds à Khalifa Bank comme les MasterCard, les cartes de voyage et de thalassothérapie, il se contente de répondre sans entrer dans les détails. “Les billets gratuits, ce n’est pas possible car l’entreprise paie 10% de taxes d’aéroport.” Le juge lui rappelle que Sonatrach n’a pas voulu déposer son argent à Khalifa Bank parce que les documents et garanties qu’a réclamés cette entreprise ne lui ont pas été accordés. “Ce qui se passe à Sonatrach est pire par rapport à ce qui s’est passé à Khalifa”, commente Moumen Rafik qui précise tout en enfonçant l’actuel ministre des Finances, Mohamed Djellab : “L’argent des sociétés publiques était rémunéré selon un contrat. Il n’y a pas eu d’incident de paiement jusqu’au jour où je suis parti en 2003. Après, il y a eu un administrateur qui s’appelle Djellab.”
“En partant, j’ai laissé 97 milliards de dinars dans les caisses de Khalifa Bank”
“Et le financement des congrès et l’affaire de la convention avec la Fédération de football dont a parlé Raouraoua pour notamment l’organisation de matches amicaux contre la publicité pour Khalifa Bank ? À la FAF, vous avez aussi donné une dizaine de voitures.” “Cela entrait dans le cadre de sponsoring d’équipes sportives qui souffraient d’un manque de financement”, réplique Khelifa.
Le magistrat l’interpelle ensuite sur l’ampleur des crédits accordés qui ont dépassé les 20% du capital de Khalifa Bank. “C’est énorme !”, commente Antar Menouar. “Il a fallu donner 10 000 crédits pour l’achat de logements AADL à nos employés. Le niveau de crédit était effectivement élevé, mais on l’a revu par la suite à la baisse. On a donné plus exactement 10 milliards de dinars de crédit.”
Le juge revient à la charge soulevant la non-constitution de dossiers pour l’obtention de ces crédits pour de nombreux cadres du groupe Khalifa. “Dahmani, qui travaillait à la wilaya d’Alger par exemple, a obtenu 250 millions de centimes sans constitution de dossier. C’est quoi la garantie et la contrepartie ? Est-ce qu’il a incité les OPGI à placer leur argent à la banque Khalifa ?” Moumen réplique : “La garantie c’est son salaire. Il percevait 100 000 DA. C’est une avance sur salaire.” Il poursuit : “Tant que le liquidateur n’a pas clôturé les comptes, Khalifa Bank ne peut pas être déclarée en faillite. L’actif était toujours supérieur au passif à Khalifa Bank. On n’est jamais arrivé à la faillite. On peut le démontrer ici. Par exemple, en France, ils ont déclaré un état de faillite de Khalifa de l’ordre de 99 millions d’euros et finalement ils ont trouvé un surplus de 7 millions d’euros.” Il soutient qu’en prenant la fuite, il a laissé 97 milliards de dinars dans les caisses de Khalifa Bank.
“Les Français ont refusé la vente de la villa de Cannes”
À quel point se sent-il responsable ? Cette question posée par le juge a permis à Khelifa de se rappeler qu’il a passé 12 ans de sa vie en détention. “J’ai souffert alors que la procédure de mise en faillite est tronquée et la liquidation opérée par M. Touati est illégale.” Il réaffirme que l’option de sa fuite “était le meilleur choix”.
“Ceausescu a été condamné à mort sans prendre un sou et pourtant il n’a pas pris la fuite”, dit le juge. Khelifa n’en démord pas et réaffirme pour la énième fois que c’était la bonne décision, tout en rebondissant sur un autre registre.
“Il y a eu des assurances des autorités algériennes lors des procédures d’extradition. Ces dernières m’avaient affirmé que je serai jugé dans le cadre de Khalifa Bank et non Khalifa Airways et les autres entreprises du groupe. Selon mes avocats, 80% du dossier concerne la faillite de Khalifa Bank. Ce dossier doit être complet. C’est le plus important. Je suis ouvert aux contacts avec le liquidateur.” En effet, le président de l’audience s’est beaucoup focalisé sur Khalifa Airways, la villa de Cannes et les cinq stations de dessalement d’eau de mer. Ce qui a beaucoup irrité l’inculpé et sa défense qui n’ont pas manqué de rappeler à plusieurs reprises que le procès est celui de Khalifa Bank, les autres affaires étant encore pendantes à l’instruction.
Moumen est accusé d’avoir acheté des stations usitées contenant de l’amiante juste pour bénéficier des avantages de conversion de devises et transférer à l’étranger l’argent à travers Khalifa Swift. “J’ai bénéficié du taux appliqué par la Banque d’Algérie pour une somme d’environ 3 milliards de dinars. Je n’ai bénéficié d’aucune autre baisse de ce taux en contrepartie de cette donation à l’État algérien.”
Revenant sur la villa de Cannes, il affirme qu’elle a été achetée par Khalifa Airways avec ses propres bénéfices de 2001 qui étaient de l’ordre de 1,5 milliard d’euros. 10 millions d’euros ont été payés aux impôts et 90 millions d’euros sont rentrés en Algérie. 40 millions d’euros reconvertis en dinars et 50 millions d’euros mis sur le compte en devises. C’est avec ces 50 millions d’euros que la villa de Cannes a été achetée. “J’ai le dossier complet en France. Je peux le mettre à votre disposition.”
L’avocat du liquidateur de Khalifa Bank demande : “Est-ce que vous avez donné l’ordre de vendre la villa de Cannes ?” “Oui, mais les Français ont refusé”, indique-t-il.
Khelifa est poursuivi pour plusieurs chefs d’inculpation, dont l’escroquerie, association de malfaiteurs, vol qualifié, faux et usage de faux en écriture bancaire et en officiel, abus de confiance, détournement de fonds et banqueroute organisée. L’audience reprendra demain dimanche avec le reste de l’audition de Moumen Khelifa et se poursuivra, si le temps le permet, avec le passage à la barre du notaire, Mohamed Rahal.
N.H.