Depuis bientôt un mois, Ahmed Ouyahia réceptionne courtoisement des propositions d’amendements pour la Constitution. Des suggestions parfois régressives, souvent superficielles, généralement improductives.
Des chefs de partis politiques, des représentants d’associations et d’organismes et des personnalités nationales défilent au Palais d’El-Mouradia pour contribuer, officiellement, à l’enrichissement de la Constitution que le président de la République propose à la révision. Dans l’absolu, la démarche est louable puisqu’elle associe à l’entreprise un large panel d’intervenants.
Dans les faits, la situation est nettement moins idyllique. Jusque-là, la concertation engagée par le directeur de cabinet du président de la République, s’est avérée faible, stérile et régressive par certains aspects. La défection des animateurs influents de l’opposition a, dès le départ, discrédité la démarche qui ne pouvait plus que s’appuyer sur des partis acquis au pouvoir, des islamistes ou des personnages ne possédant pas la qualité requise pour porter un jugement sur la loi fondamentale et encore moins prétendre suggérer des changements à y introduire.
Est-il concevable que Madani Mezrag, ancien chef de l’Armée islamique du salut (AIS) qui a mis le pays à feu et à sang pendant des années, soit reçu à la présidence de la République comme un partenaire dont les idées sont consignées avec sérieux dans le bloc-notes d’Ahmed Ouyahia ? Est-il juste, à l’égard des centaines de milliers de victimes du terrorisme, que les autorités du pays lui offrent, ainsi qu’à d’autres anciens dirigeants du FIS dissous, une opportunité de revenir sur le devant de la scène publique comme une personnalité importante et de laisser, éventuellement, leurs empreintes dans la future Constitution ? Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal a, certes, assuré récemment au Conseil de la nation, que les pouvoirs publics ont “invité d’anciens cadres du parti (FIS dissous, ndlr) à prendre part aux consultations sur la Constitution, mais cela ne veut pas dire que ce parti va revenir”.
Il est néanmoins illusoire d’accorder beaucoup de crédit aux déclarations au Premier ministre et, par ricochet, aux bonnes intentions du président de la République, qui a imposé, dans sa copie d’une Constitution réformée, la réconciliation nationale comme une constante nationale, au même titre que l’Islam, en tant que religion d’état, et l’arabe en tant que langue nationale et officielle. Évidemment, rares sont les invités de M. Ouyahia à avoir relevé l’incongruité d’une telle disposition. D’autant que la réconciliation nationale ne devait constituer qu’une parenthèse dans la vie du pays, et non pas devenir, par la volonté du chef de l’État, un dogme constitutionnel. Ils se sont cantonnés, dans leur majorité, dans des propositions formelles et sans intérêt.
Quelques exemples édifiants. Saïd Bouchaïr, l’ancien président du Conseil constitutionnel, souhaite que cette institution change de nom en Cour constitutionnelle suprême. Abdelaziz Belaïd, candidat malheureux à la présidentielle d’avril 2014, veut revenir à l’appellation de chef de gouvernement. Un autre chef de parti défonce une porte ouverte et propose l’institution d’un régime semi-présidentiel… La palme de l’absurde est décernée, sans conteste, à Abdelmadjid Menasra, qui a remis en cause le principe de parité homme-femme. Probablement l’unique amendement réellement démocratique, proposé par le chef de l’état.
Du FFS, qui a créé la surprise en acceptant l’invitation de la présidence de la République après avoir participé, quelques jours auparavant, à la conférence nationale de l’opposition, l’opinion publique escomptait enfin des propositions de qualité. Il n’en fut rien. Le Front ne s’est rendu chez Ouyahia que pour lui exposer “son projet de consensus national”, pour reprendre les explications de son premier secrétaire. Ce dernier a d’ailleurs affirmé qu’il n’avait pas du tout abordé, avec le directeur de cabinet de la présidence de la République, la question de la révision constitutionnelle.
Quel est l’intérêt de ce face-à-face dès lors que l’objet des consultations, conduites par l’ancien Premier ministre, porte exclusivement sur la collecte de propositions d’amendements à introduire éventuellement à la loi fondamentale ? D’autant que le FFS n’a pas pris la peine de défendre, ne serait-ce que pour la forme et par respect pour une revendication brandie par des générations de militants, la constitutionnalisation de tamazight, langue nationale mais aussi officielle. Ce point, qui incarne une partie de l’identité du peuple et du pays, est occulté par tous les hôtes du Palais d’El-Mouradia, à telle enseigne qu’on croirait qu’il a été convenu, par un pacte tacite, de ne pas le glisser dans les discussions autour de la réforme de la loi fondamentale.
S H.
