Bobigny, 12h45. Le soleil cogne déjà fort sur les trottoirs de la rue Hector Berlioz. Mais à l’intérieur du Consulat d’Algérie, la chaleur est encore plus étouffante. L’air est lourd, presque immobile. Dans le hall, la foule s’amasse, silencieuse, accrochée à ses papiers, à son sac, à ce qu’il lui reste de patience.
Les regards sont fatigués. Les postures, tendues. Les quelques chaises sont toutes occupées. Les autres patientent debout, adossés aux murs, les jambes fléchies, ou assis à même le sol. Une jeune mère tente de calmer son bébé qui pleure, pendant qu’un homme cherche en vain un coin d’ombre dans ce bâtiment surpeuplé, sans climatisation.
Des rendez-vous qui s’empilent, une file invisible
Dans les couloirs étroits, les conversations se font à voix basse, comme si on n’osait plus poser de questions. Le système de rendez-vous censé organiser la foule semble dépassé.
« J’ai choisi un créneau à 13h15, mais regardez autour, ils l’ont tous ! », lâche un homme en brandissant son téléphone. Il est 14h30, et même ceux convoqués à 12 h attendent encore.
Aucune file définie, pas d’écran, pas d’agents d’accueil. On avance à l’instinct, ou on s’accroche à l’idée que, tôt ou tard, quelqu’un nous dira où aller. Souvent, ce quelqu’un est un autre usager, pas un agent.
Des salles bondées, et presque aucun endroit pour s’asseoir
Dans les deux principales salles d’attente, les chaises sont rares. Les plus chanceux s’y installent dès l’ouverture. Les autres, personnes âgées, enfants, n’ont d’autre choix que de rester debout, ou de s’asseoir sur des rebords, sur leurs sacs, sur le sol.
La chaleur est sèche. Pas de climatisation, pas même de ventilation. Les petites fenêtres entrouvertes n’apportent qu’un courant d’air chaud et poussiéreux. On s’évente avec ses papiers, on boit à petites gorgées – quand on a pensé à apporter de l’eau.
« Je suis debout depuis une heure. J’ai des vertiges avec cette chaleur », glisse une dame appuyée contre un mur, sans que personne ne réagisse. Non pas par indifférence, mais par absence de solution.
Pas de réseau, pas de photocopieuse, pas de boisson
À l’intérieur, le téléphone devient inutile. Aucun signal. Impossible d’appeler un proche, d’envoyer un document, ou même de consulter un mail. Certains tentent leur chance à l’extérieur, mais sortir, c’est risquer de perdre sa place.
« On m’a demandé une photocopie. La machine est là, mais elle est en panne. Et même pour une bouteille d’eau, le distributeur est vide. On est censés faire comment ? », s’agace un jeune homme, dossier en main.
Le distributeur de boissons fraiches, usé, est complètement vide. Rien non plus pour se rafraîchir, ni fontaine, ni verre d’eau proposé. Les usagers se débrouillent comme ils peuvent, dans une ambiance de survie feutrée.
Les toilettes, elles, sont dans un état lamentable : sales, et presque inutilisables. Peu s’y aventurent.
Une parole sèche, un service froid
Au guichet, les échanges sont brefs. Aucune information claire, peu d’amabilité. Les fonctionnaires semblent débordés, mais aussi détachés, comme s’ils étaient devenus indifférents à ce qui se passe de l’autre côté du verre.
« Ce n’est pas ici, partez de l’autre côté ! », lance sèchement un agent à une femme perdue.
Et lorsqu’on tente de demander un renseignement :
« Vous ne voyez pas que le guichet est fermé ? Vous ne savez pas lire ? Faites la queue comme tout le monde ! », répond une employée, sans lever les yeux.
Pas de panneaux, pas d’accompagnement. Ici, mieux vaut connaître le fonctionnement du consulat avant d’y venir. Sinon, c’est l’errance assurée.
Un miroir de l’Algérie à l’étranger, mais déformé
Au fil des heures, le consulat devient un petit théâtre de l’absurde. Ceux qui sortent enfin, papiers tamponnés à la main, ne cachent pas leur soulagement. D’autres, frustrés ou à bout, repartent bredouilles, contraints de revenir un autre jour.
« On ne demande pas le luxe, juste un peu d’organisation, et surtout du respect », murmure un homme à la sortie, trempé de sueur.
Dans ce bâtiment censé représenter l’État algérien en France, ce n’est pas seulement l’attente qui pèse. C’est la sensation de ne pas être écouté, de ne pas compter.
Et demain ?
Le consulat de Bobigny accueille chaque jour des centaines de citoyens pour des démarches administratives simples : renouvellement de passeport, carte d’identité, immatriculation, état civil.
Mais les conditions d’accueil sont indignes, et la désorganisation semble chronique. Ce n’est pas uniquement une question de surcharge de travail. C’est une absence de volonté de faire mieux.
Tant que ces scènes continueront, le consulat ne sera pas un lieu de service, mais un passage redouté.