Consommer algérien, est-ce possible ?

Consommer algérien, est-ce possible ?

Pour le ministre de l’Industrie, Chérif Rahmani, la protection de la production nationale est synonyme de citoyenneté et de solidarité.

Au moment où l’Algérie poursuit ses négociations pour adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des voix s’élèvent pour réclamer au gouvernement plus de protectionnisme économique. Un antagonisme, au sein même de l’État, semble s’enraciner entre partisans de patriotisme et ouverture économique. L’Algérie s’évertue toujours à chercher un modèle pour son économie qui ne cesse de changer au gré des différents réaménagements opérés sur la composante de l’Exécutif et selon la conjoncture de l’heure. Après avoir vanté les mérites et les avantages que générerait le libéralisme consacré dans la politique prônée par l’État, ne voilà-t-il pas que quelques années, voire des mois plus tard, l’on s’aperçoit que l’on a fait fausse route. Que l’on navigue à vue, pour certains observateurs. Le Forum d’Alger organisé hier par le cabinet Emergy, ayant pour thème “Produire national, consommer national”, a servi de tribune à des figures connues sur la scène socio-économique du pays pour étaler leur conception des choses et défendre leurs idées. Abdelmadjid Sidi-Saïd, secrétaire général de l’UGTA, est le premier à évoquer une “colonisation économique” subie par l’Algérie, allusion à l’invasion du marché national par les produits issus des pays développés.

“Je vais fermer tout à ces pays”, lance-t-il tout de go à l’assistance non sans un brin d’ironie qui a d’ailleurs provoqué l’hilarité dans la salle des conférences de l’hôtel Sheraton. “Je vais revoir à la hausse la taxation pour les produits importés jusqu’à 70% et je n’autoriserai que ce dont le pays en a besoin”, précise-t-il en s’improvisant porte-voix de l’Exécutif. Pour le patron de la Centrale syndicale, c’est la meilleure manière de protéger la production nationale et de reconstruire l’économie du pays. À travers une telle démarche, “nous allons redonner à l’entreprise algérienne publique et privée ses titres de noblesse”, explique-t-il. Abdelmadjid Sidi-Saïd a, à ce propos, saisit l’opportunité pour émettre de nouveau son vœu cher, celui de voir le projet de crédit à la consommation repris par les pouvoirs publics. “J’en fais même une institution pour la production locale”, car, argue-t-il, les produits seront plus accessibles pour les bourses moyennes et des emplois verront le jour.

Pour le ministre de l’Industrie, Chérif Rahmani, la protection de la production nationale est synonyme de citoyenneté et de solidarité.

“Les importations imposent une concurrence agressive et détruisent l’outil industriel national”, reconnaît-il. Il a bien compris les doléances des opérateurs économiques qui attendent, dit-il, à ce que le gouvernement libère davantage les initiatives. Il n’hésite pas encore à soulever un problème de manque de visibilité qui, selon lui, a pour principale cause le secteur informel. Les opérateurs étrangers qui pénètrent le marché algérien imposent leur puissance financière. D’où la nécessité d’ancrer, suggère M. Rahmani, le principe de la préférence nationale, notamment pour la commande publique dans les divers secteurs d’activité. Car, affirme-t-il, “produire c’est refuser d’être le marché des autres”. Quant à la question du protectionnisme économique, largement débattue hier, le ministre estime que cette mesure n’est pas propre à l’Algérie. Bien des économies fondées sur le libéralisme l’utilisent, argumente-t-il, comme un instrument du patriotisme économique.

“Le gouvernement décide de monter au front pour protéger les entreprises algériennes et préserver les emplois”, ajoute-t-il. Présent à cette rencontre,

M. Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), avoue que les résultats de l’ouverture de l’économie “ne sont pas concluants”. Il déplore l’émergence du secteur informel qui, relève-t-il, a réussi à imposer sa loi dans une période de transition. “Le marché parallèle s’est approprié le levier de l’import et de la distribution et devient ainsi une force vive, voire le moteur de la croissance”, commente-t-il.

Ce circuit qui échappe à tout contrôle ordonne le paiement cash et l’absence de facture.

M. Hamiani cite l’exemple des producteurs spécialisés dans la fabrication des pâtes, du chocolat et des biscuits qui subissent de plein fouet le diktat des opérateurs étrangers et leurs exportations massives. Les entreprises locales n’arrivent plus à évoluer car leurs produits sont boudés par les consommateurs algériens, jetant leur dévolu sur la marchandise qui provient d’outre-mer en dépit de l’inaccessibilité de son prix. Ce qui a fait dire au président du FCE : “Nous avons perdu des parts de marché qu’on n’arrive plus à récupérer.”

Ce que vit actuellement la production nationale comme désagréments et contre-performances est, d’après lui, le résultat des politiques économiques prônées jusque-là par les gouvernements qui se sont succédé. Devant pareille situation, Réda Hamiani propose aux producteurs d’avoir plus d’ambition et de revoir à la hausse la taille de leurs entreprises. “Si l’on reste petit, on n’aura pas suffisamment de ressources pour rebondir”, déclare-t-il.

Cet opérateur a la ferme conviction que la stratégie réservée à la production nationale a montré ses limites. Il trouve anormal que l’on continue à arrêter des listes négatives, noires, rouges, notamment dans le cadre des accords avec l’UE et la Zale, décision qu’il qualifie de “version moderne de la protection de l’économie”. En revanche, la protection qu’il juge indispensable devrait s’effectuer à travers l’amélioration de la qualité des produits, le respect des normes…

B K