La Constitution prévoit que le nombre des membres du Conseil de la nation soit «égal à la moitié» des membres de l’Assemblée populaire nationale. En augmentant par voie d’ordonnance la composante de l’APN, le chef de l’Etat n’a cependant pas jugé utile de revoir à la hausse celle du Sénat. Simple omission ou calcul stratégique ?
Les élus locaux sont appelés aujourd’hui aux urnes pour élire les 48 nouveaux membres du Conseil de la nation. Après le collège des grands électeurs, ce sera au tour du chef de l’Etat de compléter le renouvellement partiel de la composante du la Chambre Haute du Parlement en désignant 24 sénateurs. Sa liste sera rendue publique dans quelques jours. Donc, au total, ce sont 72 sièges qui sont à pourvoir. Pourtant, il semble que nous soyons très loin du compte. Il suffit de revenir à la Constitution pour comprendre que cette institution se retrouve dans une situation complexe. «Les membres du Conseil de la nation sont élus pour les deux tiers (2/3) au suffrage indirect et secret parmi et par les membres des Assemblées populaires communales et des Assemblées populaires de wilaya. Un tiers (1/3) des membres du Conseil de la nation est désigné par le président de la République parmi les personnalités et compétences nationales dans les domaines scientifique, culturel, professionnel, économique et social. Le nombre des membres du Conseil de la nation est égal à la moitié, au plus, des membres de l’Assemblée populaire nationale», précise l’article 101 de la loi fondamentale.
En clair, le nombre de sièges de la Chambre Haute du Parlement doit être «égal à la moitié» à celui de la Chambre Basse. La mention «au plus», mise entre deux virgules, marque là une limite à ne pas dépasser. Mais qu’en est-il réellement ? Le Conseil de la nation comporte 144 sièges depuis son institution en 1997. Le nombre de sièges de l’Assemblée était de 389 puis a été porté à 462, dès février 2012.
Avant cette date, la moitié aurait dû être de 195 sièges, aujourd’hui elle devrait être de 231 sièges. Il est vrai que cette obligation constitutionnelle n’a jamais réellement été respectée. Mais avec les 73 nouveaux sièges de l’APN, le gouffre entre les deux Chambres s’est encore plus élargi.
Ordonnances
Rappelons les conditions dans lesquelles le nombre de sièges de l’APN a été augmenté. Officiellement, cette démarche est une réponse «logique» à l’évolution de la démographie et vise donc à élargir la représentativité pour chaque circonscription électorale. L’élargissement devait également permettre la mise en œuvre des nouvelles dispositions relatives à l’accès des femmes aux assemblées élues.
Mais la principale raison est, en fait, «d’assurer» quelques places en plus aux nouveaux partis politiques créés dans le sillage «des réformes» initiées par Abdelaziz Bouteflika. Un jeu «d’équilibre politique» qui permet de garder le contrôle sur une partie de l’Assemblée à travers les «micro-formations» et les élus indépendants. C’est donc avec l’ordonnance du 13 février 2012 déterminant les circonscriptions électorales et le nombre de sièges à pourvoir pour l’élection du Parlement que le pouvoir exécutif a augmenté le nombre des députés. Il est important de préciser que dans tout le processus de «réformes politiques» initiées par Abdelaziz Bouteflika, c’est le seul texte à avoir été présenté sous forme d’ordonnance présidentielle.
Il est vrai qu’elle vient elle-même abroger l’ordonnance du 6 mars 1997, mais à l’époque, c’était l’unique possibilité de légiférer, les deux Chambres du Parlement n’ayant pas encore été installées. Le législateur a donc conservé la même disposition concernant le nombre de sénateurs élus : «La circonscription électorale est fixée, pour l’élection au Conseil de la nation, aux limites territoriales de la wilaya. Le nombre de sièges par circonscription électorale est fixé à deux (article 6).»
Enjeux
Il est aujourd’hui impossible de savoir pourquoi la composante du Conseil de la nation n’a pas été revue à la hausse. Théoriquement, la question du contrôle de l’action du Sénat ne se pose pas pour le chef de l’Etat puisqu’il a à sa disposition un avantage certain : le tiers-présidentiel.
L’augmentation du nombre de sièges n’aurait eu aucune incidence sur ce pouvoir. Au contraire, ce sont autant de sièges en plus qui lui auraient permis de «récompenser» des personnalités. Il est également possible que le gel du nombre de sièges du Sénat soit une «action stratégique» en prévision d’événements futurs, l’élection présidentielle de 2014, par exemple. Enfin, pour certains observateurs, la non-application de l’article 101 est peut-être un signe avant-coureur qui annonce la disparition de la Chambre Haute du Parlement. La suppression du Conseil de la nation n’a pas été évoquée officiellement, mais pourrait être inscrite dans la prochaine révision constitutionnelle.
Quelle que soit la raison, le pays se retrouve une nouvelle fois face à une situation de non-application de la Constitution. Encore une. A ce titre, il est utile de rappeler que l’une des premières entorses à la loi fondamentale sous l’ère Bouteflika visait justement le Conseil de la nation. En 2001, Bachir Boumaza, son premier président, était contraint de démissionner suite à un coup de force constitutionnel.
T. H.