Conférence internationale sur le fiqh : Prisons, prisonniers et peine capitale dans l’éthique musulmane

Conférence internationale sur le fiqh : Prisons, prisonniers et peine capitale dans l’éthique musulmane

actualite2[32739].jpgPour la quatrième journée de la conférence internationale sur le fiqh qui se déroule à Oran, oulémas, juristes et experts se sont attaqués aux questions épineuses des prisons, des prisonniers et de l’application de la peine capitale en Islam

Pour la quatrième journée de la conférence internationale sur le fiqh qui se déroule à Oran, oulémas, juristes et experts se sont attaqués aux questions épineuses  des prisons, des prisonniers et de l’application de la peine capitale en Islam.

Des thèmes d’une complexité telle que lors du débat pour chaque proposition ou définition proposée pour faire avancer la connaissance sur ces sujets, une autre proposition ou remarque était formulée juste après soit pour développer le point de vue, soit pour éclairer une nouvelle piste de recherche  inédite jusqu’à l’heure.

Un exemple? Pourquoi l’épouse devient une «victime collatérale» quand son époux est en prison ? Pourquoi l’épouse devrait subir dans son corps et sa vie la mise à l’écart de son mari décidée par le tribunal ? En clair, comment faire pour que la relation conjugale ne soit pas interrompue par la détention ? Le muphti d’El Qods suggère le recours aux techniques de la procréation médicalement assistée pour permettre le maintien du lien conjugal et la naissance d’une progéniture au cas où la peine de prison serait longue. Son collègue d’El Azhar lui fait remarquer que dans ce cas, la question ne se résume pas à la procréation mais aussi au désir. Comment faire pour que la peine privative de liberté ne s’étende pas  dans des sphères «émotionnelles» qui n’ont rien à voir avec les motifs de l’incarcération ? Le droit à l’acte sexuel et à la jouissance… On le voit, on est au cœur des droits fondamentaux du détenu et de sa famille :  la sexualité , l’ intimité,  la dignité, l’ accès à la santé, à l’éducation … Dans une communication intitulée « Le droit des prisonniers en islam et son application en Arabie saoudite», le Dr Ahmed Benyoucef Derouiche  remonte le temps pour étayer son exposé de faits durant la période du Prophète et des califes qui vont lui succéder pour inscrire sa définition de la prison et du détenu dans une lecture historique.

Une explication certes, mais qui fait de perpétuels va- et-vient aux canons de la religion pour donner une densité théorique à  sa démonstration. La prison en tant que lieu carcéral doté des caractéristiques modernes de la répression et de la surveillance était inconnue du temps du Prophète, dira le conférencier, en indiquant que souvent la prison était soit la mosquée, les maisons des musulmans ou des tentes… Les premiers califes perpétueront cette tradition mais avec l’expansion de l’Islam, un lieu «spécialisé»  pour la détention va, peu à peu, s’imposer  à la société.

Si les sociétés occidentales ont développé des siècles plus tard une philosophie humaniste codifiée dans des textes de référence sur le droit de l’homme en général, des prisonniers en temps de guerre et d’autres codes qui ont extirpé de l’obscurité moyenâgeuse le détenu pour lui reconnaître certains droits , il faut préciser qu’il y a plus de 1 400 ans, l’Islam a introduit un code, une morale qu’aucune autre civilisation n’a introduits avant lui : le captif est protégé par sa captivité et le blessé par sa blessure.

Une expression d’une telle force symbolique qu’elle renvoie  à  des droits «supérieurs» au détenu.

Le Prophète a permis de libérer, dans certains cas, les prisonniers de guerre. «Ils ne seront pas humiliés; ils seront protégés d’abus sexuel, émotionnel et physique». Les soins médicaux devraient leur  être prodigués. Les aliments nécessaires et les vêtements devaient aussi être fournis, aussi bien que l’équipement hygiénique. «Le Prophète a aussi instruit ses Compagnons d’abriter leurs prisonniers du soleil d’été et de leur fournir de l’eau pour boire». Les captifs sont invités pour apprendre l’islam, mais ils ne subiront aucune pression pour se convertir. [Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement.] (Verset Al Baqarah) .

«La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et de venir, et rien d’autre». avait dit en son temps un chef d’Etat français pour évoquer  le respect des droits de l’homme et du citoyen dont devrait jouir le détenu. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen date du XVIIIe siècle; mais c’est au XXIe siècle  qu’on parle en Occident de ces droits  dans le milieu carcéral. Mais qu’est-ce que la prison ? Est ce un espace de non-droit au nom du ….droit ? Souvent, les droits des détenus sont quasi inexistants, qu’ils soient malades ou non

. Le mufti d’El Qods va d’ailleurs rappeler à l’assistance la réalité des prisons israéliennes. Depuis des décen- nies, Israël  emprisonne  des Palestiniens sans inculpation ni jugement, en vertu d’ordres de détention renouvelables. Le 17 avril 2012, quelque    2 000 prisonniers observent un mouvement de grève de la faim  pour se faire entendre et exiger  une amélioration de leurs conditions de détention, la fin du placement à l’isole- ment, la possibilité pour tous les prisonniers de recevoir la visite de leur famille et la suppression de la détention administrative.

L’islam dans ses textes et ses traditions a toujours eu à cœur l’état moral et physique des prisonniers, qu’ils soient de confession musulmane ou autre. Les juristes  de l’islam rappellent souvent qu’il n’est pas permis d’enfermer  le prisonnier dans un local obscur ni de lui porter atteinte ni de le terroriser. Il doit lui être garanti le droit de recevoir la visite de ses parents en raison de l’effet psychologique de ces rencontres. Les autorités  en charge des prisons doivent aménager une antenne médicale chargée de veiller sur la santé des prisonniers et leurs conditions de vie.

Ce qui devrait leur éviter de les évacuer vers les hôpitaux publics où ils peuvent être exposés au mépris et à l’humiliation. On doit garantir au pri- sonnier la possibilité de voir sa fem-me et de cohabiter avec elle, s’il existe un endroit approprié dans la prison, afin de le protéger et d’en faire autant pour son épouse. Et si une partie de la solution se trouvait dans l’institution qui devrait coiffer les prisons ? Beaucoup hier ont émis l’idée que les prisons devraient relever du ministère de la Justice et non de l’Intérieur,  comme c’est le cas dans certains pays.

La séance de l’après-midi, la conférence l’a consacrée a l’examen de la notion de la peine capitale en Islam. A entendre les avis des uns et des autres, la question n’est pas aussi tranchée que ça en à l’air.

Et pour cause ! Dans tous les systèmes juridiques, la peine capitale fait l’objet d’un travail permanent de la part des juristes… Pourquoi n’en serait-il pas de même au sein de l’Académie du fiqh? Certes, l’Islam a abordé dans ses textes cette peine, mais certaines de ses conditions d’application  restent nuancées. Si un tribunal prononce la peine de mort à l’encontre d’un condamné pour, disons, un cri-me de sang,  un participant rappellera a l’assistance que le condamné peut échapper à la peine capitale malgré le jugement du tribunal, si un seul membre de la famille touchée par le crime accorde son pardon. Une voie de sortie  «humaine»  spécifique à la religion musulmane puisque inconnue des autres systèmes de par le monde.

Ahmed Ben Saoud Essiyabi, secrétaire général du Conseil des fetwas du sultanat d’Oman  nous a indiqué dans un entretien qu’il nous a accordé en marge des travaux de la conférence que son pays applique la peine capitale. Il faut bien sûr, nous précise notre interlocuteur, que ne subsiste aucun doute quant a la culpabilité de l’accusé pour le crime passible de la peine de mort.

S’il est coupable de crime, il doit être jugé par rapport à la victime (assassiné) et non par rapport à la clémence d’un membre de sa famille. Rappelons que l’Algérie n’applique pas la peine de mort et qu’elle  est en faveur du moratoire et de l’abolition universelle de la peine de mort

M. Koursi