L’Algérie enregistre d’énormes pertes de production en raison de la qualité des semences, l’inefficacité des pesticides et la sous-utilisation des engrais. Ce phénomène est occulté. Pourtant, il contribue à la dépendance de l’Algérie à l’égard des importations, voire l’énorme déficit de sa balance agricole.
La question des cultures dites stratégiques, malgré tous les efforts consentis par les pouvoirs publics sur les plans organisationnel, financier et réglementaire, semble appelée à durer encore longtemps. S’agissant d’une culture stratégique dans l’alimentation ordinaire du plus grand nombre, celle de la pomme de terre, des intérêts complexes et contradictoires interviennent pour gêner la mise en œuvre de solutions efficaces et durables. Deux résultantes de ce problème, demeuré sans solution, sont la cherté des prix et l’instabilité du produit sur les marchés.
Projets de production de semences avortés : Centre de biotechnologie de Guellal (Sétif)
Il y a eu d’abord le projet de construire une usine de production de semences hybrides à Sétif. Un centre de biotechnologie que rien n’a pu faire démarrer, tant les intérêts en jeu sont énormes. Ni les Canadiens ni les Australiens, qui y ont été associés, n’ont pu arriver à un résultat.
En 2004, après que le ministère de l’Agriculture eut décidé de normaliser la filière en instaurant des règles et des normes pour l’importation de semences (taux de tubercules malades, les règles de refoulement, leurs causes, les maladies jugées rédhibitoires, la taille et le calibrage des tubercules, leur nombre par sac de
50 kg, etc.), une véritable cabale a été déclenchée par des importateurs privés via la presse écrite. Il faut dire que le commerce et l’importation de la semence de pomme de terre (et ce qui va avec : pesticides et produits de soins) constituent un vrai pactole qui frise les 100 millions de dollars pour les deux parties contractantes : l’importateur algérien et l’exportateur étranger. Côté algérien, si l’on ferme l’œil sur la qualité phytosanitaire des semences, on peut les payer pas cher, alors que de son côté, l’exportateur pourrait écouler à bon prix un produit qui, de toute façon, lui serait impossible de vendre dans un pays sérieusement protégé par des normes phytosanitaires rigoureuses. Le cas du navire de 2 500 tonnes de semences de pommes de terre refoulé du port de Mostaganem a provoqué un tollé à l’époque, orchestré par les importateurs. Tollé qui a contraint les pouvoirs publics à négocier avec le groupe d’importateurs qui a obtenu la possibilité d’importer 80 000 tonnes de semences aux conditions phytosanitaires préconisées par la loi algérienne. L’office importait de la semence de base et la revendait aux agriculteurs avec un contrat de reprise de la production saine sélectionnée, grâce à des ingénieurs envoyés sur le terrain au moment des récoltes. Le prix d’achat proposé aux agriculteurs était de 20 DA/kg.
Durant les dernières années d’activité (vers 1993-94), les besoins en semence étaient largement couverts, avec une production de 125 à 130 000 tonnes de semence de qualité pour des variétés testées qui avaient montré de belles performances et une résistance aux maladies traditionnelles selon les terroirs : Timate, Spunta, Diamant, Mondial, Désirée, pour le Centre et l’Est (pour des raisons de pluviométrie abondante), Timate et Condor pour l’Ouest, etc. L’expérience, pourtant concluante, a été écourtée durant les années noires du terrorisme ; et on s’est retrouvé à la case départ : l’importation à tout-va.
Produits d’entretien périmés, chers, inefficaces ou mal utilisés
Les caprices climatiques peuvent engendrer des catastrophes, lorsque le cultivateur manque de vigilance ou de savoir-faire dans l’utilisation des produits d’entretien et des pesticides. Ainsi, les pertes de la campagne 2007, dans la région d’Aïn Defla, sont encore dans les mémoires. Si sa récolte est la plus importante, la période de printemps est de loin la plus risquée car elle favorise le mildiou et toutes sortes de maladies de la pomme de terre, qu’il faudra soigner très tôt pour éviter qu’elles ne déciment les récoltes.
Parfois, il est impossible d’arriver à un résultat pour diverses raisons : semences infestées dès le départ, à l’importation, ce qui signifie que le travail des contrôleurs à la frontière dans bien des cas laisse à désirer; produits de traitement inefficaces ou périmés : là aussi les services de contrôle sont mis à l’index (en plus du civisme des importateurs !); manque de savoir-faire des agriculteurs (dosage, utilisation inadéquate des produits); cas de force majeure : fortes pluies, impossibilité de pénétrer dans les champs en vue de traitement : c’est là que l’absence d’une véritable aviation destinée au traitement des grandes étendues cultivées se fait le plus sentir. En effet, l’épandage par voie aérienne est parfois la seule issue pour sauver des récoltes menacées d’anéantissement.
Région centre : des semences infestées réceptionnées
Du côté de la Mitidja, vers Meftah, les cultivateurs ont obtenu des semences infestées. Résultat, peu de champs ensemencés comparativement aux années passées. Le risque est en effet trop grand de voir pourrir sous terre les tubercules plantés, lorsqu’ils sont atteints par la gale, ou de les voir dès leur sortie du sol infestés de mildiou. Si dans le premier cas, il n’y a pas le moindre espoir, dans le second, les coûts en produits d’entretien risqueraient d’être trop élevés, car il faudrait utiliser des produits systémiques au lieu des produits de contact, afin de protéger les jeunes plants durant au moins deux semaines, si bien sûr les produits ne sont pas périmés ! « Il y a quelques années, j’ai planté de la semence de pomme de terre qui montrait des protubérances semblables à des verrues. J’ai pensé que les choses allaient s’arranger dès que la récolte serait prête. Mais non : la récolte avait hérité de l’apparence des pommes de terre plantées et la maladie est restée dans le sol qui ne produit plus que des pommes de terre avec ces verrues, difficiles à commercialiser. » « Il n’y a pas que la semence de pomme de terre qui est en cause. Nous recevons d’autres semences qui ne sont pas très bonnes, qui présentent des maladies, etc. Jusqu’aux produits phytosanitaires qui sont inefficaces ou périmés. »
Un revendeur de semences : « Il y a des problèmes de disponibilité »
« Je n’ai plus que de la Spunta, et encore les gens n’achètent pas de grosses quantités, à cause de l’engrais qui manque. Ils sont contraints d’utiliser du fumier qui a vu ses prix s’envoler, un chargement de tracteur coûte plus de 2 500 DA. Il est vrai que le kilo d’engrais (3×15) coûte 90 DA, parfois le quintal dépasse le million de centimes. » Selon M. Benaouda du groupe Hasnaoui : « Nous avons arrêté la production de pomme de terre de semence pour plusieurs causes, dont la moindre est le dispositif administratif en place trop lourd qui ne permet pas une certification rapide des semences produites. La certification est coûteuse et le test sérologique revient à 5 millions de DA pour les 100 hectares, ce qui signifie 5 DA/kg de semence ! »
Groupe Hasnaoui et la Sodea : une expérience concluante pourtant avortée
La Sodea du groupe Hasnaoui a réussi à produire de la semence base et prébase. Mais selon M. Benaouda, « le marketing particulier entrepris par les exportateurs étrangers (à 70% des hollandais) a réussi à éclipser totalement les producteurs algériens du secteur. Par ailleurs, les agriculteurs algériens matraqués ne sont pas encore tout à fait confiants dans la semence produite en Algérie ». La Sodea avait tout de même réussi à produire, en 2001 déjà, 650 quintaux à l’hectare de semence de base. Facile de faire l’opération pour 1 000 hectares ! Les besoins nationaux en semence de pomme de terre s’élèvent à environ 180 000 tonnes, soit l’équivalent de 70 millions de dollars.
On peut estimer qu’elle a été victime de son succès dans un créneau juteux qui risquait de ne laisser que des miettes à ceux qui s’y étaient incrustés depuis longtemps.
Selon M. Benaouda, même les étrangers ne désirent pas délocaliser leur production de semence prébase afin de ne pas pénaliser leurs agriculteurs. La Sodea a réussi à produire de la semence prébase de qualité dans diverses variétés : Spunta, Timate, Désirée, Diamant, etc. Une semence d’excellente qualité et à hauts rendements.
Autre difficulté apparemment insurmontable pour les investisseurs, le système bancaire national. « Les banques ne suivent pas, n’accompagnent pas sérieusement ceux qui s’aventurent à tenter de développer une filière pourtant jugée stratégique », selon M. Benaouda qui précise encore que « les crédits de campagne ne sont pas accordés, au-delà d’un hectare. Ni la Badr ni la Cnma ne nous ont accordé de crédits de campagne à la Sodea. Toutes nos campagnes ont été financées sur nos fonds propres ».
Si l’écoulement de la semence produite localement se fait très difficilement, à cause du manque de confiance des agriculteurs dans la semence nationale, il faut savoir que son importation coûte près de 70 millions de dollars, ce qui constitue un enjeu financier considérable pour les importateurs et les exportateurs.
Selon le cadre du groupe Hasnaoui, « il n’y aurait quasiment pas de contrôle phytosanitaire sur la semence de pomme de terre importée, contrairement à ce qui se passe avec la semence produite en Algérie qui subit un contrôle des plus tatillons, ce qui décourage la production. La réglementation qui encadre le contrôle et l’inspection phytosanitaires en Algérie s’inspire de celle étrangère. Elle devrait assouplir ses procédures pour encourager les producteurs de semences à s’investir plus dans un secteur stratégique ». M. Benaouda pense que les producteurs étrangers sont favorisés au détriment des producteurs nationaux, ce qui rend la concurrence déloyale entre eux. La pomme de terre étant, avec le pain et le lait, un aliment de base en Algérie, il serait peut-être temps de lui trouver une solution durable afin d’échapper à la dépendance totale des marchés extérieurs pour notre sécurité alimentaire. Ce qui s’est passé en 2007 et en 2009 doit être considéré comme un coup de… semonce et inciter les pouvoirs publics à mettre en place des dispositifs plus efficaces capables de garantir, au moins en partie, la sécurité alimentaire du pays.