Lors du Conseil des ministres du 18 mai, Abdelmadjid Tebboune a ordonné la régularisation définitive du commerce informel de micro-importation, plus connu sous le nom de « commerce du cabas ».
Un tournant inattendu qui rompt avec des décennies de répression silencieuse, et qui redessine le rapport entre l’économie de la débrouille et les politiques publiques.
Dans les halls des aéroports, sur les quais des ports, ils sont nombreux à porter leurs valises non pas pour voyager, mais pour approvisionner un marché algérien en pénurie chronique de produits courants.
Longtemps considérés comme des fraudeurs, les micro-importateurs, surnommés « trabendistes », viennent d’obtenir une forme de reconnaissance inédite. Désormais, l’État souhaite leur offrir un cadre légal, un statut économique, et des droits sociaux.
Commerce du cabas : une régularisation officielle, sous forme de filet de sécurité
Dans sa déclaration, le président de la République a ordonné une mesure claire. La « régularisation totale et définitive » de ces jeunes opérant dans la micro-importation individuelle (cabas). L’objectif est donc de les faire sortir de l’illégalité et les intégrer au circuit formel du commerce extérieur.
En leur attribuant le statut d’agents économiques, ces petits importateurs pourraient enfin accéder à des avantages sociaux et commerciaux, tout en cessant d’être exposés aux saisies arbitraires, à l’humiliation administrative et à la perte de leurs maigres capitaux.
Le chef de l’État a ainsi chargé le Premier ministre de mettre en place une commission d’urgence, avec deux missions principales. Définir les mécanismes d’activité pour ces opérateurs, souvent jeunes, sans emploi stable et engagés dans une logique de survie. Ainsi que d’établir une liste de produits autorisés à l’importation, dans le respect des normes légales et fiscales.
Une reconnaissance qui bouleverse les politiques économiques classiques
Pour le Cercle d’action et de réflexion pour l’entreprise (CARE), cette annonce marque un changement de paradigme. Dans une note d’analyse publiée le 23 mai, le think tank estime que l’État reconnaît tardivement une réalité socio-économique massive.
« En refusant la criminalisation de cette pratique, l’État prend acte, tardivement, d’une réalité socio-économique qui concerne des centaines de milliers de citoyens insérés dans des logiques de survie plus que dans une quelconque stratégie de fraude », explique CARE.
Ce « commerce du cabas », que d’aucuns qualifient de « trabendo », n’est pas une anomalie à éradiquer mais une réponse spontanée aux défaillances structurelles de l’économie locale. Il comble les vides du marché intérieur, fournit des biens introuvables ou inabordables, et offre à une frange vulnérable de la population une alternative concrète au chômage.
Derrière les cabas : 2 à 3 milliards de dollars de flux marchand
Selon le CARE, le commerce du cabas génère chaque année entre 2 et 3 milliards de dollars de marchandises. Un chiffre impressionnant, bien qu’estimatif, qui montre l’ampleur d’un phénomène resté trop longtemps dans l’angle mort des statistiques officielles.
Ces micro-importateurs ramènent :
- Des produits de première nécessité (hygiène, vêtements, accessoires),
- Des articles absents ou trop chers sur le marché local,
- Des biens recherchés pour leur qualité perçue (cosmétiques, petits électroménagers, vêtements de marque…).
Ce flux n’est ni organisé par des réseaux mafieux, ni destiné à contourner massivement les règles fiscales. Il répond à des besoins de base et repose sur des marges faibles, souvent juste suffisantes pour vivre.
Un levier économique, mais des risques sanitaires à encadrer
Si cette reconnaissance institutionnelle est saluée par de nombreux observateurs, le CARE met aussi en garde contre les risques inhérents à l’absence de traçabilité :
- Médicaments contrefaits ou mal conservés,
- Cosmétiques non conformes aux normes,
- Denrées alimentaires périssables,
- Pièces mécaniques dangereuses.
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Le think tank propose des pistes concrètes pour concilier encadrement et flexibilité :
- Contrôles aléatoires après importation, plutôt que systématiques aux frontières,
- Formation ciblée des micro-opérateurs sur les normes de base,
- Étiquetage simplifié pour les produits sensibles,
- Collaboration avec les associations de consommateurs pour renforcer la sécurité sans alourdir les démarches.
Une décision qui reflète un changement de regard sur l’informel
Au-delà des aspects économiques, cette régularisation porte un message politique fort. Reconnaître l’informel comme une composante à part entière de la vie économique nationale. Une façon aussi de rompre avec une gestion souvent punitive de ces formes d’activité. Alors même qu’elles pallient les lacunes de l’État dans certaines régions ou secteurs. « Ce commerce ne disqualifie pas l’offre nationale, il la stimule indirectement en lui révélant ses faiblesses », conclut le CARE.
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Ce pas vers la légitimation du commerce du cabas pose de nouvelles questions. Notamment sur la manière dont l’Algérie conçoit ses réformes économiques. Ainsi que sur la nécessité de simplifier l’accès à l’entrepreneuriat, et sur le rôle que pourrait jouer une fiscalité plus inclusive.