Ce niveau de… sous-développement qui nous étouffe est dû à ceux qui ont toujours mal conseillé et orienté les efforts d’investissement du pays
Lorsqu’on ne tient pas compte de l’homme, alors investir signifierait simplement jeter l’argent à tous vents.
C’est triste de voir combien certaines idées, et donc les discours qui les véhiculent, ont la vie dure chez nous. Cinquante ans durant, nous avons été traînés dans un sillon, un seul, celui de la peine pour toute vie et du bricolage comme seul moyen de la passer, à cause, en partie, de ce discours qui ne veut pas changer. Il ne s’agit pas ici de traiter des hommes mais des idées que certains nous ont imposées en les imposant au pays et à ceux qui le gouvernent.
Bien sûr, tout le monde est d’accord sur le fait que sans investissement, il n’y a point de développement mais nul n’ignore pour autant que, par investissement, il ne faut pas entendre seulement celui des ressources financières. Or, et jusqu’à preuve du contraire, chez nous lorsqu’on traite d’investissement c’est d’argent qu’on parle, de capitaux comme disent les économistes.
Pourtant, et il ne faut pas aller loin pour le vérifier, il y a d’autres ressources à investir tout comme il y a d’autres ressources dans lesquelles il faut investir. Les sociétés ne regardent pas l’effort d’investir de la même manière et elles ne l’approchent pas du même angle. Nous étions jeunes à user nos pantalons sur les bancs d’école lorsqu’on nous rabâchait, déjà, les chiffres du triennal, du plan quadriennal 1 et plan quadriennal 2. Lorsqu’on se mettait à nous parler des chiffres du plan quinquennal, on était déjà dans la descente, sur la courbe du cycle de vie. Autant dire que, toute notre vie, nous avons entendu parler d’investissement. De politique d’investissement et de stratégie d’investissement et, à chaque fois, il s’est agi d’investissement de capitaux, comme disent les économistes une deuxième fois.
Or, de l’avis même de ceux qui jouent aux apôtres de l’investissement, cela n’a pas servi à nous développer. De l’avis de tout le monde, nous ne sommes pas pour autant un pays émergent. Nous n’avons fait que développer notre sous-développement, selon la formule consacrée de certains économistes! Si, après cinquante ans d’investissements, parfois à coups de centaines de milliards de dollars, on n’a pas pu sortir le nez de la misère du sous-développement, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas quelque part. Si, malgré ce que certains applaudisseurs de métier ont vite fait d’appeler des plans Marshall, nous continuons à croupir dans la mouise du sous-développement, c’est qu’il y a effectivement quelque chose qu’il faut, au moins, revoir dans ce que nous avons fait jusque-là.
Lorsque nous prîmes le départ, dans les années soixante, nos voisins nous regardaient comme on regarde aujourd’hui les Américains. Nous avions la volonté, nous avions les espoirs et nous avions surtout l’argent, beaucoup d’argent, pour rendre accessibles nos rêves. L’argent coulait à flots dans tous les secteurs, cela personne ne peut le contester, mais cet argent coulait mal. Parfois même trop mal, tellement mal que cela donnait la nausée. Nos voisins nous regardaient faire et n’osaient aucune comparaison. Seulement, à l’arrivée, c’est-à-dire aujourd’hui, la différence n’est certainement pas à notre profit. L’avantage n’est pas de notre côté et il convient de demander qui ne pourra point oser la comparaison.
Il n’y a pas de secret à cela. Il y a juste des lois naturelles que nous avions bafouées. Et parmi ces lois que nous nous étions fait un malin plaisir de piétiner, c’est que l’homme est au centre de tout développement et que, avant tout, il est primordial d’investir dans l’homme. Lorsque cette loi, simple et immuable à la fois, est négligée, toutes les portes donnant sur le développement se referment irrémédiablement et tous les chemins qui y mènent deviennent impraticables pour longtemps.
A quel développement pouvons-nous prétendre lorsqu’on a négligé l’homme? Et pour qui d’abord se développer? Les économistes le savent très bien, seuls, les outils ne font pas la production et la terre ne fait pas la récolte. On peut aligner dans un atelier les meilleures machines au monde; seules, elles ne produisent pas. On peut, de même, disposer des meilleures graines au monde, si elles ne sont pas semées, elles ne risquent jamais de donner une récolte. C’est dire combien le travail, et par conséquent, l’homme est important à tous les niveaux de la vie et à toutes les étapes de l’activité économique d’un pays. Lorsqu’on ne tient pas compte de l’homme, alors investir signifierait simplement jeter l’argent à tous vents. Et c’est, malheureusement, ce que nous avons souvent fait sans jamais oublier d’entamer la danse de l’autosatisfait béat qui tourne autour de son propre nombril. Jusqu’au vertige!
Il fallait investir, dès les années soixante, dans l’homme. Surtout dans l’homme. En se focalisant sur les ressources financières, ceux qui conseillaient – dont certains continuent malheureusement toujours à prodiguer des conseils – avaient détourné le regard de l’essentiel pour le porter sur le futile et l’insignifiant. On peut prendre tous les exemples qu’on veut mais, encore une fois, parlons université. Tous les efforts dans ce domaine-là se sont concentrés, surtout depuis les quinze dernières années, sur les chiffres, rien que les chiffres. Fièrement, tous les responsables du secteur brandissaient les chiffres. Combien de salles avons-nous construites? Combien de places pédagogiques avons-nous assurées? Combien d’universités nouvelles avons-nous inaugurées, etc. En fin de compte, les structures sont là, avec tous leurs défauts et avec les erreurs qui les jonchent, on ne peut nier qu’elles soient là; mais qui a donc jamais dit que l’université est un ensemble de bâtisses? Est-ce que du haut lieu du savoir et de la production scientifique, nous n’avons retenu que les murs? Oui, parce que telle est la conception de l’investissement que défendaient et que défendent ceux qui, aujourd’hui encore, ont repris leur bâton d’apôtres fatigués pour prêcher la bonne parole relative à l’investissement. Si, sur le principe, nul ne peut être contre l’investissement en Algérie, sur la manière cependant, disons-le clairement, certaines conceptions sont dépassées et ceux qui les défendent ont dû oublier de voir passer le temps. L’ère n’est plus à l’économie, elle est plutôt au management. Elle n’est plus aux coûts mais à l’efficacité. N’est-ce pas que Taylor, de son temps, avait mis fin à l’approche de l’investissement par l’intensification? Il y a lieu de reconnaître que notre sous-développement, on ne l’a pas eu pour rien tout de même, c’est en investissant à coup de milliards de dinars et de dollars que nous avons pu décrocher ce niveau de…sous-développement qui nous étouffe. Cette minable performance est due à ceux qui ont toujours mal conseillé et orienté les efforts d’investissements du pays.