Comment Rabat a «torpillé» Alger

Comment Rabat a «torpillé» Alger

La création du Festival de Marrakech, qui aspire à être inscrit dans la catégorie B des festivals internationaux, était en réalité un projet initié par Alger.

Tout a commencé par l’organisation de la manifestation «Cinéma de l’été», par le groupe «We aime El Djazaïr» du milliardaire Kamel Aït Adjadjou, en septembre 2000. Une manifestation, qui a vu la présence, pour la première fois à une projection cinéma, du Président Bouteflika et plus de 105 personnalités du cinéma français, dont plus de 20 stars mondiales, comme Marion Cotillard, Mireille Darc, Roger Hanin, Yamina Benguigui, Saïd Amadis, Daniel Santano, Frédéric Diefenthal, Antoine de Caunes, Samy Naceri, Gad El Maleh, Faudel.

Il y avait également, des réalisateurs de renom comme Thomas Gilou, Fabien Onteniente, auteur de Jet Set Alexandre Arcady et surtout Gérard Pirès, le réalisateur de Taxi dont l’avant-première s’est déroulée en grande pompe au Théâtre de Verdure, en présence de la fameuse Peugeot 406 de Samy Naceri et d’un nombre important d’artistes et de hautes personnalités de l’Etat.

L’objectif de cette opération événementielle organisée conjointement par «We aime El Djazaïr», Canal Horizon du Franco-Tunisien Serge Adda et Unifrance de Daniel Toscan du Plantier, sur les conseils du producteur bien connu Bachir Derraïs et du réalisateur Alexandre Arcady, était de jeter les bases d’un grand festival international à Alger. L’idée a germé à Paris puis mûri et fignolée à Alger suite à une discussion entre Alexandre Arcady, Yamina Benguigui, Louisa Maurin, déléguée générale du Festival de Paris, Bachir Derraïs, Kamel Aït Adjadjou et Hamid Bouhrour, alors DG de l’Oref. Cette action de charme avait reçu à l’époque, le feu vert de la Présidence algérienne qui a mobilisé ses moyens et sa garde rapprochée pour protéger les stars françaises. L’Algérie, qui venait de sortir de plus de dix années de terrorisme, avait besoin de redorer son image à l’étranger et quoi de mieux qu’un festival international pour faire passer le message.

L’opération a été une grande réussite sur le plan médiatique. La présence de 35 journalistes français, dont plusieurs dirigeants de télévision française comme Jean-Pierre Elkabbach, Claude Serillon, Jérome Clément et Catherine Ceylac, avait permis à l’Algérie de sortir pour la première fois de la rubrique sécuritaire et d’être citée pour une fois, dans la rubrique «Cinéma et événement». Et durant plus de deux semaines, TF1, M6, Canal+ et France Télévisions ne faisaient qu’évoquer ce festival qui venait de naître à Alger. On parlait même de la naissance d’un Cannes maghrébin. Il faut dire aussi qu’à cette époque, les relations algéro-françaises étaient au top sous l’impulsion des présidents Bouteflika et Chirac. D’où la venue de plusieurs stars d’origine juive, pieds-noirs, en pèlerinage à Alger.

Les responsables marocains, qui redoutaient un retour sur la scène internationale de l’Algérie avec la création d’un festival international à Alger qui focaliserait les projecteurs sur cette région très prisée du Maghreb, ont tenté par tous les moyens de créer un festival du même genre ou dans une certaine mesure, récupérer tout simplement le projet. Quelques mois après cette manifestation, plus précisément, au mois de novembre 2000, le conseiller du roi Mohammed VI, André Azoulay, très introduit dans les milieux juifs et pieds-noirs algériens, prend attache avec l’un des plus importants initiateurs de ce projet, Daniel Toscan du Plantier, président d’Unifrance et surtout grand ambassadeur du cinéma français à l’étranger.

«Je vous invite à Marrakech et vous me faites mieux que ce que vous avez fait à Alger», lui avait-il demandé. Cette confidence a été faite par Toscan du Plantier lui-même en présence du producteur Bachir Derraïs. Ce dernier précise, que c’était lors d’une rencontre à Paris où étaient présentes Louisa Maurin, la déléguée du Festival de Paris, et Yamina Benguigui, qui fut invitée à la première édition du Festival de Marrakech qui fut finalement créé le 23 septembre 2001.

Entre-temps à Alger, le projet du festival international d’Alger a été enterré par la faillite de l’organisation d’un autre événement prévu dans le même sillage, le retour d’Enrico Macias en Algérie. Du coup, les Marocains toujours forts dans le lobbying et la récupération des projets ratés par l’Algérie comme l’usine Renault, récupérèrent le projet du festival international.

Pour accepter, Daniel Toscan du Plantier, en position de force devant l’obstination des Marocains, a obtenu ce qu’il ne pouvait pas obtenir des Algériens, c’est de diriger «sans conditions» le festival de Marrakech. Pour cette première édition, le Maroc a fait fort en invitant les mêmes personnes qui ont été invitées pour la manifestation «Cinéma de l’été», à Alger et, surtout offrit le Grand Prix au film de Yamina Benguigui Inchallah Di-manche, pour la remercier d’avoir soutenu le festival de Marrakech. L’Algérie, qui n’était pas présente sur le plan officiel, obtiendra par la même occasion le Prix du court métrage pour le film Jean Farès, réalisé par Lyès Salem, dont le film Mascarades (financé et tourné en Algérie) ne sera pas sélectionné au festival de Marrakech.

Devant cette récupération par les Marocains d’un projet culturel typiquement algérien, le producteur Bachir Derraïs, qui a assisté en tant que producteur du film de Yamina Benguigui à la naissance du festival de Marrakech, tenta de prévenir les autorités algériennes, en envoyant deux courriers: l’un à la Présidence de la République et l’autre au ministère de la Culture, pour les prévenir de la supercherie et surtout réagir pour relancer le Festival international d’Alger.

M.Derraïs n’obtiendra aucune réponse. Aujourd’hui, le festival international de Marrakech draine les noms les plus prestigieux du cinéma international de passage pour des tournages à Ouarzazate.

Après la mort de Daniel Toscan du Plantier, c’est sa deuxième femme, Melita Nikolic, qui «héritera» du festival de Marrakech, comme si c’était une propriété privée. Il y a un peu plus de 60 ans, Alger qui était candidate avec Biarritz et Cannes, a failli accueillir en 1946, la première édition du Festival international du film, devenu aujourd’hui le plus prestigieux rendez-vous cinématographique du monde à Cannes. Alger la Blanche a également perdu en 2000 son festival international, récupéré depuis, par les Marocains, en attendant que dans les années ou les mois à venir, Alger ait réellement son festival international.

Qui arrêtera cette espèce de malédiction imposée par les hommes?

Adel MEHDI