Comment lutter durablement contre la corruption en Algérie

Comment lutter durablement contre la corruption en Algérie

La problématique du contrôle permanent durant la phase de la nouvelle politique économique algérienne implique le passage d’une économie à dominance étatique centralisée à une économie décentralisée impliquant l’ensemble des acteurs économiques et sociaux, loin de toute injonction administrative de type bureautique étouffant l’épanouissement des énergies créatrices.

De ce fait le contrôle institutionnel (Cour des Comptes, Inspection Générale des Finances IGF, Direction Générale des Impôts) sans parler des contrôles routiniers des services de sécurité, devra s’insérer dans ce nouveau cadre pour une moralisation de l’Etat lui même par une plus grande démocratisation des décisions économiques, sociales et politiques solidaires, où chaque acteur a un rôle strictement défini.

1-Faiblesse du système d’information et difficultés de l’appréciation des performances.

Certes l’innovation du plan comptable national P.C.N par rapport au PCG de 1957en attendant la mise en place du nouveau système comptable courant 2010 s’inspirant de la nouvelle nomenclature européenne, (l’autre modèle comptable étant celui des anglo-saxons) est d’essayer d’établir le pont entre la comptabilité nationale et la comptabilité de l’entreprise en mettant en relief un agrégat important celui de la valeur ajoutée.

Comme la tenue obligatoire du bilan du compte d’exploitation et des 15 tableaux annexés ainsi que certaines masses classées par ordre décroissant de liquidité – fonds propres – investissement, stock – créances – dettes, charges – produit et résultat d’exploitation, par des recoupements permettent de calculer une batterie de ratios. Mais tout le décideur il convient de se poser la questions ci ces données sont fiables.

Ont-elles une portée qui permet des décisions cohérentes? Car l’expérience montre souvent des amortissements exagérés par rapport aux normes internationales pour des unités comparables, le gonflement de la masse salariale qui éponge la valeur ajoutée l’absence d’organigrammes précis des postes de travail par rapport au processus initial, gonflement démesuré des frais de siège qui constitue un transfert de valeur en dehors de l’entreprise avec prédominance des postes administratifs, comptabilités à prix courants de peu de signification ne tenant pas compte du processus inflationniste.

Et comme au niveau macro-économique la production est production de marchandises par des marchandises nous sommes dans le brouillard pour tester les performances individuelles surtout en absence de comptes de surplus phvsico-financiers à prix constants qui peuvent aider à suppléer à ces déficiences.

Aussi s’agit de bien spécifier les facteurs internes à l’entreprise des facteurs externes. Au niveau interne car beaucoup de gestionnaires rejettent la responsabilité sur les contraintes d’environnement en soulignant l’importance des créances impayées, force de travail inadaptée, blocage bancaire, infrastructures (logement – santé, routes) mais oublient d’organiser leur entreprise.

Car combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique afin de pouvoir déterminer avec précision leur coût car l’objectif est de produire au moindre coût alors que l’ancienne culture était mue par l’unique dépense monétaire et combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent- du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels et annuels entre les objectifs et les réalisations. Tout ce travail mécanique mal synchronisé rend extrêmement difficile l’élaboration des budgets sans lesquels le contrôle externe est extrêmement difficile, voire impossible.

Au niveau externe car plusieurs facteurs externes déterminants dans le façonnement des comptes relèvent de la politique économique nationale, elle même fonction des aléas de la conjoncture internationale du fait de l’extraversion de l’économie algérienne (plus de 97 % de nos recettes en devises provenant des hydrocarbures tributaires du cours du brent et du dollar, les exportations hors hydrocarbures étant presque nulles).

Or, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers rend problématique la rubrique achat de matières premières figurant dans le compte d’exploitation générale sans compter les taxes douanières dont le taux s’applique au cours. Bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton ect… sont cotés journellement à la bourse.

Deuxième facteur, les fluctuations des monnaies clefs qui ont des incidences aussi sur le prix d’achat. Ainsi le cours du dollar reconverti en dinars courant est passée de 8,96 DA = 1 dollar en 1990, à 23,35 en 1993, à 47,66 en 1995 et approche 107 dinars un euro et 73 dinars un dollar en 2009/2010.

Troisième facteur, l’évolution de la structure des taux d’intérêts qui a des répercutions sur la rubrique frais financiers. Sans entrer dans le débat complexe sur la détermination des taux d’intérêts, disons que les observations empiriques montrent une corrélation nette entre l’évolution de la masse monétaire, le niveau général des prix, le niveau de production et de productivité. Si l’entreprise est attentive à ce taux, en matière de politique économique, ce serait une erreur d’agir sur le taux à la hausse ou à la baisse par injonctions administratives.

Quatrième facteur, l’évolution de l’endettement extérieur dont le service de la dette constitue » une fuite » en termes économiques. Le rééchelonnement étant une suspension de paiement, dont la fraction ultérieurement remboursée est majorée par un taux d’intérêt composé. Pour l’Algérie le remboursement de la dette par anticipation entre 2000/2008 a permis de limiter cette fuite du fait que le poste service (paiement des compétences étrangères avec ce paradoxe fuite des cerveaux algériens) tend à prendre la relève de l’ancien service de la dette, devant prendre en compte la balance des paiements et non pas uniquement la balance commerciale étant évaluée à plus de 11 milliards de dollars entre 2008/2009 .

Enfin, le flacteur essentiel et déterminant est l’évolution du cours du brent dans la mesure où le prix du gaz est indexé sur un panier de 8 pays du Moyen Orient et de l’Afrique. Toute baisse d’un dollar entraîne une baisse de 500 millions de dollars de recettes en moyenne annuelle et donc freine la capacité de financement des entreprises par ricochet, l’économie algérienne étant mono-exportatrice. Tous ces différents facteurs énumérés précédemment jouent simultanément, durant cette phase de transition, devant donc faire le pont entre la micro et macro-comptabilité.

2- Des organisations changeantes, produits de rapports de forces entre 1963/2010, rendant opaque le contrôle.

Il existe des liens complexes entre le façonnement des comptes au niveau des entreprises et l’environnement et lorsqu’on invoque la « mauvaise gestion » y a t-il lieu de bien cerner l’ensemble des causes internes et externes du résultat brut d’exploitation. D’autant plus que les opérateurs qu’ils soient publics ou privés où la bureaucratie est omni-présente subissent des injonctions qui échappent à leurs propres initiatives. Cela est plus patent pour les entreprises publiques et les différentes formes d’organisation qu’elles ont connues depuis l’indépendance à nos jours ne font que traduire les rapports de force liés aux partages de la rente.

Le passage des fonds de participation aux Holdings puis aux sociétés de participation de l’Etat (SGP) en est une illusion. Ces chevauchements de compétences expliquent en grande partie le manque de transparence. La confusion des rôles jouant comme vecteur dans ce sens dans la mesure où la forme d’organisation ne fait que traduire les objectifs ou les non objectifs qui ont un soubassement politique.

La marginalisation des compétences et l’exode de cerveaux qui prend des propositions alarmantes dans la mesure où cela constitue un détournement financier indirect n’en sont que la conséquence. Ces structures hétéroclites bloquent la circulation de l’information qui en ce début du XXI siècle avec la révolution d’Internet constitue le véritable pouvoir certaines sous structures ou personnes acquérant plus de pouvoir par la détention de certaines informations.

Ces réseaux croisés – étanches – expliquent que lors de séminaires à intervalles de quelques mois, des responsables différents donnent des chiffres différents parfois contradictoires. Par exemple les différents taux de croissance donnés qui contredisent les tests de cohérences. Pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment, les rapports de l’IGF, de la Cour des Comptes, des Commissaires aux Comptes, et même de l’A.P.N restent incomplets surtout en tant que mesures à prendre, en recommandations pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent car ne cernant pas les causes fondamentales et surtout des liens complexes entre l’environnement international, les politiques macro-économiques et sociales et les cellules de base entreprise ou services collectifs. Aussi plusieurs actions sont elles nécessaires.

3- Définir clairement le droit de propriété et la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle.

Première question qui est propriétaire de ces entités publiques ? Car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe. Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large- véritable pouvoir de décision de son entreprise? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes?

C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat Régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent ni la structure des fonds de participations ni la nature des holdings, si les sociétés de participation de l’Etat SGP qu’ils soient de 1O ou 20. Car posant la question fondamentale des objectifs politiques liés à l’instauration soit d’une économie de marché véritable s’insérant dans la globalisation de l’économie où d’un statut quo préjudiciable à l’avenir du pays.

C’est que la plupart des services collectifs ou entreprises publiques ne connaissent pas véritablement leurs véritables propriétaires (absence de titres de propriété) et donc la valeur comptable est biaisée.

Certes cela diffère d’une entreprise ou de l’administration et des services collectifs. Mais l’économie publique moderne a introduit des instruments de contrôle, liés d’ailleurs à l’optimum de service public base de la moralité de l’Etat lui même dont la technique du coût – avantages en est une illustration. Pour comprendre cette situation et trouver les moyens de son dépassement il y a lieu de poser fondamentalement la nature du Pouvoir qui peut être synthétisé sous formes de cercles interdépendants ou à l’aide de modèles matriciels avec des pondérations suivant les rapports de force du moment mais évolutifs.

Ce qui m’amène à analyser l’importance de l’Etat régulateur dans le contrôle.

La crise mondiale actuelle a bien montré l’urgence de l’intervention des Etats du fait que les mécanismes de marché seuls ne garantissent pas la transparence. L’intervention de l’Etat régulateur s’avère stratégique afin de concilier les coût sociaux et les coûts privés, mettre à la disposition des opérateurs préoccupés par leur gestion quotidienne, de l’information afin de minimiser les risques, donc les coûts, au moyen d’observatoires au niveau macro-économique, parallèlement à une politique monétaire, fiscale, douanière, claire, permettant des prévisions sur le moyen et le long terme.

La démonopolisation et débureaucratisation accélérée doit constituer une priorité car les entraves peuvent se chiffrer en milliards de dinars sans compter le coût social entraînant une démotivation et démobilisation générale – perte de confiance – que les contrôles ponctuels ne pourront jamais éradiquer.

Il y a urgence de réseaux informatisés reliant la douane – la fiscalité -le service fiscal -base de l’équité sociale – fonctionnant sur des méthodes du début du XXème siècle. Comme il y a lieu de dynamiser l’élaboration d’un tableau de la valeur au niveau de la douane perpétuellement actualisés en fonction des données boursières mondiales tableau que l’avais préconisé en 1983 lorsque j’étais responsable économique à la Cour des Comptes. La mise en place du système informatique à la douane, sous réserve de l’alimentation de données fiables, en étant conscient des interactions (douanes port, aéroport, Entreprises) – constitue une étape importante dans la transparence.

4-Conclusion : Urgence de la refonte de l’Etat sur des bases démocratiques.

Comme nous l’avons constaté tout au cours de cette analyse, la mission du contrôle en économie de marché implique à la fois de nouveaux mécanismes de régulation d’ensemble, les institutions de contrôle civil et politique devant s’insérer dans ce cadre ainsi que les organes techniques dont il y a lieu de revoir en urgence la mission des commissaires aux comptes qui ont une large responsabilité de contrôle des comptes mais qui ont tendance à devenir des fonctionnaires permanents des dirigeants d’entreprise ou des administrations étant juge et partie ( avis d’appel d ‘offre public pour les passations des marchés d’expertise et un maximum de 5 années dans la structure de contrôle).

De ce fait le contrôle institutionnel et technique doit s’insérer dans un cadre stratégique afin de moraliser la vie publique, éviter les détournements, et permettre au pays d’avoir une croissance durable car les lois économiques sont insensibles aux slogans politiques. Pour preuve, en cas de distorsion du taux de change, les études de la Banque Mondiale à partir de la méthode résiduelle montrent que les transferts de capitaux à l’étranger sont importants, résultants de l’utilisation par les agents des mécanismes économiques.

Cela s’applique également aux mouvements de capitaux internes avec l’extension de la sphère informelle ou les cambistes jouent sur le taux de change officiel et celui du marché parallèle de devises. Cela ne peut constituer un vol au sens du code pénal mais pose toute la problématique d’un système démocratique véritable et que ne sauraient remplacer les actions coercitives et autoritaires. Pour preuve le rythme de développement du marché informel est proportionnel aux actions bureaucratiques.

En fait tout cela implique la refonte de l’Etat et donc une nouvelle gouvernance si l’on veut combattre efficacement la corruption qui gangrène tout le corps social et qui tend malheureusement à être banalisée alors qu’elle constitue le pus grand danger pour la sécurité nationale, pire que le terrorisme qu’a connu l’Algérie entre 1990/2000.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL, économiste et expert international en management stratégique