Le Ramadhan se prépare des semaines à l’avance
Le gouvernement devrait s’inspirer du «plan de rigueur» des citoyens qui, durant le Ramadhan, ne croient qu’à leur art de la débrouille pour passer tant bien que mal l’épreuve du mois sacré.
Ramadhan est souvent synonyme de saignée pour le portefeuille des ménages. Pour éviter de tomber entre les griffes des commerçants sans scrupules, certains foyers ont trouvé la parade avec l’art de la débrouille. Une vertu innée qui permet aux Algériens de sortir la tête de l’eau en toutes circonstances. Mais comment appliquent-ils cet art pour parer à la flambée des prix des produits alimentaires? Une petite virée dans les marchés de la capitale nous permet de découvrir ces «procédés» révolutionnaires les uns plus que les autres.
D’emblée, les personnes rencontrées nous expliquent que pour un Ramadhan presque parfait, il faut le préparer à l’avance. «Au lieu de s’y prendre à la dernière minute, les ménagères débutent tôt les préparatifs pour ce mois. Les plus avisées les entament deux mois plus tôt. Faire les grands achats est le premier pas pour mieux se préparer à accueillir ce mois sacré», explique Khalti Cherifa, une mère de famille «spécialiste» de la débrouille. Comme cette sympathique dame, dans les ruelles des quartiers populaires où il y a des commerces, la population algéroise s’approvisionne en achetant tout le nécessaire, comme dans les grandes surfaces et les supermarchés de la ville. Plus d’une semaine avant le Ramadhan on commence à sentir la frénésie de l’achat qui s’empare des foyers.

«Plus tôt tu te prépareras, meilleur sera ton Ramadhan»
«On se prépare au Ramadhan depuis plus d’un mois. J’ai acheté les lentilles et les pois chiches, comme les tomates, le persil, la coriandre et le céleri que j’ai mis en grande quantité dans le congélateur. J’ai aussi acheté des fruits que j’ai épluchés, coupés en morceaux et mis dans le congélateur. J’ai également préparé le «msemen» et la galette traditionnelle que j’ai congelés», souligne Nadia, une jeune femme au foyer. «La flambée des prix, ce n’est plus quelque chose qui occupe mon esprit», nous confie-t-elle fièrement.
Comme Nadia, le seul système de régulation du marché auquel croient les Algériens n’est autre que leur… congélateur, le recours aux stocks et aux salaisons. «J’ai mon propre système de régulation qui consiste à acheter les produits qui peuvent être conservés au freezer, à leur plus bas prix afin de constituer un stock qui m’aidera à passer le mois de Ramadhan sans embûches», nous confie Nana Ouiza, une «mémé» rencontrée au marché de Bachdjarah. On entend de loin une femme crier à un marchand. «20 kilos de tomates, huit kilos de citrons…».
Va-t-elle nourrir un régiment avec ces provisions qui donnent l’impression d’être ceux d’avant guerre?
On ose interroger cette femme qui a l’air déterminé. «Oui, je vais faire la guerre du jeûne», ironise-t-elle. «Je prépare mes stocks pour le Ramadhan et là je suis très en retard car les prix ne sont pas à leur plus bas. J’aurais dû m’y prendre plus tôt», ajoute-t-elle avant de se faire couper la parole par le marchand qui confirme que beaucoup de ses clients achètent des provisions pour les congeler en prévision du mois sacré.
«Les agrumes ont particulièrement été prisés cette année car ils se conservent bien et il y a eu une bonne récolte qui a fait dégringoler les prix», souligne ce jeune à la petite camionnette de marque chinoise. Il précise même que sa mère a utilisé le même procédé pour que la famille arrive à joindre les deux bouts durant le mois de Ramadhan qui s’annonce chaud dans tous les sens du terme.
Les Algériens ont donc réussi à déjouer le piège du mois de la saignée grâce à l’art de la débrouille. Mais en réalité, comment ce système D marche-t-il exactement? «Pour ma part, c’est les tomates que je congèle. Il y a ceux qui les travaillent en les épluchant mais on peut aussi les mettre directement en boule dans des gobelets en plastique», explique Amel. «On congèle aussi les petits pois en
les mettant directement au «congélo»», poursuit-elle. «C’est également le cas pour les poivrons que l’on fait griller avant de les mettre au congélateur», atteste-t-elle.
Pour son amie Djamila, ce sont les choux et les choux-fleurs qu’elle congèle. «Avant, je les mettais à blanchir à l’eau pendant quelques minutes», explique-t-elle.
Le système D, c’est toute l’histoire de l’Algérie…
Les artichauts ne sont pas en reste puisque eux aussi ont le droit à un passage à l’âge de glace. «On les nettoie, on enlève leurs feuilles avant de les faire macérer au citron. Après la macération, le tour est joué», certifie-t-elle. En parlant de citron, ce produit indispensable pour un bon bourek et une bonne chorba, il est également conservé d’une façon des plus ingénieuses.
«Les prix de ce produit ont tendance à atteindre des sommets pendant le mois sacré, c’est pour cela que les Algériens ont trouvé un moyen pour éviter d’acheter ce produit qui coûte à peine 25 dinars en temps normal, dix fois plus pendant le Ramadhan», argumente-t-elle. «Pour être conservé, le citron est pressé en jus qui, lui, est versé dans les bacs à glaçons pour être congelé», confie-t-elle. «Cette méthode nous permet d’avoir des cubes de citron pour arroser nos plats préférés», garantit Djamila qui précise toutefois que ce n’est pas seulement à cause des prix que ces légumes sont congelés, mais c’est également pour avoir des légumes d’hiver en été…
La viande a elle aussi droit à sa cure de congélation. Ne faisant pas confiance aux méthodes de conservation des vendeurs de viande congelée, certains foyers congèlent eux-mêmes leur viande, qu’elle soit blanche ou rouge. «Les prix de la viande flambent durant le mois de Ramadhan, et les vendeurs de viande congelée ne respectent pas la chaîne du froid, cela nous contraint à congeler notre viande», rapporte pour sa part Fadel, un père de famille qui regrette cependant le laisser-aller des autorités qui ne sont même pas capables de stabiliser les prix. D’autres ménages, par contre, optent pour des méthodes de conservation des viandes plus ancestrales comme la salaison. Le congélateur est donc devenu l’ami fidèle des ménages durant le mois de Ramadhan. Une tendance qui est confirmée par les vendeurs de l’électroménager du Hamiz. Le gouvernement qui n’arrive pas à appliquer ses mesures d’austérité et encore moins réguler le marché devrait s’inspirer du «plan de rigueur» des citoyens qui, durant le Ramadhan, ne croient qu’à leur art de la débrouille pour passer tant bien que mal l’épreuve du mois sacré…