Comment le gouvernement algérien a condamné l’industrie automobile à l’asphyxie

Comment le gouvernement algérien a condamné l’industrie automobile à l’asphyxie

L’industrie automobile, présentée comme locomotive d’un long processus d’industrialisation,  prend davantage l’allure d’une farce  que d’un quelconque projet sérieux.  Les approximations disputent la vedette aux incohérences et le manque de vision rivalise tristement avec des caprices politiques prétendument révolutionnaires. Le feuilleton risque d’être long.

 La taille des usines de montages les condamne à faire du SKD ou à fermer

Renault Algérie est une usine qui été conçue pour le montage de 150 000 véhicules/an.  Pour le moment, elle produit la moyenne de 30 000 véhicules/an. Dans l’accord conclu entre les deux partenaires, la mise en place de cette usine est scindée en trois phases : le montage, la tôlerie-peinture-cataphorèse et l’emboutissage.

Dans la première, qui dure trois ans, on fait du montage en SKD. Autrement dit, on ramène la coque des véhicules toute faite et on fait le montage des pièces qui vont avec. Pour l’heure,  contrairement à ce qui se dit, et Renault, et les autres  constructeurs, Hyundai, Volkswagen, Mercedes, Iveco  ne font que cette opération.

Mokhtar Chahboub, exDG de SNVI: un diagnostic réaliste sans complaisance

« L’attribution du numéro de série des véhicules se fait dans la phase tôlerie-peinture (cataphorèse). Or,  chez nous, les coques arrivent avec un numéro de série étranger, soudées et peintes. Il faut dire que ces véhicules n’ont pas de carte d’identité algérienne », nous affirme Mokhtar  Chahboub, ingénieur en industrie mécanique et ex-PDG de la SNVI.

Une question se pose : ces usines vont-elles passer à la phase tôlerie-peinture (cataphorèse)?  « Renault Algérie va entrer dans la deuxième phase  très prochainement », a annoncé le directeur des opérations du groupe chargé de la région Moyen-Orient Nord Afrique, Bernard Cambier, lors de la rencontre à Oran au mois d’avril dernier.

Pour le moment, rien n’est fait dans ce sens et, dans les conditions actuelles, il est impossible d’y arriver. « D’abord, pour amortir l’investissement dans la phase tôlerie-peinture-cataphorèse, il faut produire entre 150 000 et 200 000 véhicules/an. Ensuite, la mise en place des équipements nécessaires pour cette phase coûte environs 160  millions d’euros », nous explique également M. Chahboub.

Or, pour l’’heure, le première usine, Renault, espère atteindre, au mieux, 60 000 véhicules/an, ce qui la place dans l’impossibilité de s’engager dans la phase tôlerie-peinture-cataphorèse, ce sans quoi elle risque de travailler à perte.

Qu’en est-il des autres usines, notamment Hyundai qui prévoit de produire 20 000 unités/an d’ici 2019 et Sovac qui compte produire 17 000 unités/an ? La réponse est sans appel : aucune des usines de montage automobiles ne peut faire de la tôlerie-peinture-cataphorèse dans les conditions actuelles. Autrement dit, la taille de ces  usines de montages les condamne à faire du SKD seulement ou à fermer.

L’emboutissage localement : une opération impossible

Dans le nouveau cahier des charges  relatif aux industries de montage automobiles que le ministère de l’Industrie est en train d’élaborer, il est écrit, nous assure une source très proche du dossier, que « l’emboutissage sera exigés des usines dés le démarrage alors que, dans l’ancien cahier des charges, cette opération est prévue comme troisième phase, soit après  cinq d’activité ».

Or, l’emboutissage n’est pas un choix banal à faire mais « une activité essentielle dans l’industrie automobile » qui, plus est, est très complexe.

« L’emboutissage est une activité essentielle dans l’industrie automobile. Elle nécessite de gros moyens. Pour amortir les matrices à emboutir, il faut produire 500 000 unités.  Or, au rythme où avancent les choses en ce moment, 500 000 unités ne peuvent pas être produites avant dix ans, ce qui représente une perte sèche pour les investisseurs. Ceci sans oublier l’impact qu’une telle situation peut avoir sur la qualité des produits et leur évolution puisqu’il n’est pas possible de changer les matrices d’emboutissage avant de les amortir », affirme encore M. Chahboub.

Quand on sait que Renault Algérie, qui produit depuis 2014, n’a la possibilité ni de faire de la tôlerie-peinture-cataphorèse, ni de l’emboutissage dans les conditions actuelles, il est aisé de parier sur la fermeture de toutes les usines de montages, à moins que, pour sauver son « honneur » vis-à-vis de ses partenaires, l’Etat algérien décide de subventionner le secteur en payant les déficits que ces deux activités peuvent engendrer aux usines en questions.

C’est dire que le développement du taux d’intégration des véhicules montés en Algérie tant chanté par Mahdjoub Bedda est une chose belle à écouter mais pas nécessairement faisable.

Plusieurs marques en même temps : le grand piège

Le discours sur le lancement de l’industrie automobile, présenté comme secteur stratégique par les pouvoirs publics, a suscité un grand intérêt chez plusieurs constructeurs à travers le monde, notamment en France, en Allemagne, en Italie et en Corée du sud.

Des pourparlers ont été engagés entre plusieurs partenaires et, quelques années après, ceux-ci se sont soldés par l’installation de Renault en Algérie et l’ouverture d’usines de montage de véhicules Mercedes, Hyundai et Iveco en Algérie, Fiat ayant hésité au départ avant d’exprimer récemment  sa volonté de venir.

Toutefois, dans cette bousculade, une exception est à retenir : Hyundai. En effet, le PDG du groupe a déclaré, nous rapporte une source présente lors d’une rencontre officielle tenue à Alger en 2010, que « Hyundai n’investira pas en Algérie en deçà de 350 000 unité/an avec une nette garantie de protéger le marché local ».

Cette information, pour banale, qu’elle paraisse, est évocatrice de tout le drame de l’industrie automobile naissante en Algérie. «  Pour qu’une usine de montage fasse de la tôlerie-peinture-cataphorèse et de l’emboutissage localement et soit rentable, elle doit produire au minimum, dans un premier temps, 150 000 unités/an avant d’atteindre la moyenne de 350 000 unités/an après une période de 5 ans aux maximum. Les capacités d’absorption de notre marché sont limitées, soit la moyenne de 300 000 véhicules/an. 

Par conséquent,  pour qu’une usine d’une capacité de 350 000 unités/an soit viable chez nous, elle doit destiner une bonne partie de sa production à l’exportation ou être protégée localement de la concurrence des autres marques à travers l’institution de taxes importantes sur les véhicules importés.  Mais chez nous, le secteur a été ouvert à plusieurs marques en même temps, dans la précipitation, ce qui fait que le marché local se trouve saturé et n’offre ainsi la possibilité à aucune marque de se développer  et ne leur laisse finalement qu’un seul choix objectif : l’exportation. Mais l’exportation est loin d’être une mince affaire, » assure Mokhtar Chahboub.

 Déduction: les usines de montages ne peuvent survivre, dans la situation actuelle, que si elles continuent à faire du SKD, autrement dit de « l’importation déguisée ».

La planche du salut

Pour sauver l’industrie automobile, le ministre de l’Industrie, Mahdjoub Bedda, compte agir sur un seul paradigme : mettre fin aux « importations déguisées ». Il veut, à vrai dire, augmenter le taux d’intégration des véhicules montés en Algérie.  L’intention est bonne. Reste la faisabilité.

Compte tenu de la notion d’économie d’échelle, l’intégration souhaitée, notamment  la prise en charge locale de la tôlerie-peinture-cataphorèse et de l’emboutissage ne sont possibles que dans des conditions qui ne sont pas réunies actuellement et que l’existence de plusieurs marques sur le marché algérien rend improbables.

« Dans les conditions présentes, le seule issue qui reste au Gouvernement pour sauver le secteur est, d’une part, de procéder à la fermeture des petites usines de montage et de ne laisser que deux ou trois marques sur le marché local, renégocier les contrats avec les partenaires étrangers pour aller vers des usines de taille importante et qui peuvent aller vers plus d’intégration, instituer des taxes importantes sur les véhicules importées pour protéger le marché local et aller vers la mise en place d’un système intégrée pour assurer localement les phases tôlerie-peinture-cataphorèse et emboutissage tout en développant un tissu de sous-traitant pour les autres pièces et accessoires », recommande M. Chahboub en précisant que l’ouverture d’une usine d’emboutissage en Algérie, « on va assurer, entre autres, un débouché pour la future usine de production de tôle d’emboutissage de Bellara ».

Amar INGRACHEN