L’Algérie doit absolument s’engager dans les prochains mois vers une réforme de l’Etat, d’une ampleur inégalée. D’une part, parce qu’elle est non seulement indispensable pour le développement économique dans un pays où le poids de l’Etat est considérable. D’autre part, elle répondra aux besoins du citoyen, qui ne supporte plus d’être pris en otage par une bureaucratie qui a pour conséquence de favoriser la corruption.
Bien que, le gouvernement a pris quelques dispositions pour réduire les procédures administratives lourdes et contraignantes, mais ce n’est pas avec des rustines que l’on fait des réformes.
Le gouvernement doit s’attaquer au fond du problème, à savoir la qualité des institutions en Algérie. En effet, de nombreuses études démontrent que les écarts de croissance entre, les pays riches en ressources qui réussissent et ceux qui ont moins de succès, viennent souvent de la qualité des institutions.
Toujours selon ces études, les ressources naturelles n’ont un impact négatif sur la croissance, que dans les pays où la qualité des institutions est médiocre.
Aujourd’hui, en ce qui concerne la qualité des institutions, nous sommes seulement classé 101ème sur 148 sur dans le dernier rapport « The Global Competitiveness» du WEF. Mais ce classement ne fait aucun doute, car dans les faits, les Algériens constatent par eux-mêmes les carences de nos institutions. Ce constat ne concerne pas une majorité de fonctionnaires qui tentent tant bien que mal de rendre un service public, mais plutôt les lois, l’organisation et surtout le management souvent insuffisant qui contribuent à rendre l’Algérie parmi les pays aux mondes les moins efficients dans l’action publique et les plus bureaucratiques.
La bonne gouvernance est donc un facteur clé de succès critique en Algérie. Pour cela, la révision des politiques publiques doit être fondée sur la base d’un audit permettant de faire un bilan des actions entreprises (coûts et efficacités). Celle-ci doit s’articuler au tour de quatre volets : une dimension de réforme administrative, une dimension organisationnelle, une dimension budgétaire et une dimension éthique. Parmi les mesures qui devraient être retenues sont :
1-Mieux organiser le fonctionnement de l’Etat :
Parmi les plus importantes réformes à mener consisteraient à renforcer la présence de l’Etat dans les wilayas, en allant, comme en Allemagne, au bout de la logique de décentralisation, surtout en matière d’emploi et de développement économique locale. Cette approche permettra de mieux tenir compte des spécificités régionales.
En complément de la décentralisation, il est primordial de revoir les missions de l’État, ainsi que l’organisation administrative, qui souvent est peu efficace et très couteuse. Les illustrations sont nombreuses dans ce domaine. A titre d’exemple, nous n’avons pas moins de 8 agences ou organismes en charge de financer, d’orienter ou d’aider à la création de PMI/PME, pour un résultat très peu satisfaisant en matière de création d’entreprise. A l’inverse nous ne disposons d’aucun système fiable de prévision, de contrôle et d’audit des politiques publiques, qui pèsent plus de 112 Milliards de dollars par an. Même dans un domaine aussi sensible que l’industrie pharmaceutique, nous ne disposons toujours pas d’agence nationale du médicament, alors que celle-ci est garante de la sécurité sanitaire des consommateurs, notant que le marché Algérien du médicament représente 3 Milliards de dollars par an.
Pour finir, nous devons aussi clarifier, sans aucune ambiguïté, les rôles et les responsabilités de chaque intervenant, séparer les acteurs en charge de la décision de ceux en charges de l’exécution, rationaliser et allouer les ressources en fonction des priorités stratégiques et surtout mettre en œuvre une politique de gestion des R.H. en fonction uniquement des compétences selon leurs domaines de spécialisation.
De plus, il faut améliorer la coordination de l’action de l’Etat en amont et en aval. Cette coordination pourrait prendre forme en regroupant sous le même ministère des filières comme l’agriculture et l’agroalimentaire ou même mettre le commerce extérieur sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, tel est le cas au Canada, la France ou l’Australie, ect.. Cela permettra aussi à l’Agence nationale de promotion du commerce extérieur (Algex) de profiter des installations diplomatiques à l’étrangers, d’utiliser le réseau diplomatique et de connaitre les autorités étrangères (réglementation, administration) , facilitant de facto la promotion de la marque Algérie.
2-Faciliter les relations entres les usagers et les administrations:
Même si les démarches en matière d’état civil se sont améliorés dans l’ensemble, il ne demeure pas moins que celles-ci restent insuffisantes, surtout en matière de relation entre l’administration fiscale et l’entreprise.
En Effet, selon le rapport « Paying Taxes » de la banque mondiale, une entreprise Algérienne passent 451 heures pour remplir ses obligations fiscales, contre 144 heures en Tunisie et 232 heures au Maroc. Comme un bon nombre de pays, l’accès aux services publics doit se faire toujours plus en ligne. Il faut donc accélérer le grand chantier de « dématérialisation » des procédures. Il est nécessaire aussi de simplifier bon nombres de démarches pour les particuliers et les entreprises grâce à la mise en place de guichets uniques qui serviraient d’interface avec l’ensemble des administrations, et en offrant la possibilité d’effectuer les déclarations et les paiements en ligne. Il est aussi indispensable d’apporter un changement dans la relation entre l’administration et le citoyen passant de la vision du contribuable vers celle du client avec des exigences, comme le font les pays Scandinaves.
3-Améliorer la gestion des dépenses publiques:
Aujourd’hui, dans la Loi de Finance 2015, nos dépenses publiques représentent 112 Milliards de dollars. Nous constaterons qu’ils sont en augmentation de 18 Mds$, soit +15,7% par rapport aux dépenses édictés dans la Loi de Finances 2014. Cette hausse est due à la croissance des dépenses de fonctionnement de +5,5% et de +32,1% pour les dépenses d’investissement.
Comme précédemment évoqué, dans mon ouvrage et dans la presse, la baisse du prix du baril et le besoin de financement de notre développement, nous obligent dès à présent à réexaminer l’ensemble des dépenses publiques, notamment les plus coûteuses (transferts sociaux énergétiques, la masse salariale, la gestion des dépenses et surtout les investissements infructueux).
Nous devons donc, nous interroger sur le bien-fondé et sur l’efficacité de l’intervention publique; puis introduire des réformes structurelles dans le but d’améliorer l’efficacité de la dépense telle que : le gel de recrutement des fonctionnaires, le transfert d’activité non stratégique et non rentable vers le privé, la fusion des agences qui font doublant, sans oublier de changer l’approche budgétaire de l’Etat qui consiste à pousser le gestionnaire public à épuiser la totalité des ressources allouées, sous peine de ne pas les voir reconduites. Cette dernière approche est source de gaspillage des deniers publics.
Pour finir depuis une décennie, nous investissons 20% de notre PIB dans l’économie, pour produire à peine 4% de croissance. La stratégie qui consiste à investir uniquement dans les infrastructures pour produire de la richesse est clairement un échec. Nous devons entièrement là revoir et axer celle-ci autour des secteurs qui nous permettrons de sortir d’une économie rentière telle que : les énergies vertes et les mines, l’agriculture, l’agroalimentaire, la distribution, le tourisme, les industries de la santé, les TIC, le recyclage, les services (transport, banque, assurance, etc.), sans oublier l’enseignement supérieur et la R&D.
4-Améliorer l’étique dans la gestion de l’Etat:
Nul n’ignore que bon nombres d’affaires de corruption ont ébranlés l’Algérie durant ces dernières années. Il est donc vital de retrouver le sens de l’éthique dans la gestion des deniers publics. Le combat contre la corruption dans la fonction publique doit donc être mené de façon plus efficace.
Pour cela de nombreux mécanismes peuvent contribuer à faire baisser la corruption, telles que : sensibiliser les fonctionnaires en les formant à l’intégrité et à la déontologie, scinder certaines tâches administratifs entre deux fonctionnaires différents, améliorer les mécanismes limitant le conflit d’intérêt, augmenter la signature de protocoles d’entraide judicaires (seulement 36 aujourd’hui), durcir les peines afférentes aux trafics d’influence en les doublant quant ils sont commis dans le but d’obtenir des faveurs qui nuiraient aux deniers publics ,créer un système de protection des lanceurs d’alerte lié à des affaires de corruption dans la fonction publique, faciliter la dénonciation de ces actes répréhensibles par les citoyens tout en garantissant leurs anonymat, quand ils sont bien entendu de bonne foi.
Il faut aussi lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent grâce à des mécanismes permettant de mieux identifier, localiser et geler les avoirs et en améliorant les mesures de vigilance relatives à la clientèle, comme expressément demandé la banque d’Algérie et le GAFI. Cela passera indéniablement par l’amélioration du système bancaire et la lutte contre les marchés informels de changes.
Bien évidement, le gouvernement doit aussi adopter des mesures de réduction du train de vie de l’Etat, ainsi que mettre en œuvre une charte de déontologie pour l’ensemble des hauts cadres. En effet, une grande majorité de pays développé ou moins comme le Venezuela, ont émis des propositions de réduction substantielles des salaires et des avantages des ministres et ministres délégués, des président et vice-président des entreprises d’Etat ou des députes. Le président tunisien face à la dégradation des finances publiques a montré l’exemple en baissent son salaire. Face à la crise qui se profile, la bonne gouvernance de l’Etat doit donc devenir un model pour le citoyen.
Pour conclure , les réformes évoquées ci-dessous impliquent aussi de trouver des solutions politiques pour avoir un contrepouvoir efficace permettant de mieux contrôler l’utilisation des ressources et surtout éviter que l’absence de vérification n’encourage une politique clientéliste dangereuse pour le développement de notre pays.
Benadda Yassine