Les Algérois sont sortis par centaines de milliers, hommes et femmes, pour dire non à Bouteflika et au système.
Ce sont plusieurs centaines de milliers de citoyennes et de citoyens qui ont investi, hier, les rues d’Alger pour un troisième vendredi consécutif de manifestations contre le 5e mandat et système. La mobilisation était inédite. Historique. Elle a été plus soutenue, plus organisée, mais aussi plus tranchante que celles des vendredis précédents. Toutes les rues de la capitale étaient pleines de monde. Vieilles, vieux, jeunes et moins jeunes sont sortis pour répliquer d’une manière cinglante à un pouvoir autiste : “Pas de 5e mandat et pour le départ de tout le système.” Dans une ambiance de fête, la mobilisation des citoyennes et des citoyens dans tout le pays a réaffirmé que nul ne pourra stopper la marche de l’histoire. L’organisation était parfaite, aucun incident n’a émaillé la manifestation. Certains commerces sont même restés ouverts. Aucune vitre brisée. À Didouche-Mourad, fleuristes et vendeurs de porcelaine n’ont pas fermé leurs boutiques. Ils étaient, tout simplement, confiants et rassurés. Les citoyens sont venus dénoncer un système politique et ils ont tenu à le faire d’une manière paisible, dans une totale quiétude et sérénité. Mais aussi avec fermeté et détermination. De Partout, Bab El-Oued, Belcourt, Ruisseau, Ben Aknoun, Bab Ezzouar, Bouzaréah, Staouéli, des centaines de citoyens affluaient déjà à partir de 11h30 vers Alger-Centre. Même au moment de la prière hebdomadaire du vendredi. À la Grande-Poste, devenue en l’espace de quelque temps l’épicentre algérois de la lutte contre le pouvoir, des milliers de citoyens reprenaient en chœur des slogans contre le 5e mandat, contre Bouteflika et le pouvoir dans sa globalité. Drapeaux, fanions, pancartes, tee-shirts, déguisements…, tout était bon pour exprimer une opinion, une position et un idéal. “Pouvoir assassin”, jadis circonscrit en Kabylie, retentissait à Alger, au cœur même du pouvoir de Bouteflika. Sous les regards vigilants des éléments des forces de l’ordre qui donnaient plutôt l’impression de vouloir rejoindre la marche du peuple que de s’y opposer. Même leur tentative de bloquer les manifestants devant le Tunnel des Facultés s’est avérée vaine.
Honneur aux femmes
Les femmes n’ont pas bénéficié d’une demi-journée de repos, comme il était de tradition. Elles n’en voulaient pas. Elles avaient toute la journée pour elles. Non pas pour la “fiesta”, mais pour se réapproprier cette symbolique journée de lutte des femmes. Hier, la Journée de la femme n’était pas uniquement un moment de fête, mais une journée de combat et de lutte pacifiques pour une plus grande émancipation et délivrance. Pas seulement celles des femmes, mais celles de tout un pays. Aussi belles que cette journée de mobilisation printanière, elles étaient aux premières lignes de la marche. Elles drivaient la manifestation. Ni code de la famille ni autre regard rétrograde n’étaient opposés à la forte présence des femmes. Engagées et décidées, elles ont repris la place qui est la leur au sein de la société. “Je ne vais pas faire la vaisselle, je fais la révolution”, a écrit une jeune dame sur une pancarte qu’elle exhibait fièrement. “8 Mars de lutte et de combat. Les femmes s’engagent, système dégage”, brandissaient d’autres femmes. Jeunes et vieilles se sont réunies, hier, pour une journée mémorable où elles ont brisé le mur du silence et de la peur. Désormais nul ne pourra les oublier. Elles se sont imposées par leur combat, leur présence et leur courage. Comme leurs aînées de la Révolution, hier, les femmes ont montré un autre visage. Pas celui enlaidi par tant d’années d’exclusion, de marginalisation et de diabolisation. Pas besoin de “quotas” pour participer à la manifestation. Elles étaient là. Sans autorisation, mais aussi sans tuteur ! Par milliers, elles ont mené la marche et les hommes ont suivi dans une communion jamais connue. Ni harcelées ni agacées, elles ont fait preuve de fermeté et de bravoure. Fleurs et roses à la main, elles étaient les stars de la manifestation. Sans artifice et sans a priori, les manifestants ont fait preuve d’un civisme jamais égalé. Respect et politesse ont dominé dans une ambiance de solidarité et de fraternité. Comme une ode à la liberté, hommes et femmes, jeunes garçons et jeunes filles se sont tenu la main pour un avenir meilleur. Un avenir qu’ils veulent radieux et rassurant. Sans Bouteflika.

Organisation sans faille
Le mot d’ordre a été donné sur les réseaux sociaux. Les consignes pour une marche pacifique ont été soigneusement respectées. Comme un seul homme, les dizaines, voire les centaines de milliers de personnes, ont tenu à réaffirmer à la face du pouvoir et du monde entier qu’elles sont capables et prêtes au changement, mais dans le calme et la sérénité. De la rue Hassiba-Benbouali jusqu’à la Grande-Poste, en passant par la rue Didouche-Mourad, la Faculté centrale, aucun dépassement n’a été enregistré. Même les voitures stationnées en bordure de route n’ont même pas été égratignées. Les véhicules de police et les ambulances fendaient sans encombre la foule. Les manifestants ouvraient la voie à tout le monde. Devant les établissements hospitaliers, la foule cessait de chanter et de crier. Aux policiers mobilisés, les manifestants offraient des fleurs, des chocolats et un sourire franc et sincère comme l’était l’envie de ces fonctionnaires de la DGSN de jeter leur bouclier afin de marcher pour la liberté. Pour bien mettre en évidence cette organisation, il faut signaler la présence de personnes qui distribuaient de l’eau, d’autres des bonbons… Des jeunes en gilets de couleurs orange et jaune assuraient l’encadrement. Ce sont des secouristes mobilisés pour l’événement. “Vous êtes foutus, le peuple s’est réveillé”, scandaient des jeunes de Belcourt. De 11h à 17h, les rues d’Alger n’ont pas désemplies. Au Champ-de-manœuvre, une dizaine de nourrissons dans des poussettes tenaient des pancartes où était écrit : “Système ; t’es un danger pour mon avenir.” Le message sera-t-il entendu ? Qui sait !
Hommage à Hassan Ben Khedda
Décédé lors de la marche du 1er mars, Hassan Ben Khedda, fils du premier président du GPRA, a eu droit, hier, à un hommage. Ainsi, des milliers de manifestants ont observé, à 15h, une minute de silence à la mémoire du défunt. Pour rappel, Hassan Ben Khedda est décédé dans une bousculade lors de la dernière marche. Pour les manifestants, le défunt est un martyr de la liberté et de la dignité.