Organisé conjointement par la Fondation Amirat et l’Institut Maghreb-Europe de l’université de Paris VIII, un colloque sur le rôle et la situation de l’immigration algérienne en France, pendant la colonisation, s’est tenu jeudi au Palais de la culture, à Alger. Il s’est distingué par la qualité des intervenants, notamment des historiens, des sociologues et des chercheurs, algériens et étrangers, dont deux chercheurs britanniques, James House et Neil Mac Master. Consacrée aux « luttes politiques de l’immigration algérienne de 1954 à 1962 », la rencontre est revenue sur les engagements de cette immigration dans la lutte de Libération nationale.
« C’est dans cette immigration qu’est née l’idée d’indépendance », a affirmé d’emblée Aïssa Kadri, rappelant entre autres la naissance, dans les années 1920, de l’Etoile nord-africaine, le dépôt, le 11 mars 1937 à Nanterre, des statuts du Parti populaire algérien (PPA), et les discussions qu’avaient eues Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf, à partir de la France, sur « le projet de lutte armée ». Le professeur à l’université d’Orléans et à l’université de Paris VIII a en outre insisté sur « l’apport financier » et « l’encadrement des luttes » de cette immigration, aujourd’hui « fragmentée et atomisée ». Le sociologue n’a pas exclu l’idée qu’elle ait été « phagocytée par le mouvement national », voire « instrumentalisée », en regrettant qu’elle n’ait pas joué « un rôle dans la réflexion sur l’État-nation ». Il a aussi distingué les phases traversées par l’immigration algérienne en France, précisant qu’après la Seconde Guerre mondiale, celle-ci s’est développée et est devenue « majoritairement ouvrière ».
La période suivante marquera, selon lui « un tournant », puisque l’immigration en France sera « essentiellement algérienne » et sera gérée de façon « policière ». « Cela continue encore pour certaines catégories d’Algériens », a-t-il soutenu, avant de conclure : « L’immigration algérienne a fonctionné comme une avant-garde du mouvement national. À l’Indépendance, elle se retrouve à l’arrière ». L’autre intervenante, Laure Pitti, s’est intéressée à « l’internationalisme », avouant qu’une « fracture nette » a été scellée entre ouvriers français et algériens à partir de 1956, après le vote des pouvoirs spéciaux. La sociologue française dira que cette fracture, appuyée par la position du PCF « garant des intérêts français au nom de la paix », aura des répercussions sur l’internationalisme et « les configurations militantes dans les années 1960 ».
On notera que le colloque a donné l’occasion aux deux chercheurs britishs de parler de leur livre commun, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire (édition Tallandier 2008). Surtout d’expliquer « la violence policière du 17 octobre 1961 » et sa « marginalisation politique et sociale » par la France. « On peut parler de massacres », a révélé M. House, en signalant l’existence d’une « dialectique entre la colonie et la métropole ». Même l’absence de chiffres sur la manifestation de Paris confirme, selon lui, la « répression coloniale ». Bien d’autres aspects ont été revisités par les communicants, y compris la « guerre des renseignements » menée en France contre la fédération du FLN. Pour Neil Mac Master, cette guerre avait pour but de « pister les réseaux FLN. Elle aurait été engagée par la DST, à travers « le système classique de filature policière » pour arrêter les hauts cadres de la fédération, ainsi que par la préfecture de police de Paris, à travers « le système de fichiers pour le contrôle total de la population algérienne ». S’appuyant sur les archives consultées, le chercheur a observé que « beaucoup de documents de la Fédération FLN avaient été saisis par les forces de renseignements français ». Ce qui, de son point de vue, est « grave ». Il admettra néanmoins que malgré les « coups très durs et assez fréquents », reçus par la fédération, celle-ci a survécu jusqu’en 1962, ce qui est « un fait d’une grande importance ». « Ce qui est remarquable, c’est qu’elle avait cette capacité de se reconstruire », poursuivra-t-il.
De son côté, Mohamed Harbi, historien et militant nationaliste, a évoqué l’histoire d’une infiltration de la DST dans la Fédération FLN, citant « l’affaire de Abdellah Younsi, dit Mourad ». Sur la base d’un travail reposant sur « des sources FLN », M. Harbi a confié que la taupe, « cadre permanent du FLN », devenu « grand responsable de la fédération », est responsable de l’arrestation de cadres du FLN et d’agents de liaison, de saisie, par la DST, de sommes d’argent et de détournement de l’argent de la fédération. Le concerné aurait lui-même reconnu les faits.