L’intitulé générique du colloque organisé sur le 50e anniversaire de la mort de Mouloud Feraoun assassiné par l’OAS le 15 mars 1962 qualifie l’écrivain d’ « intellectuel-martyr » sans qu’aucune intervention des conférenciers n’y ait fait référence…
Mouloud Feraoun à l’heure de la récupération?
Le colloque international organisé à la Bibliothèque nationale (B.N) du Hamma (Alger), jeudi, vendredi et samedi, du 16 au 18 mars sur « Mouloud Feraoun, l’intellectuel martyr et ses compagnons » à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de l’écrivain assassiné par l’OAS le 15 mars 1962 à Alger a revisité des lieux communs, ressassés depuis les années soixante-dix, comme si les outils des études bibliographiques et de la critique littéraire n’avaient pas évolué depuis. A la richesse et la diversité des conférenciers universitaires algériens ou venus de France, d’Allemagne, de Chine, des Etats-Unis, du Mali, s’opposent les vieilles thématiques retenues : mythe, identité, vie villageoise, Tajmaât, Si Mohand Ou Mhand, relations avec Albert Camus, des lectures idéologiques de l’œuvre romanesque de l’écrivain
A défaut de jeunes chercheurs sur l’œuvre de l’auteur du Fils du pauvre ou sur la bibliographie critique de son œuvre complète, les intervenants, pour la plupart de la génération née dans les années 1930-1940 se sont attachés plus à développer des polémiques qu’à faire évoluer les idées, les concepts, les critiques au contact d’une œuvre aussi riche et diversifiée que celle du fondateur de la littérature maghrébine contemporaine. Il eut été sans doute intéressant d’offrir au public épars dans la salle des conférences, les regards croisés des écrivains de la génération post-80, notamment les écrits de Nabile Farès, de Tahar Djaout sur Mouloud Feraoun afin de mettre l’esthétique feraounienne au contact de la poésie, de la psychanalyse et de l’énonciation. Or, nombre d’interventions de conférenciers qui ne furent sollicités que quelques jours avant la tenue de la rencontre, ont été redondantes et ont versé soit dans l’ethnographie coloniale traditionnelle ou dans les chroniques villageoises plus fantasmées que décrites au crible de l’œuvre romanesque de Feraoun.
Parmi les interventions remarquées, notons celles de Charles Bonn, professeur émérite des universités qui s’est penché sur « Le tragique comme remise en cause de la lecture de feraoun et des écrivains fondateurs réputés ethnographiques » et celle de José Lenzini, essayiste-journaliste auteur de Les derniers jours d’Albert Camus (Ed. Barzakh, 2009) qui s’est penché sur « Mouloud Feraoun-Albert Camus : une amitié difficile » ainsi que celle de Gilbert Greanguillaume, anthropologue et arabisant dont l’intitulé de la conférence « A propos des inspecteurs des centres sociaux » replace Feraoun dans la pédagogie de l’enseignement.
De l’ »intellectuel-martyr », ainsi qu’annoncé dans le générique du colloque, il n’y eut aucune intervention. Il est remarquable de relever, à ce sujet, que c’est la première fois que Feraoun est désigné sous ce qualificatif d’ »intellectuel-martyr » formule pour le moins surprenante tant cette expression est fortement connotée. Le terme de « martyr » qui apparaît dans l’intitulé du colloque réfère-t-il à l’assassinat de l’écrivain ; ce qui lui donne, à posteriori, une charge héroïsant plus l’homme que l’écrivain ou le rattachant à une autre sphère, celle-là, moins avantageuse pour l’écrivain, celle de l’idéologie nationaliste visant à s’opposer aux « détracteurs » sur l’engagement « révolutionnaire » de Feraoun cette image de « martyr », passéiste participant à l’idéologie pernicieuse et vicieuse du pouvoir . Ou encore, ce terme qui n’est pas indemne d’une volonté sournoise de récupérer l’assassinat de l’écrivain et d’en faire, comme Tahar Djaout assassiné aussi absurdement trente ans après, participe-t-il de l’immixtion du pouvoir politique dans le pouvoir poétique ( littéraire). Le colloque a été parrainé par le ministère de la Culture et le fils aîné de Feraoun a, en 2009, offert un burnous à Bouteflika, à la maison de la culture de Tizi-Ouzou, engageant le nom de son père dans une compromission politique.
Notons par ailleurs que ce colloque sur le 50e anniversaire de la mort de Feraoun s’est tenu dans un contexte électoral, celui des législatives du 10 mai prochain, ce qui a sans doute inspiré à ses organisateurs ce terme de campagne électoraliste « martyr ».
Faut-il également relever que, lors des émissions radiophoniques de France-culture émises en direct à partir d’Alger, de l’Hôtel Saint Georges, le nom de Feraoun n’a pas été évoqué.
R. N.