COLLOQUE «LIBÉRER L’HISTOIRE» ORGANISÉ PAR LA TRIBUNE, La France doit reconnaître ses crimes

COLLOQUE «LIBÉRER L’HISTOIRE» ORGANISÉ PAR LA TRIBUNE,  La France doit reconnaître ses crimes

Des sujets aussi divers que le rôle de la femme, les prisonniers français de l’ALN et la nécessité de la reconnaissance par la France des crimes commis sous la colonisation ont été abordés lors du colloque intitulé «Algérie 50 ans après : libérer l’histoire».

Organisé du 1er au 3 juillet  à la Bibliothèque nationale, cet espace de réflexion a réuni de nombreux chercheurs, universitaires, historiens de différents horizons dont le Ghana, la Tunisie, la France, l’Italie, les Etats-Unis et le Maroc. Il a permis d’aborder, à travers des angles différents, un sujet aussi complexe que la guerre d’Indépendance qui est loin d’avoir dévoilé tous ses secrets.



Il a permis de donner des clés de compréhension à un auditoire soucieux d’en connaître davantage sur le passé colonial pour mieux appréhender l’avenir.

L’universitaire Zineb Ali-Benali s’est attelée à exposer le rôle des femmes dans la guerre de Libération nationale à travers la littérature. Elle explique que c’est dans la littérature archiviste que l’on signale une mémoire en attente avant de préciser qu’en Algérie, le rapport à l’histoire se fait sur un mode qui inclut des séquences de violence qui en rappelle une autre.

En ce sens, elle a cité le roman d’Assia Djebbar, «L’amour, la fantasia» qui aborde les violences subies par les femmes pendant la guerre. Mme Ali-Benali n’a pas manqué de parler du déni qui entoure la difficile question du viol. Elle dit vouloir analyser le combat autour du corps de l’Algérienne comme construction d’un devenir qui échappe au cadre de la guerre de Libération. Selon elle, le sujet de la violence sexuelle dont le viol des combattantes du FLN est à défricher.

«Un homme armé est un violeur potentiel», estime-t-elle, en faisant référence à l’ouvrage de Gisèle Halimi sur l’histoire de Djamila Bouhired. Elle juge que «les témoignages existent mais que personne n’en a parlé». Elle dira que les écrits littéraires ne doivent pas se substituer à l’histoire, mais citer des lieux de silence, parler à l’autre.

«Libérer l’histoire, c’est y revenir»

L’universitaire a aussi évoqué la femme harkie, la perdante. Elle indiquera que ces femmes regroupées au sein des Sections administratives spécialisées (SAS) ont été instrumentalisées avant d’être liquidées.  Tout en s’interrogeant sur leur participation active, elle insistera sur la nécessité de parler de l’histoire de ces perdantes, car «libérer l’histoire, c’est y revenir», soutient-elle.

Restant sur le témoignage de Ighilahriz, la présidente de l’association Algérie-Italie, Paola Palladino, a traité pour sa part de la question de la torture à laquelle ont été soumises les femmes. Ce qui l’a marquée dans cet ouvrage,  c’est la manière avec laquelle sont dénoncés les généraux français responsables des malheurs de l’Algérie et «sa façon de parler de et à la France» ;

loin de toute haine, elle ne demande que justice. Le viol était considéré comme une honte pour le peuple, une tache à cacher. Utilisé comme arme de guerre par l’occupant, il a été un moyen de toucher, d’humilier l’homme au plus profond de son être, car il n’a pas su défendre sa famille. Dans sa communication, elle a également exploré différents thèmes comme la situation sociale à la veille de la guerre, les raisons de la lutte, l’engagement des femmes, leurs souffrances physiques et mentales.

Sur un autre volet, elle insistera «sur l’irresponsabilité délibérée de la France à faire face à ses crimes contre l’humanité». «Une attitude qui pèse toujours dans les relations entre les deux pays», estime-t-elle. Mme Ighilahriz est intervenue sur le silence des moudjahidate vis-à-vis du viol. Pour elle, les femmes ne peuvent témoigner par pudeur. En outre, Mme Palladino a insisté sur l’implication de la femme qui, malgré ses diverses formes d’engagement, était en marge des décisions politiques. Elle met en exergue la description stéréotypée, primitive, de la femme algérienne par la France.

«C’est faux, souligne-t-elle, puisqu’elle a mené le combat avec la volonté de quitter le cocon familial pour le risque du maquis». Par ailleurs, elle pense que l’influence française est encore très forte sur l’histoire de la guerre d’Indépendance et qu’il faut des contributions qui émanent d’autres pays «pour sortir de ce face-à-face mortifère».«La reconnaissance par la France de sa responsabilité dans la déstructuration de la société algérienne est essentielle».

L’exemple de Amirouche dans le traitement des prisonniers de guerre

L’universitaire Dalila Aït-El-Djoudi s’est attelée de son côté à défricher «le cas des prisonniers français de l’ALN»,  un objet d’étude encore peu abordé. Selon elle, dès 1955, les soldats français sont détenus par ceux du FLN. Elle dira que ces soldats se connaissaient déjà pour avoir lutté ensemble lors de la Seconde Guerre mondiale.

Les soldats français avaient une piètre image du combattant «indigène». Pour cette universitaire, il n’y a encore pas suffisamment d’études sur ce sujet et peu de sources. Elle s’est appuyée sur le récit d’un otage du colonel Amirouche, publié par Raymond Rouby. Il relate la captivité d’un instituteur qui a duré 80 jours. Il apparaît qu’il n’a subi ni maltraitance ni lavage de cerveau. Amirouche a voulu paraître comme un homme respectable, dans la droite ligne des directives de l’ALN.

Elle a aussi étudié la Plateforme de la Soummam qui a pris l’engagement de respecter la Convention de Genève de 1949, qui insiste sur les traitements humains des prisonniers de guerre, le respect des lois de la guerre. Mais elle indiquera que l’appel du 1er Novembre 1954 ne prend pas en compte l’ennemi. Par ailleurs, elle soulignera que l’ALN ne possédait pas de structures carcérales organisées et qu’elle utilisait des grottes. Par la suite, elle s’est appuyée sur différentes directives du FLN qui sont parfois contradictoires. Quant au sort des harkis, il est notifié que chacun doit «juger de sa valeur».

En 1958, l’ALN indique qu’il faut faire des prisonniers parmi les militaires et les civils afin de servir de propagande en direction de l’opinion internationale ; d’ailleurs, les témoignages de ces captifs seront publiés dans la revue El Moudjahid. En règle générale, l’ALN a voulu se démarquer des atrocités commises par l’armée française et montrer un visage autre que celui que les militaires français lui donnaient. L’historien français Gilles Manceron, auteur de «Marianne et les colonies»,

a mis l’accent, dans sa communication, sur la nécessaire reconnaissance par la France des crimes de la colonisation. Selon lui, la classe politique française doit donner des gages de bonne volonté à travers des gestes significatifs pour en finir avec la guerre des mémoires. Aussi, il a indiqué que pendant la colonisation, la France avait tenu un discours de justification du fait colonial basé sur les bienfaits civilisationnels de sa présence en Algérie. L’indépendance chèrement acquise a été un aveu d’échec pour la France coloniale, de plus, elle a contredit tous les discours diffusés par les bien-pensants.

Il constate qu’une gêne est apparue, un silence a fait place à la multitude de discours qui justifiaient la colonisation. Il explique que le fait colonial a toujours été objet de débat au sein de la société française. A l’inverse de J.Ferry qui justifiait la colonisation au nom de la civilisation, G. Clémenceau,

lui, s’était insurgé contre ce fait car il considérait que cette politique était contraire aux valeurs humaines que véhiculait le pays. Les massacres de masse perpétrés dès le début de la colonisation ont été l’objet de pétitions, mais la France a avalisé le projet colonial dans son intégralité, y compris sa violence. Pour Manceron, «il est nécessaire d’empêcher la résurgence de mouvements nauséabonds qui reconstituent le discours colonial».

Le mythe colonial

De plus, les problèmes relationnels entre l’Algérie et la France imposent que cette dernière revienne sur cette page d’histoire et substitue au silence qui perdure jusqu’alors une clarification de sa prise de distance avec la colonisation et les atrocités qu’elle a engendrées. Il faut, insiste-t-il, libérer l’histoire et remettre en cause les histoires officielles. Mais, cependant, il indiquera que ce travail se heurte à de nombreux obstacles.

Côté français, le mythe colonial perdure, même si la connaissance de nombreux événements tels que le 8 mai 45, le 17 octobre 1961 a progressé à travers la publication de nombreuses sources et l’émergence d’une nouvelle classe d’historiens qui veut défricher d’autres sujets sur la guerre d’Indépendance. Cependant, d’autres événements tels que le 20 août 1955 sont toujours abordés sous l’angle de la victimisation des populations européennes, une analyse en décalage par rapport à la réalité des faits.

Par ailleurs, il fera savoir que les histoires officielles en Algérie doivent faire l’objet d’une remise en question et que le travail entamé par les historiens algériens, la société civile, doit se poursuivre. Certains épisodes sont sujets à débat, tels que le Congrès de la Soummam, le Congrès de Tripoli. «La reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déstructuration de la société algérienne est nécessaire pour faciliter la poursuite d’un travail historique qui doit être mené sur les deux rives de la Méditerranée», conclura-t-il.

S. B