Clôture des 12es rencontres cinématographiques de béjaïa : Une longue nuit d’étoiles…

Clôture des 12es rencontres cinématographiques de béjaïa : Une longue nuit d’étoiles…

C’est Poussière d’empire du réalisateur vietnamien Lam Lê qui finira en beauté cette édition en plus des deux excellents films Jours d’avant de Karim Moussaoui et Loubia Hamra de Nariman Mari.

«Tant que la France ne reconnaît par son passé colonial vietnamien, je continuerai à faire ce genre de sujet. Ce film est un hommage à l’endroit où je me suis formé, à la cinémathèque; mais qui se veut universel aussi, c’est pourquoi je suis venu à la rencontre des Algériens, car si mon film a voyagé partout, je suis très fier qu’il soit montré en Algérie et ce, pour la première fois. Un film qui regarde les ex-colonisés de la France en face, les camarades et frères de combat. D’ailleurs je vous invite au nom de l’Histoire à faire un travail de recherche aussi sur ce qui s’est passé dans votre pays, car si cela a duré 160 ans chez vous, cela a duré un siècle chez nous.

C’est très dur de faire des films d’un tel sujet au cinéma. Celui-là est le second de ma cinématographie mais mon premier long métrage fiction d’une série trilogie. C’est le premier film fait par un Vietnamien qui a connu la guerre, donc par un ex-colonisé et réalisé juste après l’indépendance et autorisé par les autorités alors que d’autres se faisaient refuser systématiquement. Il fallait que je fasse de telles oeuvres par devoir de mémoire sinon la vérité sera transformée par Wikipédia etc ou montré que par les autres.

C’est mon regard de colonisé certes, mais fait par les tripes en se débarrassant du rationnel. Je le dédie à toutes les victimes des guerres qui perdurent au Moyen-Orient et dont les premières victimes sont les femmes et les enfants. Je rejette toutes les colonisations d’ailleurs, quelles qu’elles soient dans le monde, car c’est abject…»

Un homme volubile et passionné, mais nerveux aussi par endroits est Lam Lê, auteur du vaporeux et formidable long métrage Poussière d’empire projeté lors de la soirée de clôture des RCB. Les combats contre la puissance coloniale font rage en Indochine. En 1954, pendant la guerre d’Indochine, un prisonnier vietnamien confie à un enfant un message pour sa jeune femme enceinte. Une religieuse qui le réceptionne est abattue par les résistants. Vieille et fatiguée, la femme envoie alors sa fille retrouver les traces de son père. Passé de main en main, le message parvient à la femme 25 ans plus tard à Paris où elle habite désormais.

Leur fille revient au Vietnam décidée à refaire l’extraordinaire itinéraire de ce papier dispersé au fil des drames et des souffrances de son pays natal. Ceci est le synopsis du film qui ne reflète aucunement l’état psychologique de ces personnages que le réalisateur parvient à sonder avec force dramaturgie, lyrisme et poésie très puissante. Celle-ci traverse en long et en large le film, mieux encore, les dialogues et les visages de certains acteurs, très beaux nous renvoient par moment à notre propre état d’évanescence qui pense le passé et le présent à la fois, chose constatée d’ailleurs dans beaucoup de films au programme des 12es rencontres cinématographiques de Béjaïa cette année.

Dans la première scène qui ouvre le film, on voit cette religieuse qui débarque avec un militaire xénophobe, sergent de son état ou un truc dans le genre dans un Vietnam mortifié. «Il n’y aura pas de prochaine fois, il faut savoir lire les signes» dira cette soeur en quête de clé du bonheur intérieur sans doute. Phrase intrigante qui peut rejoindre l’état d’esprit combatif de toutes ces sociétés ex-colonisées et qui ne veulent pas se voir répéter les massacres et les expropriations. L’étoile filante qui clôt le film serait donc peut-être un signe. Celle-ci passe au-dessus de cette chose sculpturale, symbole d’une femme croit-on selon la légende transformée en pierre en raison de son interminable chagrin…

«Pierre de l’attente, fidélité et transformation» est cette phrase sur laquelle se base l’ossature de ce film engagé. L’attente ici n’est pas symbole de souffrance, endémique pourtant, mais bien salvateur, un signe de rébellion et de détermination à retrouver qui, son chemin perdu, qui son pays décolonisé et peut-être un amour déchu… Regarder Poussière d’empire c’est recevoir plein d’étoiles dans les yeux. Un film remarquable. Très belle proposition cinématographique dont le décor a été conçu par le réalisateur Lam Lê en personne. Ce dernier saura dépoussiérer le passé avec finesse et grâce pour le rendre des plus palpables émotionnellement.

La lenteur parfois de certains plans, le silence et la mélancolie qui en découlent témoignent de la profondeur des séquelles qui sont parfois, sinon souvent irréversibles, malgré le changement. On ne sort pas non plus indemne d’une guerre affectée dans sa chair. Subir oui, tout en étant fidèle à son idéal, est peut-être la clé de la rédemption.. Voix salutaire que propose notre cinéaste téméraire qui s’est bien distingué lors de ces rencontres. Un événement cinématographique fait à l’arraché mais arrivé enfin au bout de ses peines et en liesse SVP. En effet, c’est le groupe Garage Band avec la sublime Aïda à la voix enchanteresse qui clôturera en beauté cette 12e édition des RCB.