Une clinique de médecine n’est pas une entreprise de production
L’incapacité des structures sanitaires à faire face à la demande des citoyens et le désir d’améliorer la qualité du service sanitaire ont poussé le ministère de la Santé à encourager l’apparition des cliniques privées. Les citoyens étaient en droit d’attendre un meilleur service d’autant plus que celui de ces cliniques est payant. Malheureusement, cela n’est pas toujours le cas.
Nous ne jugeons pas ici des capacités professionnelles des médecins mais plutôt le rôle et certains comportements de ces cliniques privées. Il ne fait pas de doute que ces dernières ne sont pas des organisations philanthropiques ou des associations de charité, et qu’elles ne sont apparues que pour réaliser du profit. Ce qui n’a rien d’anormal et qui, au contraire, est tout à fait logique de tous les points de vue.
Cependant, une clinique privée, et combien même elle constitue une entreprise de profit, doit se comporter non pas comme une entreprise industrielle mais plutôt comme une organisation relevant du secteur de la santé, un secteur où la responsabilité morale et l’éthique doivent indiscutablement fournir le paradigme de gestion et délimiter le cadre de travail adéquat. Dans une clinique privée, comme dans un hôpital ou tout autre établissement sanitaire public, on ne produit pas des boîtes de conserves ou des briques de construction. On n’a pas affaire à un produit «froid» dont la seule chose qui intéresse est sa capacité à assurer des recettes et à ramener des bénéfices. On a affaire à des êtres humains. Si, dans une entreprise de production de verres ou de chaussures, on peut se permettre de rater quelques produits sur le plan de la qualité ou sur le plan des normes ou les deux, dans une clinique de médecine, ce type d’erreur est à bannir. On ne peut pas et l’on ne doit pas le tolérer.
Lorsqu’on sait que les entreprises industrielles actuelles déploient tous leurs efforts pour assurer une certaine qualité à leurs produits et services, il devient alors plus impératif pour les cliniques privées de s’occuper davantage de ce qu’elles offrent comme services aux malades.
L’assurance qualité
Pour qu’une entreprise améliore ses produits et services, il existe, à vrai dire deux possibilités. La première est celle qui consiste à assurer une certaine qualité à l’output c’est-à-dire au produit ou service lui-même. Ainsi, dans une entreprise qui fabrique les pneus ou le chocolat, on s’assurerait en fin de chaîne à ce que les produits fabriqués soient conformes aux normes fixées. On y met le cachet «Contrôle Qualité» pour dire qu’ils ont été contrôlés et les produits qui ne sont pas conformes ne seront pas retenus pour la commercialisation. La tâche de vérification de la qualité est, dans ce cas, attribuée à une ou plusieurs personnes et elle relève généralement d’un service nommé «service de la qualité» ou «contrôle de qualité».
Cette pratique a longtemps sévi dans les entreprises. Toutefois, elle présente une certaine lourdeur, surtout dans les entreprises qui produisent de grandes quantités ou qui ont une production de masse et où il n’est point possible de vérifier les produits un à un. C’est ce qui a poussé les ingénieurs et les statisticiens à mettre en place certaines méthodes moins onéreuses et plus pratiques de vérification des produits. Ce sont les méthodes statistiques de contrôle. Nous épargnons au lecteur les formules et les descriptions spécialisées pour dire simplement qu’il s’agit de méthodes de calcul qui permettent de déterminer un seuil acceptable de nombre de cas (ou de produits) non conformes et à partir duquel le lot de produit sera ou non déclaré conforme.
Une clinique de médecine n’est pas une entreprise de production. Ces méthodes ne lui conviennent pas et, pour assurer un service de qualité, la clinique se doit de se doter de médecins aptes à produire le service de qualité exigé. On voit mal en effet une clinique dire qu’elle admet 10% de ratage ou 5% d’échec dans les interventions chirurgicales.
La deuxième possibilité pour assurer la qualité ne se situe pas comme la précédente au niveau de l’output mais au niveau du processus et de toute l’organisation. Autrement dit, on ne cherche pas à garantir un produit ou un service de qualité mais on s’assure plutôt que c’est le processus de production qui soit de qualité, avec son organisation, sa technologie, son management etc. La différence est de taille.
Pour une clinique ou un hôpital, il ne s’agit plus d’engager seulement des médecins ou chirurgiens de qualité dont l’acte assure la qualité mais de s’assurer que tout le processus depuis la prise en charge du patient jusqu’à sa sortie se déroule conformément à des normes écrites, bien déterminées. Ceci sous-entend l’implication de tous les niveaux de l’organisation dans la question de la qualité et permet non seulement la reproduction des actes sans erreur mais aussi leur amélioration. C’est la qualité totale comme on l’appelle. De nos jours, c’est ce qui constitue la préoccupation majeure des établissements sanitaires à travers le monde. Dans le monde de compétition où nous vivons, la qualité est l’un des piliers fondamentaux de la compétitivité des organisations, qu’elles soient de production ou de service. Il n’existe plus d’entreprise qui néglige la qualité de ses produits ou services alors que dans les pays avancés il n’existe plus d’entreprise qui néglige la qualité de son processus. La TQM (en français MQT ou Management de la qualité totale) est le cheval de bataille des entreprises et organisations modernes.
Et chez nous???
Parmi les cliniques privées qui ont ouvert pour pallier l’insuffisance des structures et de la qualité du secteur public, certaines arrivent à être à la hauteur de leur mission et à tirer donc leur épingle du jeu. Nous avons en Algérie, il faut le dire, des cliniques privées qui sont de carrure internationale et dont certaines ont même décroché la certification ISO, ce qui leur atteste d’une qualité certaine du produit et du processus.
Il en existe même qui, sans encore avoir décroché de certification, sont très sérieusement gérées et offrent un service de qualité. Ces cliniques là doivent être félicitées. Malheureusement, d’autres cliniques ne semblent pas très conscientes de l’impact de l’environnement dans lequel elles évoluent. On y retrouve les réflexes des hôpitaux publics des années 1980 et elles ne semblent intéressées que par le prix à faire payer au patient. C’est de ces cliniques que nous parlons ici. Celles qui semblent plus intéressées par le commerce que par ce qu’il advient du malade. Parmi celles-ci, il s’en trouve une, à l’est du pays, dont nous avons trouvé la gestion particulièrement choquante.
Pour des besoins précis, nous nous sommes rendus à cette clinique demander un protocole opératoire. Pour les lecteurs, nous rappelons que toute intervention chirurgicale se fait selon un protocole donné, lequel protocole doit impérativement être mentionné par le chirurgien qui a accompli l’acte. Ce protocole peut être vital parfois. L’intervention en question ayant eu lieu en 1998, la personne à laquelle nous avions affaire tenta de nous convaincre que, pour une période aussi ancienne, il est difficile de retrouver les traces du protocole mais, devant notre insistance, elle finit par prendre les informations du malade et nous demanda de revenir quelques jours plus tard.
A noter qu’à l’hôpital public de pédiatrie d’El Mansourah de Constantine, nous avons pu obtenir un protocole opératoire bien plus ancien (1996) en une journée et en le demandant tout simplement.
Lorsque nous revînmes à la clinique, nous eûmes la désagréable surprise de nous voir dire que le médecin avait omis de noter le protocole opératoire. Tout simplement! Comme si un marchand de légumes avait oublié de ramener des truffes pour ses clients, ou comme si le boulanger du coin avait oublié de faire des brioches!
Pour nous prouver sa bonne foi, l’infirmière nous tendit même le registre où, sous le nom du malade, il était écrit simplement «hernie étranglée» sans aucune autre indication quant à la manière dont l’intervention avait été faite.
Nous demandâmes une copie de la page pour l’apporter au médecin afin qu’il y écrive son protocole mais aussi bien le médecin que le patron de la clinique refusèrent avant de s’enfuir l’un dans les services et l’autre en quittant la clinique après nous avoir dit qu’il est impossible de donner ce papier vierge et que, en tout cas le médecin n’est plus dans cette clinique pour faire quoi que ce soit. Restés seuls face à l’infirmière qui, en signe d’impuissance, haussa les épaules, nous n’avions plus qu’une seule solution: partir. Est-ce ainsi que fonctionne une clinique privée? Est-ce ainsi qu’elle doit fonctionner? Lorsqu’un malade, pour des raisons qui le regardent, demande son protocole opératoire, n’est-ce pas son droit que de l’avoir? Que faire?
Où est le rôle du ministère de la Santé?
Il arrive parfois à ce qu’un citoyen se trouve face à un problème qu’il ne peut résoudre. Un pays avancé donne, dans ce cas, la possibilité à ses citoyens de trouver solution à leur problème en leur permettant de prendre contact avec les parties responsables. Chez nous, malheureusement, lorsque c’est bloqué, c’est bloqué et il n’y a pas comment contacter les responsables. A vous de voir comment affronter la situation. C’est, en tout cas, ce qui nous a toujours été donné de constater. A la sortie de la clinique, nous avons décidé de contacter le ministère de la Santé. Mais en ouvrant le site de ce dernier, nous constatâmes qu’il est impossible de prendre contact à part par fax ou téléphone, chose tout à fait absurde!
La question qui se posa à nous est: à quoi sert donc un site du ministère de la Santé si les citoyens n’ont pas la possibilité de le joindre comme dans un pareil cas? Normalement, il devrait être possible de contacter tous les services par mail y compris le ministre lui-même sachant que, parfois, certaines requêtes peuvent lui être cachées. Le numéro de téléphone est devenu, de nos jours, pratiquement inutile car lorsqu’on veut bien décrocher à l’autre bout, on a toujours du mal à nous trouver la personne demandée. Une adresse mail aurait été suffisante pour effectuer une réclamation ou demander une information et cela se fait aussi rapidement et plus efficacement que par le téléphone. En tout cas, si le ministère de la Santé avait une adresse mail, nous aurions posé notre question: «Comment faire pour avoir ce protocole opératoire dont nous avons grand besoin?»
Nous aurions profité pour poser d’autres questions aux responsables du ministère afin que les citoyens soient au courant. Parmi ces interrogations, on aurait demandé quel rapport est-ce que le ministère de la Santé entretient-il avec ces structures privées? Est-ce que son rôle se limite à leur donner l’agrément pour l’ouverture? Ou bien est-ce qu’il est responsable de la qualité de leur fonctionnement? Si tel est le cas, a-t-il eu à effectuer par le biais de ses services compétents des inspections dans ces cliniques, ou bien ne s’en occupe-t-il plus après la délivrance des agréments? Existe-t-il un cahier des charges pour ces structures et dont le contenu est soumis à contrôle par le ministère? Intervient-il pour l’encouragement et l’accompagnement de ces structures pour leur certification? etc….
Nous aurions fait remarquer aux responsables du ministère qu’un rapide sondage auprès des citoyens ayant fréquenté ce type de structures suffirait au ministère de la Santé pour se faire une idée précise et qu’une inspection à l’improviste dévoilerait beaucoup de surprises. Puis, avant de terminer, nous aurions demandé si, en Algérie de 2013, il est encore possible qu’existent des cliniques privées qui n’inscrivent pas le protocole opératoire des interventions chirurgicales sur un registre car, pour l’anecdote, beaucoup de feuilles du registre que l’infirmière nous a montré, étaient vierges. Nous n’avons pas tout feuilleté, mais il se peut qu’elles le soient… toutes! A vrai dire, au niveau de cette clinique que nous avons eu à visiter, se pose la question de la responsabilité vis-à-vis du patient car, en ne portant pas les protocoles opératoires sur les registres, non seulement elle n’aide pas à la préservation de la santé mais elle peut faire courir des risques à ses malades, ce qui, sur le plan éthique ne peut être accepté.