Climat de France, Oued Koriche, Alger : « Je vous jure que nos enfants dorment à tour de rôle »

Climat de France, Oued Koriche, Alger : « Je vous jure que nos enfants dorment à tour de rôle »

« Ils ont tiré à l’intérieur des maisons. J’ai reçu une balle en caoutchouc à l’avant bras. » Sadia, la quarantaine, chétive, exhibe son avant-bras presque rachitique et encore couvert d’un gros hématome.

Dans ses mains, elle tient quelques douilles qu’elle garde comme autant de preuves de l’assaut donné la veille par la police. Une journée après les émeutes qui ont secoué la cité Climat de France, à Oued Koriche, dans le quartier de Bab El Oued, la fièvre est quelque peu remontée. Mais la colère est intacte.

Si les affrontements intenses de la veille ont fait place à un calme précaire, si la police est encore présente en nombre autour des bâtiments ladres de la cité, la colère et le ressentiment des habitants sont intacts

Surplombant une petite colline, la cité Climat de France, construite en 1958 du temps de l’occupation française, ressemble à une favela brésilienne après le passage d’un ouragan.

Routes barricadées, carcasses de pneus brûlés, murs détruits, tôles froissées, portes défoncées sous la charge policière, gravats jonchant les rues. Climat de France est une cité lépreuse, elle est devenue depuis ce mercredi 23 mars un camp retranché.

Après une nuit plutôt calme,les bulldozers de la commune ont de nouveau investi la cité afin de dégager les voies obstruées et nettoyer les lieux. Les forces anti-émeute sont revenues en renfort. Des jets de pierre sporadiques sont lancés contre les policiers qui ne manquaient pas de rendre la monnaie en jetant des cailloux

Si on est loin de la violente émeute de la veille, les habitants sont toujours remontés comme des ressorts.

« On réclame des logements, ils nous envoient des balles jusque dans les balcons dans nos maisons », dit Sadia en exhibant encore ces douilles de balles en caoutchouc dont les policiers ont fait grand usage au cours de l’assaut qu’ils ont donné.

Chômeurs pour la part ou cumulant des petits boulots, les jeunes assimilent l’intervention des policiers à une descente punitive, une agression qui ne sont pas prêts de pardonner. « On ne va rien lâcher. Puisqu’ils nous ont déclaré la guerre, ils l’auront », promettent-ils.

Cette guerre, elle a commencé mercredi matin. Des engins de la mairie débarquent dans la cité pour procéder à la démolition de quelques dizaines de baraques érigées de bric et de broc pour servir d’habitations. Certaines sont achevées, d’autres sont en construction.

Ces logements, la mairie les considère illicites. Alors, elle a fait appel à la force publique pour sécuriser l’opération de destruction. Et la force publique est venue en renfort.

Quelque 400 policiers, voire plus, ont investi les lieux avec un camion anti-émeute pour ouvrir la voie.bulldozer s’est mis au travail, abattant de quelques coups de bélier, ces logis en parpaings et en tôles ondulées. Très vite, le ton monte.

D’abord entre les habitants et quelques policiers munis de matraques. Ensuite, commence l’émeute. Elle dure quelques heures

Jets de pierres et de cocktails Molotov d’un côté, bombes lacrymogènes et balles à blanc de l’autre. Courses poursuites, affrontements, arrestations. Le face-à-face tourne à la guérilla

Ce jeudi, sur les murs des bâtiments des impacts de balles à blanc sont encore visibles, vestiges de cette guérilla qui s’est jouée à un jet de pierre du ministère de la Défense

Les policiers ont saccagé tout sur leur passage, explique Abdelkader. « Deux de mes motos sont réduites en amas de ferraille », dit-il. Lui, comme Sadia, a reçu un projectile. Dans le thorax. « On n’imaginait pas que la police allait intervenir de la sorte. On dirait qu’en face nous avions à faire à des soldats mercenaires venus casser des vandales. », poursuit-il

Ici comme ailleurs dans cette capitale où vivent plus de 4 millions d’âmes, tout le monde se plaint de ne pas bénéficier de logements sociaux. Ici comme ailleurs, les gens vous disent qu’ils vivent comme des rats qui se partagent un minuscule trou

« Nous vivons à 10 dans un F3, raconte Hakim, trentenaire, chômeur habitant du Bâtiment 21. Moi, je peu m’estimer heureux par rapport aux autres. Je connais des gens qui s’entassent par dizaines dans des deux pièces. Les jeunes mariés n’ont plus de vie intime. La promiscuité nous étouffe. Ici, depuis 1957, personne n’a bénéficié d’un logement social.

Quand la conversation se déroule il survient en ligne de mire le maire de la commune, objet de toutes les rancœurs. « Cet élu a donné son feu vert à certains pour ériger des habitations de fortune, poursuit Hakim. Du jour au lendemain, on nous envoie des bulldozers, accompagnés de flics armés jusqu’aux dents, pour tout raser. Des gens ont perdu des millions de dinars. C’est la loi de la jungle. C’est injuste.

Hakim a déposé un dossier auprès de l’Ansej, l’organisme étatique censé accompagner les jeunes pour la création de petites entreprises, mais son dossier s’est perdu dans les méandres d’une administration aussi tentaculaire qu’inopérante

« J’attends une réponse depuis des années. Et je désespère. Je ne peux plus continuer cette vie », confie-t-il

Dans un accès de colère, Hakim explose et s’en prend au président Bouteflika. « Cela fait douze ans qu’il nous berce et berne avec des promesses mensongères. Et pourtant, notre pays engrange des milliards de dollars », dit-il en poussant un long soupir. Avant de lâcher : « On n’a pas encore accédé à l’indépendance en Algérie. Si la France y était restée dans notre pays, on serait certainement mieux…

Des propos qui en disent long sur le sentiment d’injustice et d’exclusion qui suintent dans cette cité datant de l’époque coloniale et où vivent, survivent et s’entassent des milliers de personnes

Symbole de cette administration défaillante, soviétique dans son mode de fonctionnement, le cas de Mohamed. A 52 ans, ce père de famille affirme avoir déposé un dossier pour bénéficier d’un logement social depuis…1985. A l’époque où Chadli Bendjedid était encore président. A l’époque où le slogan officiel était « Min Adjel Hayat Afdhel (Pour une vie meilleure) »

Alors en attendant un hypothétique appartement, ils sont 18, Mohamed, ses enfants et ceux de ses proches, à s’entasser dans un F2. « Je vous jure que nos enfants dorment à tour de rôle. Certains passent la nuit dans la cage d’escalier », raconte-t-il les yeux embués

Depuis quelques mois, Mohamed a donc décidé d’ériger une habitation précaire pour fuir la promiscuité du F2, sa cage à poules.

Il raconte : « Le maire de la commune et la wali délégué de Bab El Oued nous ont autorisé à construire ces habitations. Même la police qui passait par là ne disait rien. Et maintenant que nous avons construit ce taudis avec de l’argent emprunté, ils viennent tout démolir. C’est de la hogra ! »

En tentant d’intervenir ce mercredi pour empêcher la destruction de sa « maison », Mohamed a reçu un coup de matraque sur la tête. « La police est normalement au service du citoyen. Pourquoi ils nous ont attaqué de la sorte ? Nous ne demandons que nos droits les plus élémentaires », s’indigne-t-il.

Salim, la vingtaine, veut lui aussi montrer son appartement où cohabitent 2 familles, presque une dizaine de personnes dans un trois pièces. Si les lieux sont propres, l’exiguïté en revanche est insoutenable. « Ma mère a déposé dans les années 1980 un dossier pour bénéficier d’un appartement, dit-il. Depuis, on attend. C’est révoltant d’attendre dix, vingt ans un logement qui ne vient jamais…»

Salim et ses frères ne travaillent pas, ils survivent grâce à leur mère, couturière. « Malgré les demandes que j’ai déposé ici et là, je ne trouve pas de boulot. Ça me fait mal de voir ma mère trimer comme une forcenée pour nourrir ses enfants », admet-il.

Ce jeudi après-midi, le calme est encore précaire à Climat de France. Mais la colère couve. Elle couve encore