La compagnie française Total, en empruntant la voie contentieuse dans ses relations avec Sonatrach, a levé un pan de voile sur la gestion opaque du secteur des hydrocarbures. Après dix années de silence, elle semble contester aujourd’hui la mise en œuvre de la taxe sur les profits exceptionnels, espérant obtenir 500 millions d’euros. Le groupe pétrolier international a-t-il des chances de remporter ce bras de fer ? Dans ce dossier, les points de vue des spécialistes sont divergents. Le premier fait valoir le droit souverain de l’Algérie à partager les superprofits tirés de l’exploitation de son pétrole en partenariat, les prix du pétrole sont passés à cette époque de 20 dolllars à 140 dollars. Le principe fiscal qui sous-tend cet argumentaire est celui du Wind Fall “don du ciel” appliqué aux États-Unis dans les années 80, c’est-à-dire le droit du pays au partage sur ses ressources naturelles, dans une situation où les prix du produit connaissent des augmentations de prix importantes et imprévues. Dans le second, on considère que la TPE ne devrait pas s’appliquer à des contrats conclus avant la promulgation de la disposition en 2006 (effet rétroactif).
Mais en fait, ce qu’a contesté Anadarko, ce n’est pas le principe de la TPE en lui-même mais son application. Et la partie algérienne est en cause. La mise en œuvre du décret d’application de la TPE promulguée en 2006 mal conçue allait permettre à la compagnie américaine Anadarko d’obtenir gain de cause. Sonatrach a dû consentir, conséquence de cette grave erreur juridique, 4,4 milliards de dollars de compensations. Cet accord à l’amiable de 2012 a ouvert la voie à la procédure contentieuse engagée par Total en mai 2016.
Mais avec Total, le dossier semble différent. La compagnie française veut pousser Sonatrach à la négociation. En effet, une clause du contrat sur le gisement de TFT prévoit qu’en cas de changement de partage des profits qui remettrait en cause l’équilibre économique du contrat, l’une des parties peut demander l’ouverture de négociations.
Dépitée par son retrait du gisement de gaz de l’Ahnet, elle a engagé une procédure dans un contexte marqué par des relations algéro-françaises pas très chaudes, conséquence de l’épisode Twitter lors de la visite du Premier ministre français Manuel Valls à Alger. Ce qui laisse penser que cet acte pourrait avoir des relents politiques : gêner le pays fragilisé par la crise financière. L’arbitrage engagé par la compagnie française risque d’entraîner une crispation dans les rapports économiques entre les deux pays, alors que les 500 millions d’euros réclamés représentent qu’une goutte d’eau dans ce que pourrait rapporter aux deux pays et par ricochet aux compagnies française et algérienne une relation énergétique stratégique. En particulier, on peut entrevoir qu’en contrepartie de prises de participation dans des actifs pétroliers en Algérie, Paris devrait accorder à Sonatrach la possiblité d’accéder aux marchés français du gaz et de l’électricité en partenariat avec des compagnies de l’Hexagone. Encore faut-il qu’Alger ait de plus grandes ambitions dans ses partenariats stratégiques avec la France, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne.
Mais au-delà de ce conflit commercial, ce nouvel arbitrage international nous enseigne que le développement du partenariat avec les compagnies pétrolières internationales exige un renforcement des compétences juridiques nationales, une plus grande réactivité des autorités du secteur, de Sonatrach et des agences de régulation par rapport aux attentes des partenaires, si on veut une augmentation rapide de la production et des réserves d’hydrocarbures. En un mot, tout cela requiert une autre gouvernance du secteur de l’énergie.