Les Algériens subissent toutes sortes «d’options» imposées par les différentes alternances claniques
Le constat est critique mais constructif. L’Algérie a, certes, connu des périodes plus dures par le passé, mais les moments qui viennent risquent de nous laisser en marge du siècle.
Jour pour jour, le 5 juillet 1962, l’Algérie a recouvré son indépendance. Qu’en est-il de l’Algérie de Larbi Ben M’hidi et Abane Ramdane, 50 ans après? Les objectifs du Congrès de la Soummam, acte fondateur de l’Etat algérien moderne, sont-ils atteints?
Le retour et le respect de la légitimité populaire et la volonté de construction d’un Etat et des institutions démocratiques à tous les niveaux qui furent le fondement même de la plate-forme de la Soummam sont-ils respectés? Ce sont autant de questions que nous avons évoquées avec des historiens, des défenseurs des droits de l’homme, des politiciens et des économistes.
Le constat est critique, mais constructif. L’Algérie a, certes, connu des périodes plus dures par le passé, mais les moments qui viennent risquent de nous laisser en marge du siècle. Pour Mohammed Méchati, l’un des membres du groupe historique des 22, a souligné, dans une déclaration à L’Expression, que l’Algérie d’aujourd’hui ne reflète pas les aspirations de ceux qui, les armes à la main, ont décidé un certain 1er Novembre de chasser la 5e puissance militaire au monde (la France) de leur pays. «La Révolution constitue en réalité l’héritage commun du peuple algérien, mais il a été confisqué par certaines personnes et servi à d’autres comme un fonds de commerce», a-t-il soutenu, avant de poursuivre, la mort dans l’âme, «l’héritage de notre Révolution a été récupéré par des politiciens aux ambitions démesurées, qui ont été sourds et aveugles aux revendications du peuple. Ils sont coupables des échecs enregistrés depuis l’Indépendance à ce jour». Selon lui, l’exemple de Ahmed Ben Bella, qui s’est retrouvé premier président de l’Algérie indépendante, renseigne amplement sur les déviations idéologiques commises à la veille de la libération de l’Algérie. Nourdine Benissad, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh), a fait savoir que «le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe qui figure en tête de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ce principe a été conçu à l’origine pour permettre aux peuples de se constituer en nation, d’acquérir leur indépendance et de choisir leur régime politique ainsi que leurs gouvernants». Ce principe, explique-t-il, a été utilisé par les Algériens comme instrument juridique sur le plan international et diplomatique pour revendiquer l’indépendance de leur pays alors sous domination coloniale. Cependant, regrette-t-il, «le droit du peuple à disposer de lui-même s’est transformé en droit de l’Etat à disposer de son peuple, puisque ce dernier a été écarté des centres de décision institutionnels car les choix» politiques, économiques et culturels lui sont imposés au nom de la légitimité historique». Pour lui, les rêves des Algériens d’accéder après l’indépendance à la citoyenneté confisquée par le système colonial, le pouvoir autoritaire a pris place et, à certains égards, certains responsables au lieu de se comporter en hommes d’Etat, ont agi comme des «colons de l’intérieur». Ainsi, le président de la Laddh a noté que depuis 50 ans les Algériens subissent toutes sortes «d’options» imposées par les différentes alternances claniques avec comme lame de fond, l’autoritarisme. Et de poursuivre, aujourd’hui le respect et la promotion des libertés collectives et individuelles telles que la liberté d’expression, de la presse, d’opinion, d’association, de réunion, de manifestation, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, la liberté de culte, les libertés syndicales, la liberté d’entreprendre, les droits des catégories les plus vulnérables ont été battus en brèche. «L’autoritarisme a créé le vide, a procédé à la dépolitisation de la société en voulant tout contrôler, l’action politique, la société civile, la presse, les mosquées et la vie politique s’est réduite à l’accès et au maintien au pouvoir par tous les moyens, la force ou la fraude électorale.» C’est d’ailleurs, dit-il, le propre de tous les pouvoirs post-indépendants qui ont échoué dans la construction de sociétés post-indépendantes démocratiques.
Dans le même sillage, Djoudi Mammeri, consultant économique, a, pour sa part, indiqué que le peuple est maintenu politiquement sous domination par des gouvernants formels et informels.
«Les gouvernements algériens sont passés ainsi maîtres dans l’art et les techniques de la manipulation, de l’intimidation, de l’infantilisation et surtout de la répression contre le peuple, qui ne sait plus à quel saint se vouer», a-t-il indiqué, avant de noter qu’au plan économique, la dépendance à la rente pétrolière pour financer l’importation des produits alimentaires et des médicaments a atteint un seuil alarmant et dramatique. «Les disparités sociales et les écarts de revenus sont scandaleux et révoltants», a-t-il encore appuyé. Alors qu’au plan culturel, révèle-t-il, les productions et créations sont très réduites et inconsistantes.
«L’Etat ne se montre généreux que pour financer des oeuvres et les manifestations qui célèbrent la grandeur et la gloire du prince», a fulminé M.Mammeri. Et en conclusion, peste-t-il, le fossé qui sépare l’ Algérie des citadelles et des bunkers de celle des chaumières et des cités populaires ne cesse de s’élargir et de se creuser. «Face à une situation d’ impasse explosive, il ne suffirait que d’une étincelle pour provoquer un incendie ravageur. Une baisse des prix du baril peut accélérer le processus du déclenchement du feu», a-t-il fait savoir, tout en précisant qu’aujourd’hui les défis à relever si on veut sortir le pays du mal-développement pour le mettre sur la voie du développement durable et auto- entretenu sont ceux qui touchent l’enseignement, la formation et la recherche