Chute du prix du baril : Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement ?

Chute du prix du baril : Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement ?

Tous les experts s’accordent à dire que l’impact de la dégringolade continue des cours du baril de pétrole risque de compromettre l’ambitieuse planification économique de l’Algérie.

Notre pays a été pris au dépourvu, lui qui ne présageait pas un tel scénario défavorable, imposé par la chute des prix de l’or noir sur le marché international. Cet imprévu, qui vient chambouler le programme gouvernemental, sonne le glas de la politique économique prônée par l’Exécutif.



Les spécialistes sont unanimement convaincus que puiser dans les réserves de changes et utiliser les recettes du Fonds de régulation des recettes (FRR) devient un acte inéluctable pour faire face aux dépenses projetées par l’État. Ce geste est immanquable, d’autant plus que les dépenses budgétaires, tel que le souligne l’économiste Abdelhak Lamiri, vont connaître une augmentation de 48% pour l’équipement et 15% pour les dépenses courantes.

Ainsi, constate l’expert, les financements seront fatalement réduits à cause de la baisse des prix du pétrole. Le budget connaîtra un déficit qui se situera entre 10 et 15%. “D’où la nécessité de réduire les dépenses dans les infrastructures et d’investir dans les secteurs qui peuvent s’avérer bénéfiques, voire rentables, pour le pays”, suggère-t-il. Il citera, à ce propos, l’industrie, l’agriculture, le tourisme, l’économie moderne, comme secteurs porteurs à même d’assurer des recettes supplémentaires pour le pays en dehors de celles engrangées à partir de l’exportation des hydrocarbures.

Abdelhak Lamiri est persuadé qu’il est impératif de bâtir une économie diversifiée en dehors des hydrocarbures qui va se substituer au tout pétrole. Cette mesure peut constituer le principal fondement d’un nouveau plan, celui “de la dernière chance”.

Lamiri : “Le recours aux réserves de changes et au Fonds de régulation des recettes serait inéluctable”

La chance est donc devant l’Algérie si elle envisage réellement de devenir un véritable pays émergent. Pour Lamiri, cela passe par le financement des facteurs-clés de succès. Il s’agit, précise-t-il, de financer la qualification de toutes les ressources humaines, la modernisation managériale aux normes internationales, l’économie productive diversifiée… L’utilisation des recettes du FRR et du matelas en devises va, à coup sûr, indique Abdelhak Lamiri, réduire les capacités financières futures de l’Algérie.

L’autre économiste, Abdelmalek Serraï, lance, de son côté, le même signal d’alerte. Pour lui, le seuil critique des cours se situe en dessous des 70 dollars le baril. “Si ce niveau est atteint, l’Algérie sera dans l’obligation de revoir toute sa stratégique à moyen terme”, avertit-il. M. Serraï pense, lui aussi, que dans pareille situation, le recours au FRR et aux réserves de changes sera inévitable.

“Outre la révision des priorités du gouvernement, tous les projets infrastructuraux envisagés par l’Exécutif devront être revus”, avoue cet analyste, tout en précisant : “On n’en est pas encore là.” Car, argue-t-il, les dépôts avoisinent les 200 milliards de dollars et que les liquidités au sein des banques demeurent considérables. L’épineux problème réside, selon lui, dans le fait que le gouvernement accorde beaucoup d’intérêt au volet social.

Augmentations des salaires, primes, abrogation de l’article 87 bis et autres transferts sociaux positifs… sont les dépenses dont a fait usage l’État pour acheter la paix sociale. “Une analyse sur l’intégralité des prestations de services par rapport aux salaires distribués fait ressortir un résultat négatif de 0,2%”, souligne M. Serraï. Ce qui fait dire à cet économiste que l’“Algérien n’est pas rentable dans son poste, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie, du tourisme et des services”.

Le taux d’absentéisme au travail, relève-t-il, dépasse le niveau acceptable. “Je prône une attitude économique fondée sur la rentabilité financière tout en respectant les conditions sociales des citoyens”, affirme-t-il. Néanmoins, nuance-t-il, il est grand temps que le gouvernement réduise les déséquilibres entre les différents secteurs, à l’origine des mouvements de protestation organisés ces derniers jours dans la rue par les diverses catégories de travailleurs. “Il n’est pas normal qu’un employé exerçant dans le secteur des hydrocarbures ait un revenu de 80 000 DA et que son concitoyen du BTPH, par exemple, touche une mensualité de 32 000 DA”, remarque l’économiste.

Serraï : “L’Algérien n’est pas rentable dans son poste”

Une telle différence dans les salaires, dit-il, dissuade les Algériens de travailler dans le bâtiment. Pour sa part, l’expert financier, Abderrahmane Mebtoul, estime que l’Algérie ne peut pas continuer à dépenser sans compter, à importer massivement, à subventionner à coups de milliards de dollars pour une paix sociale éphémère dans le temps. Reprenant les conclusions de rapports internationaux, le docteur Mebtoul pense que si le “cours du brut se situe dans la fourchette des 80/85 dollars le baril, des pays comme la Russie et l’Algérie ont, en fonction de leurs réserves de change, un répit de trois à quatre années”.

Le défi qui se présente devant l’Algérie afin qu’elle puisse dépasser l’“entropie” actuelle, c’est, propose-t-il, d’engager des “réformes microéconomiques et institutionnelles indispensables à même de s’adapter tant aux nouvelles mutations mondiales qu’aux mutations internes, impliquant l’instauration de l’économie de marché concurrentielle à finalité sociale, qui est inséparable de l’État de droit, de la démocratie sociale et politique”.

Mebtoul : “Des réformes microéconomiques et institutionnelles sont indispensables”

Le cadre macroéconomique, relativement stabilisé grâce à la rente des hydrocarbures que connaît notre pays, est éphémère, explique-t-il, sans de profondes réformes structurelles. La baisse des prix du pétrole va, d’après lui, provoquer des tensions au niveau de la balance des paiements.

D’où l’“urgence de la rationalisation des choix budgétaires en Algérie”, observe-t-il. Mebtoul n’a, cependant, pas omis de rappeler un récent rapport de la Banque d’Algérie qui mentionne qu’en dépit de réserves de change en augmentation de près d’un milliard de dollars (194,961 milliards de dollars à fin mars contre 194,012 milliards à fin décembre 2013), le niveau du FRR a chuté de 5 238,80 milliards de dinars à fin décembre 2013 et à 4 773,51 milliards de dinars à fin mars 2014.

“En cas de baisse des recettes d’hydrocarbures, quelle serait la valeur des exportations en devises sachant que Sonatrach a engrangé 700 milliards de dollars en devises entre 2000-2013 et a permis 500 milliards d’importations en devises durant la même période ? Or, Sonatrach a exporté environ 63 milliards de dollars en 2013, 10 milliards de dollars de moins qu’en 2011 ?”, s’interroge-t-il. Pis encore, notre pays peut-il continuer à fonctionner sur la base d’un cours évalué à 110 dollars entre 2011-2012, à 120 dollars en 2013 et entre 125 et 130 entre 2014-2015 “au risque d’épuiser totalement le Fonds de régulation des recettes et les réserves de changes d’environ 195 milliards de dollars, dont 83/86% sont placées en bons de Trésor américains, en obligations européennes et une fraction dans des banques cotées dites AAA?”, se demande-t-il encore.

Le challenge qui attend l’Algérie est de réfléchir, suggère-t-il, aux voies et moyens nécessaires pour “dynamiser le tissu productif, entreprises publiques et privées locales et internationales créatrices de valeur ajoutée interne, devant se fonder sur l’économie de la connaissance et une meilleure gouvernance dans le cadre des valeurs internationales”. Face à la chute des cours des hydrocarbures, la rationalisation des choix budgétaires devient, conclut le Dr Mebtoul, une urgence de l’heure conciliant efficacité économique et une très profonde justice sociale.

B. K.