La mise sous mandat de dépôt lundi 20 décembre de l’ex-PDG par intérim de Sonatrach, Abdelhafid Feghouli, a été procédée de plusieurs enquêtes prémilitaires dirigées par le DRS (Département du renseignement et de la sécurité) autour de certains contrats signés sous la direction de M. Feghouli. Selon nos informations, celui-ci a été entendu, à plusieurs reprises, par des agents du DRS, au cours du printemps et de l’automne 2010.
L’ex-PDG par intérim de Sonatrach, Abdelhafid Feghouli, nommé à la direction de la compagnie Tassili Airlines en mai 2010, a été auditionné par les enquêteurs du DRS dans le cadre d’une enquête sur les activités de la joint-venture algéro-française Safir Spa ainsi que dans le cadre d’autres enquêtes concernant les marchés obtenus par la société pétrolière italienne Saïpem. Mais l’intérêt des officiers des services de renseignements algériens portrait également sur l’organisation de la 16ème conférence internationale du gaz naturel liquéfié (GNL16) qui s’est tenue à Oran au mois d’avril dernier, conférence dont Feghouli assurait depuis 2009 la présidence du comité d’organisation.
Selon plusieurs sources concordantes, Abdelhafid Feghouli a été auditionné, au moins, à trois 3 reprises. La première remonte au mois de mai 2010, la seconde est intervenue au début du mois de juin et la dernière au début du mois d’octobre dernier. Les officiers des services de renseignements investiguaient notamment autour d’un contrat de gré à gré signé le 3 octobre 2007 entre Sonatrach et Safir SPA pour la réalisation d’un centre de stockage et de conditionnement de l’Azote dans la plate forme industrielle d’Arzew.
La partie engineering et construction de ce marché a été confiée à Safir pour 662 millions de dinars (8,5 millions de dollars) alors que la partie approvisionnement est revenue à Sonatrach. Montant total du contrat : 16,5 millions de dollars. Le jour même de la signature, Feghouli affirmait ceci : «Nous avons confié la réalisation de ce projet à Safir, une société algéro-française spécialisée dans l’engineering et la construction. C’est le premier montage du genre. Nous comptons refaire ce genre d’opérations, c’est-à-dire confier aux filiales de Sonatrach des projets d’envergure. Nous voulons développer nos sociétés spécialisées ».
Les enquêteurs ont donc cherché à savoir comment Sonatrach avait-elle décidé de passer outre la réglementation en vigueur pour confier ce gros contrat à Safir. Comment et pourquoi l’activité Aval dirigée par Abdelhafid Feghouli a-t-elle outrepassé la procédure d’appel d’offre via le BAOSEM, bulletin d’offres du secteur de l’Energie et des Mines, alors que rien ne justifiait le gré-à-gré, procédure d’urgence s’il en est ?
Les soupçons de corruption et de malversations sont d’autant plus renforcés que ce contrat en date d’octobre 2007 n’est pas le premier du genre. En 2008, Sonatrach Aval et Safir ont signé une convention cadre d’un montant de 168 milliards de centimes (23 millions de dollars), ensuite une seconde convention avec la même joint-venture pour un montant 27 milliards de centimes (3,7 millions de dollars), pour des prestations d’engineering et de services de projets.
Tout porte à croire que Safir Spa est devenue une sorte de BRC (Brown, Root-Condor) bis, du nom de cette société d’engineering algéro-américaine qui a obtenu une quarantaine de contrats de gré à gré avec Sonatrach et le ministère de la Défense avant d’être dissoute durant l’été 2007. Etrange coïncidence, l’introduction de Safir, créé en 1995, dans les champs d’activités de Sonatrach intervient moins de quatre mois après la dissolution de BRC. Mais les auditions de l’ex- PDG de Sonatrach ne touchaient pas uniquement aux activités Aval.
Les inspecteurs du DRS voulaient par ailleurs connaitre le rôle joué par Feghouli dans la gestion des dépenses engagées lors des travaux de construction de la salle de conférence ainsi que celles engagées dans le cadre de cette conférence du gaz. A l’époque, M. Feghouli qui occupait les fonctions de vice-président de l’activité Aval depuis 2004, avait été interrogé en qualité de témoin dans ce dossier.
Les investigations autour de cette affaire remontaient au mois de mars dernier. Peu de temps avant l’ouverture de la conférence (18-19 avril), six cadres de la branche Aval de Sonatrach d’Oran avaient été auditionnés avant d’être placés sous mandat de dépôt. Leur incarcération faisait suite à l’ouverture d’une enquête judiciaire concernant une affaire de passation de marché en violation du code des marchés publics. Lors d’un point de presse tenu samedi 27 mars 2010 à Oran, Abdelhafid Feghouli estimait à quelque 500 millions d’euros les coûts de travaux engagés par Sonatrach pour la réalisation de ce projet. Un chiffre qui s’est avéré largement supérieur aux estimations fournies deux ans plutôt.
C’est qu’au cours du mois d’août 2008, des dirigeants de la branche Aval d’Oran dont Feghouli était le supérieur hiérarchique, avait annoncé que la compagnie pétrolière nationale allait investir 350 millions d’euros pour la réalisation du centre de Convention. Moins de deux ans plus tard, l’enveloppe a brusquement gonflée de 150 millions d’euros supplémentaires. Qu’est ce qui explique cette inflation ? C’est que les enquêteurs cherchaient à élucider lors des auditions de Feghouli à Alger ainsi qu’à Oran.
Doctorat d’Etat en chimie moléculaire, Abdelhafid Feghouli, était réputé pour être un proche de l’ex-ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil (vidé du gouvernement le 28 mai 2010). Au lendemain du scandale qui a emporté l’état major de Sonatrach, il a été nommé intérimaire avant de céder sa place à Nordine Cherouati. Abdelhafid Feghouli est l’un des derniers hommes clés du système mis en place au sein de Sonatrach par Chakib Khelil.