Chrétiens d’Algérie :entre foi,conviction et intérêt

Chrétiens d’Algérie :entre foi,conviction et intérêt

Sur une allée du grand boulevard menant vers la nouvelle ville de Tizi Ouzou, une bâtisse pas comme les autres. Garages bleus, murs peints en beige, une couleur claire qui capte les rayons du soleil dès l’aurore.

En ce samedi glacial, des hommes, des femmes, vieux, vieilles et enfants se ruent discrètement mais fièrement vers ce lieu de culte, un endroit que «les anges ne quittent pas, même les autres jours de semaine», assène Lotfi.

Devant la porte d’entrée, un jeune homme d’à peine 20 ans scrute les invités. Un salut par-ci, une bise par-là. «Nous faisons attention aux personnes qui entrent, car des énergumènes se glissent parmi la foule pour semer le trouble à l’intérieur, cela a souvent eu lieu au milieu de la messe», explique le jeune Farid.

Dans une salle d’une assez grande superficie et peinte en blanc, des chaises et des bancs sont installés. Une forme d’estrade au devant, des micros, des instruments de musique, dont une guitare sèche et une flûte. Au fond, un cadre de Marie et de Jésus, une statuette du Christ crucifié fait office d’arrière-plan au prêtre.

Mohand Akli est le responsable de cette église catholique de la ville des Genêts, un homme qui a suivi la voie du seigneur après un long parcours dans l’enseignement. Un homme que les fidèles respectent et qui témoignent de sa bonne foi. Son récit est semblable à l’histoire de plusieurs convertis de la région. «Alors que j’étais étudiant,

j’ai effectué un voyage en France pour voir mon frère aîné qui était marié à l’époque à une Française, issue d’une famille très pratiquante. Un jour, ils m’invitent à une messe dans la région parisienne. L’ambiance et les gens que j’ai rencontrés m’ont tout de suite séduit et convaincu à adopter leur religion. Depuis, je me suis converti au christianisme et j’ai fait des recherches sur cette religion».

Mohand Akli a déploré l’intolérance qui mine la société algérienne, les provocations qui sont devenues quotidiennes et trop pesantes sur cette frange qui a choisi une autre religion, un autre mode de vie, une vision différente des choses de la vie et de l’au-delà et des rapports humains. Le prêtre s’est étalé sur ces points afin d’expliquer, mais aussi pour appeler «l’autre» à être tolérant. «Pour être chrétien en Algérie, il faut vivre caché. Vous avez certainement vu comment à chaque messe,

on doit placer un body-gard devant la porte d’entrée, alors qu’une église accueille tout le monde. Nous souhaitons la bienvenue à chaque personne désireuse d’entrer, sans être chrétienne.

Nos frères de l’église de Hasnaoua ont été malmenés par un groupe de jeunes, leur lieu de culte a été brûlé au vu et au su des autorités, pourquoi cette haine ? Dans notre religion, la tolérance est de mise, le respect de l’autre est une devise et n’oublions pas que le Christ aime tout le monde». D’un air désolant et avec des termes critiques, Mohand Akli récidive : «Les chrétiens de Larbaâ Nath Irathen ont été carrément poursuivis en justice, les non-jeûneurs d’Akbou ont été traduits devant la cour. Or, chacun est libre de croire en ce qu’il veut, chacun est libre d’aimer et d’adorer le Prophète qu’il veut. Pourquoi nous voulons imposer l’Islam et ses signes extérieurs en Occident, alors que chez nous le chrétien est vu comme un traître.»

Des chrétiens pas très catholiques !

10h, les premières cordes de guitare commencent à vibrer l’Alléluia, une pièce de musique liturgique, dans le propre de la messe catholique. Il est d’ordinaire chanté avant la lecture de l’Evangile. L’Alléluia est un chant responsorial du propre de la messe, psalmodié pour chasser les démons et les mauvais esprits. Les femmes, notamment les vieilles, répètent derrière les jeunes qui ont une prononciation assez correcte, par un genre de chant propre à la région (Thivoughar) que les femmes chantent lors des mariages ou encore (D’kar) lors des décès. Na Aldjia, une vieille femme de 68 ans, confie :

«Je suis devenue chrétienne grâce mon fils et je viens chaque samedi dans cette église pour la messe et je fête Noël et le nouvel an». La vieille femme a avoué son attachement aux traditions et coutumes, mais aussi aux pratiques musulmanes ! Sur une question concernant le mois de jeûne, Na Aldjia réagit :

«Bien sûr que je fais carême, je suis Kabyle et je n’ai pas oublié mes racines. Je fête les deux Aïd aussi et l’Achoura et, tenez-vous bien, le Mouloud, jour de la naissance du Prophète Mohamed QSSSL.» Une chrétienne pas trop catholique ! Sofiane intervient pour expliquer plusieurs autres choses.

Ce chrétien de 26 ans a adopté cette religion après la mort de son père tué par les terroristes en 1997. «Je trouve que le christianisme est tolérant et plus ouvert que l’Islam. Ça reste mon point de vue.

Et je dois avouer que lors de mon mariage, j’ai fait la Fatiha dans une mosquée et lorsque ma grand-mère est décédée, c’est dans un cimetière musulman que nous l’avons enterrée. Nous ne pouvons pas être chrétiens à 100% chez nous, car plusieurs aspects entrent en jeu. Ce qui fait du christianisme une sorte de fuite et de thérapie.»

Etre chrétien est-il payant ?

Plusieurs versions ont été avancées pour expliquer le phénomène de conversion. «L’Eglise offre de l’argent, des habits, des visas, du travail et tant d’autres choses.» Pas si sûr. Des étiquettes collées à tort ou à raison aux néoconvertis, des discussions de rues que les intéressés rejettent et nuancent. «Nous avons entendu et nous continuons à entendre ce genre de paroles, parfois lors de la messe. Des jeunes s’installent dehors et nous assènent des paroles parfois vulgaires.

A la sortie, des personnes nous montrent du doigt et crient à notre encontre : «Celui-là est vendu à 500 euros, la vieille à 200 euros, celle-ci est belle elle doit percevoir 700 euros et j’en passe.

Cela veut dire quoi ? Que nos femmes sont des prostituées, que nos jeunes hommes sont des homosexuels. Vous savez, nous pratiquons notre culte sans déranger personne. Nous sommes libres et nous assumons parfaitement notre choix», a vociféré Nazim.

Mustapha, l’ami de Nazim, pressé de parler afin d’apporter des précisions qu’il juge utiles : «Oui, nous partons en France, en Italie et en Espagne. Nos frais sont pris en charge par l’église, mais nous partons pour des formations, pour rencontrer des gens comme nous et cela permet à tous de connaître et d’apprendre. Nos destinations ne sont pas les maquis.

Je précise que je ne suis pas contre l’Islam, et que la violence qui s’abat sur notre pays n’a rien à voir avec l’Islam, qui est plus grand que ces énergumènes qui veulent le salir.

Oui, on nous donne de l’argent, nous sommes issus pour la plupart de milieux défavorisés, et à chaque rentrée scolaire, nous récoltons de l’argent pour permettre à des enfants d’étudier et d’avoir des vêtements adéquats. Quand nous partons à l’étranger, on nous remet des enveloppes, ce sont des frais de mission et non le prix de notre adhésion.

Car nous sommes chrétiens avec le cœur et non avec la poche.» A quelques jours de Noël, les fidèles de l’église ont tenu à souhaiter un joyeux Noël à toutes les communautés et un nouvel an plein de bonheur, de santé et de prospérité. Mohand Akli lance à travers Le Temps d’Algérie un appel à toutes les communautés, musulmanes, chrétiennes et autres.

«Nous sommes tous les enfants d’Adam et d’Eve, et être persécuté en terre d’Islam, qui veut dire paix, est inacceptable. Nous sommes frères. La tolérance est le seul remède pour tout extrémisme qu’il soit religieux ou autre. Vivons en paix, vivons heureux.»

Elias Melbouci