Selon les statistiques relevées par le bureau de Chlef de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme le nombre de
chômeurs ne cesse d’augmenter au fil des années à travers l’ensemble des communes de la wilaya de Chlef et est extrêmement « inquiétant ». Selon les enquêtes de la LADDH, ce phénomène touche non seulement en grande partie les jeunes, mais aussi des chefs de famille, voire des personnes âgées qui trouvent d’énormes difficultés à répondre aux multiples et coûteuses exigences de la vie quotidienne dans la région.
Le taux de chômage, notamment chez les jeunes, continue d’enregistrer des taux très élevés au niveau de la wilaya de Chlef. La situation n’est guère reluisante au vu de l’énorme travail qui reste à accomplir pour satisfaire les besoins de la wilaya en termes d’emploi et pour équilibrer un marché dont l’offre et la demande ne vont pas de pair. Parmi les principales causes profondes du chômage que la LADDH Chlef a relevées, la démographie, une législation du travail trop compliquée, la politique de désinvestissement, la mauvaise gestion, les barrières administratives, la pénurie du foncier industriel, la concurrence « déloyale», la corruption, l’évasion fiscale et l’inadéquation des profils de qualification et des profils d’emploi exigés. A tout cela, s’ajoutent les faibles performances économiques des entreprises et le manque d’organisation du marché du travail, le manque de formation professionnelle en adéquation avec le marché du travail, les déstructurations des entreprises suite à l’accord gouvernement algérien-FMI (Fonds monétaire international). Le bureau de la LADDH Chlef a rajouté la « médiocratie » aux nombreux problèmes évoqués.
D’après une source bien informée de la wilaya qui a requis l’anonymat, le nombre a dépassé les 73 116 chômeurs en 2012 pour une population de 1 053 768 habitants. Ainsi, ce chiffre reflète-t-il réellement la situation dans la région de Chlef sachant que la population active n’est que de 322 330 personnes, sur une population en âge de travailler de 658 360 personnes ? Selon un économiste, le chômage est environ quatre fois plus élevé que le taux officiel. Les déclarations d’un jeune chômeur en témoignent : « Dans ma famille, personne ne travaille. Nous sommes quatre frères et sœurs souffrant du chômage. » Ce dernier dit avoir déposé une demande d’emploi, le 19 juillet 2012, auprès de la Direction de l’action sociale (DAS), mais jusqu’à ce jour aucune suite. En l’absence de statistiques officielles et d’informations que nous n’avons pu avoir auprès des instances administratives locales concernées, pourtant contactées maintes fois au sujet de l’étonnant accroissement de ce fléau, nous nous sommes contentés de quelques témoignages de nombreux chômeurs. Rassemblés quotidiennement et en masse devant les locaux de l’ANEM, de l’ANSEJ, de la CNAC et aussi devant les bureaux des administrations dans l’espoir d’avoir une réponse favorable ou encore des aides financières qui leur permettraient de réaliser un quelconque projet, des dizaines de chômeurs venus des quatre coins de la wilaya ne mâchent pas leurs mots à l’égard des pouvoirs publics. Selon des témoignages recueillis auprès de dizaines de demandeurs d’emploi à travers plusieurs communes de la wilaya, la situation s’avère inquiétante, voire alarmante. Des jeunes sans diplôme, des diplômés de différents centres et autres instituts de formation, des universitaires des deux sexes et même des pères et des mères de famille que nous avons eu l’occasion de rencontrer ont tous fait savoir qu’ils sont au chômage depuis de longues années, et que décrocher un emploi est devenu, au fil des années, un rêve impossible à réaliser. Si donc certains n’aspirent qu’à prendre « leurs cliques et leurs claques » et s’en aller tenter leur chance sous d’autres cieux, d’autres, pour ne pas dire la grande majorité, s’adonnent parfois à des tâches ingrates pour survivre. Si aux yeux des quelques diplômés insérés dans le cadre des contrats de pré-emploi ou du filet social, ce mode de recrutement ne constitue pas, de par la précarité qu’il offre, ce qu’il y a de plus ingrat, après tant d’années d’études et de sacrifices, d’autres n’ont même pas cette chance. « Le filet social n’absorbe malheureusement que la demande majoritairement féminine, car les filles se contentent de sortir de leur ghetto quotidien, après des années d’études supérieures et des diplômes qui ne leur permettent que de glaner une minable bourse de 10 000 à 15 000 dinars, nous apprend Mohamed, un universitaire en quête d’emploi stable depuis 3 ans déjà. Tenant compte de la situation sociale alarmante, certains entrepreneurs – ils ne sont pas nombreux – tentent tant bien que mal d’embaucher des jeunes qui donnent une certaine satisfaction pour la réalisation de leurs projets, mais cela reste insuffisant. Un jeune de 29 ans, qui peine encore à se prendre en charge, doit susciter pas mal d’interrogations aux yeux des responsables locaux qui sont habilités à se pencher sur ces problèmes. « C’est pour ça que je ne crois plus au changement dont on parle pendant les campagnes électorales, et par conséquent, je ne voterai plus jamais pour qui que ce soit », nous confie Ali, un célibataire de 32 ans qui se débrouille dans le commerce informel, histoire de gagner son pain.
Pis encore, de jeunes filles travaillant sans répit depuis plus d’une décennie ne perçoivent qu’une minable allocation chômage d’environ 8 000 DA. Elles sont contraintes de résister. « C’est mieux que d’attendre la paie de mon père qui n’arrive pas à subvenir aux besoins de la famille, la scolarité des enfants, les problèmes de santé de ma mère et de ma grand-mère, auxquels il doit impérativement faire face », nous dira une jeune fille travaillant dans le cadre de l’IAIG dans un CEM dans la commune de Chettia. Elle garde espoir, après huit années de service, que demain sera meilleur. Hakima, 30 ans, ayant un niveau universitaire, rêve tout simplement d’une stabilité dans cet emploi qu’elle exerce à plein temps sans en tirer profit. « Mon frère aîné ne veut pas de ce travail qu’il considère comme de l’esclavagisme. N’était ma mère qui m’encourage, je resterais probablement cloîtrée entre quatre murs », soutient-elle désespérée.
Trouver un emploi reste encore plus difficile pour les femmes, les jeunes et les diplômés. Ces trois catégories ont vu leur taux grimper. Deux chômeurs sur trois sont des jeunes âgés entre 21 et 29 ans et un chômeur sur quatre est diplômé du niveau supérieur. En zone urbaine, le chômage est très présent car quatre chômeurs sur cinq sont citadins. La gangrène du chômage, qui porte atteinte à la paix sociale, demeure un souci permanent des Algériens. Pour y faire face, il faudrait lutter contre la bureaucratie et associer davantage les organisations patronales et les syndicats. Cette situation constitue une véritable bombe à retardement, portant en elle de grands risques de déstabilisation du front social dans la région si le gouvernement ne trouve pas une solution adéquate au problème, car la situation est similaire dans la majorité des wilayas. Nous avons déjà constaté des signes des troubles sociaux liés au malaise économique durant l’année 2012/2013. Régler cette question est un défi économique connu de longue date et qui devient une urgence.
M.Mokhtari