Chèques sans provision: La pratique prend des proportions inquiétantes.

Chèques sans provision: La pratique prend des proportions inquiétantes.

Ce délit économique décrédibilise le paiement par chèque que les pouvoirs publics veulent introduire et généraliser dans les opérations commerciales.

Le chèque sans provision continue d’entacher les transactions commerciales et discrédite le monde des affaires en Algérie. Cette pratique illicite freine la généralisation de ce mode de paiement tant souhaitée par les pouvoirs publics et encourage le recours inexorable à l’usage du cash. Ce qui, par conséquent, injecte encore des sommes colossales dans le secteur informel ; autant de liquidités qui n’empruntent plus le circuit bancaire officiel et échappent de ce fait au contrôle des institutions concernées.

Cette “incongruité financière“ qui porte atteinte à la crédibilité des banques a engendré une crise de confiance avec la clientèle. Les observateurs très au fait du secteur bancaire estiment que ces structures financières n’offrent pas suffisamment de garanties dans l’utilisation du chèque. Elles ne constituent plus cette sentinelle garante du bon fonctionnement de cette opération bancaire. Dans d’autres pays, en cas d’émission de chèque en bois, la banque assure d’abord le paiement au détenteur et se retourne par la suite contre son client émetteur indélicat. Ainsi, le chèque devient un instrument efficace.

Ce genre de décision, en revanche, ne se prend jamais en Algérie où l’informel est tellement prégnant qu’il rend l’utilisation des chèques difficile puisqu’abandonnée par les gens. Pis, certaines banques ne signalent même pas cette anomalie, tel que le stipule la réglementation, à la centrale des impayés, créée à cet effet. À cause de cette attitude inappropriée des agences bancaires, le chèque devient aux yeux des usagers un procédé de paiement non sécurisé.

LG Algérie

Rares sont les structures financières qui utilisent le dispositif de sécurisation mis en place depuis plusieurs années par la Banque d’Algérie. “Les banques doivent assumer leur responsabilité quand elles enregistrent un cas de chèque sans provision”, indique un opérateur économique victime de ce genre d’escroquerie, car c’en est réellement une. Sinon comment expliquer que des particuliers et des personnes morales, propriétaires de comptes bancaires, émettent des chèques sans provision à des fournisseurs, puis disparaissent dans la nature.

Et les exemples sont légion à travers les quatre régions du pays. Déconcerté, un fabricant de produits pharmaceutiques qui a pignon sur rue n’a trouvé de solution que de publier sur les journaux la liste de ses clients qui ont émis des chèques sans provision après avoir réceptionné la marchandise commandée. Pour ce laboratoire, le paiement par chèque n’est plus une garantie au sein de la banque. Or, celle-ci devrait être garante de la solvabilité de ses clients.

Ce qui est déplorable pour ces opérateurs c’est ce laxisme, voire cette apathie manifestée par certaines agences bancaires qui ferment sciemment les yeux sur ce délit. Pire encore, au lieu d’appliquer les mesures requises prévues par la loi, ces institutions financières “couvrent” leurs clients indélicats au grand dam de ces entreprises. Victimes de cet acte frauduleux, ces sociétés avouent que “les dispositions de la loi ne sont pas appliquées par les banques.” Face à cette épineuse problématique, ce laboratoire a décidé de publier la liste d’une dizaine de clients malhonnêtes, à travers laquelle il les met en demeure.

Constantine, Alger, Mila, Sidi Bel-Abbès, Sétif,… sont les quelques wilayas où se trouvent les agences bancaires où sont domiciliés les comptes de ces clients. Il a même précisé le numéro du chèque et la date du rejet. “Les sociétés et leurs gérants, dont les indications sont reprises dans le tableau ci-après (sur le journal), sont mis en demeure de régulariser leur situation dans un délai de huit jours suite au rejet de leurs chèques par les banques où elles sont domiciliées. Faute de quoi notre entreprise se réserve le droit de prendre toute mesure pour préserver ses intérêts.

La présente mise en demeure intervient après nos incessants appels et démarches en vue d’un règlement à l’amiable de cette situation préjudiciable à notre société”, lit-on sur le placard publicitaire inséré récemment sur les journaux par ce laboratoire pharmaceutique. Combien d’entreprises flouées souffrent de ce problème dans notre pays ? Or, avec la mise en application des nouveaux systèmes de paiement électronique dans le secteur bancaire, la pratique frauduleuse d’émission des chèques sans provision devrait être verrouillée, indiquent des banques algériennes et étrangères.

L’on parle d’un premier constat de l’efficacité des deux dispositifs de paiement dématérialisé, à savoir le paiement de masse par télécompensation dit Algérie télécompensation interbancaire (ATCI) et le système de règlement en temps réel de gros montants (ARTS), dans la lutte contre les actions frauduleuses. Les deux dispositifs sont considérés comme incontournables pour permettre aux banques de se tenir fin prêtes après l’entrée en vigueur du décret instaurant l’obligation de l’usage du chèque ou d’un autre moyen de paiement scriptural pour tout règlement d’un montant égal ou supérieur à 50 000 DA, avec ce que cela implique comme garantie à assurer au bénéficiaire du chèque.  Aujourd’hui, l’enjeu du nouveau dispositif est bien sûr d’assainir la situation, de crédibiliser le chèque et surtout de donner toutes les chances au nouveau système de paiement électronique qui se met en place, de réussir sa mutation.

Même avec une décision de justice, le dû n’est pas récupéré

L’article 537 du code de commerce stipule que le fraudeur est passible d’une amende de 10% de la somme pour laquelle le chèque est tiré, sans que cette amende puisse être inférieure à 100 DA. L’article suivant mentionne un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende qui ne saurait être inférieure au montant du chèque ou de l’insuffisance. La même sanction est également réservée à quiconque, en connaissance de cause, accepte de recevoir ou endosse un chèque émis dans de pareilles conditions. Le législateur, faut-il le préciser, a donné la possibilité à la partie civile d’ester directement l’auteur du délit devant le tribunal correctionnel. Ce qui permet le traitement diligent de ce genre de crimes et le recouvrement par la partie civile de ses créances ainsi que l’obtention de réparations éventuelles. Or, ce n’est pas évident.

En atteste le témoignage de producteurs de médicaments qui trouvent qu’il est illogique qu’au moment d’ester en justice l’accusé présumé, certains procureurs leur demandent la filiation de ce dernier et exigent d’eux de fournir toutes les pièces nécessaires. “Ce n’est pas à nous de diligenter des enquêtes sur ces fossoyeurs. Ce n’est pas notre travail”, souligne un des investisseurs qui a requis l’anonymat. “L’autre difficulté à laquelle nous faisons face concerne aussi les fausses adresses données par les clients”, soulignent dépités des opérateurs. Dans certains cas, même si la victime a eu gain de cause auprès de la justice, elle n’a pu, en revanche, recouvrer son argent car le mis en cause a disparu dans la nature.